Commentaires du dimanche 25 décembre

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 25 décembre 2022
Noël, fête de la Nativité

1ère lecture
Psaume
2ème lecture
Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Isaïe 52,7-10
7 Comme ils sont beaux sur les montagnes,
les pas du messager,
celui qui annonce la paix,
qui porte la bonne nouvelle,
qui annonce le salut,
et vient dire à Sion :
« Il règne, ton Dieu ! »
8 Écoutez la voix des guetteurs :
ils élèvent la voix,
tous ensemble ils crient de joie
car, de leurs propres yeux,
ils voient le SEIGNEUR qui revient à Sion.
9 Éclatez en cris de joie,
vous, ruines de Jérusalem,
car le SEIGNEUR console son peuple,
il rachète Jérusalem !
10 Le SEIGNEUR a montré la sainteté de son bras
aux yeux de toutes les nations.
Tous les lointains de la terre
ont vu le salut de notre Dieu.

LE SEIGNEUR CONSOLE SON PEUPLE
« Eclatez en cris de joie, ruines de Jérusalem ! » L’expression  « ruines de Jérusalem » nous permet de situer très précisément ce texte d’Isaïe : Jérusalem a été dévastée par les troupes de Nabuchodonosor en 587 av.J.C. Elles ont commis les horreurs que commettaient toutes les armées victorieuses à l’époque : pillage, destructions, viols, profanations. Des agriculteurs ont été maintenus sur place pour nourrir les occupants ; et ce qui restait d’hommes et de femmes valides ont été emmenés en déportation à Babylone. Cet Exil devait durer cinquante ans, ce qui est considérable ; amplement le temps de se décourager, de croire qu’on ne reverrait jamais le pays.
Et voilà que le prophète annonce le retour ; il a commencé sa prédication par les mots « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu » (Is 40,1). Ici, il reprend exactement le même mot « consoler »  (« le SEIGNEUR console son peuple »), pour dire que Dieu a déjà agi, le retour est pour très bientôt. Et il voit déjà le messager qui ira annoncer la grande nouvelle à Jérusalem et le guetteur qui, du haut des collines de Jérusalem, verra revenir les colonnes de déportés.
Un messager à pied et un guetteur, voilà deux personnages qu’on a bien du mal à se représenter aujourd’hui ! En ce temps de télécommunications triomphantes (télévision, téléphone portatif, fax…) nous avons un effort d’imagination à faire !
Mais dans le monde antique, il n’y avait pas d’autre moyen qu’un coureur à pied pour annoncer les nouvelles. On connaît le fameux exemple du coureur de Marathon : en 490 av.J.C., lorsque les Athéniens ont remporté la bataille de Marathon contre les Perses, un coureur s’est précipité à Athènes (qui est à quarante-deux kilomètres de Marathon), pour annoncer la Bonne Nouvelle de la victoire. Il a couru d’un trait les quarante-deux kilomètres et a juste eu le temps de crier victoire avant de s’effondrer. C’est de là que vient notre expression « courir le Marathon ».
A l’époque, lorsque les messagers couraient porter les nouvelles, il y avait dans le même temps des guetteurs postés sur les murailles des villes ou sur les collines alentour pour surveiller l’horizon.
Isaïe imagine le guetteur posté sur le haut des remparts ou sur le mont des oliviers, peut-être, et qui voit déjà voler de colline en colline le messager qui annonce le retour au pays : « Comme ils sont beaux sur les montagnes, les pas du messager, celui qui annonce la paix, qui porte la bonne nouvelle, qui annonce le salut ». Non seulement le peuple est sauvé, mais la ville elle-même va l’être, elle sera rebâtie par ceux qui reviennent. C’est pour cela que les ruines de Jérusalem sont invitées à éclater en cris de joie.
NOTRE MISSION : MESSAGERS QUI ANNONCENT LE SALUT
A l’époque on considérait que les défaites d’un peuple étaient aussi celles de son Dieu. Mais voici que le peuple est délivré, son Dieu a fait preuve de sa puissance, il « a montré la sainteté de son bras » comme dit Isaïe. C’est pour cela que le messager vient dire à la ville sainte : « Il règne, ton Dieu ».
Une fois de plus, Dieu a délivré son peuple comme il l’avait libéré d’Egypte, « à main forte et à bras étendu », comme dit le livre du Deutéronome (Dt 4,34). Et, juste derrière le messager, le guetteur voit déjà le cortège triomphal ; et du haut des remparts, que voit-il ? Qui est en tête du cortège triomphal du retour ? Le Seigneur lui-même !  Le Seigneur revient à Sion. Il marche au milieu de son peuple et désormais, il sera de nouveau là, à Jérusalem, au milieu de son peuple.
Pour dire cette action de Dieu, Isaïe emploie un mot très fort, le mot « racheter ». Dans le langage biblique,  ce mot  « racheter »  signifie  « libérer » : vous connaissez l’institution du « Go’el » : lorsqu’un Israélite a été obligé de se vendre comme esclave ou de vendre sa maison à son créancier pour payer ses dettes, son plus proche parent se présentera au créancier pour libérer son parent débiteur. On dira qu’il « rachète » son parent, qu’il le « revendique »… Bien sûr le créancier ne laissera pas partir son débiteur s’il n’est pas remboursé, mais cet aspect financier n’est pas premier dans l’opération. Ce qui est premier, c’est la libération du débiteur. Isaïe a eu l’audace d’appliquer ce mot de « Go’el » à Dieu : manière de dire à la fois qu’il est le plus proche parent de son peuple et qu’Il le libère.
Autre phrase significative de ce texte et qui traduit une avancée très importante de la pensée juive pendant l’Exil à Babylone : c’est à ce moment-là qu’Israël a découvert l’amour de Dieu pour toute l’humanité et pas seulement pour son peuple. Il a compris que son « élection » est une mission au service du salut de toute l’humanité. C’est ce qui explique la phrase :
« Le SEIGNEUR a montré la sainteté de son bras aux yeux de toutes les nations. Tous les lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu. » : c’est-à-dire, bientôt, elles reconnaîtront que Dieu est sauveur.
Pour nous qui relisons ce texte à l’occasion du la fête de Noël, évidemment, cette prédication d’Isaïe prend un sens nouveau ; plus que jamais, nous pouvons dire : « Le SEIGNEUR a montré la sainteté de son bras aux yeux de toutes les nations. Tous les lointains de la terre ont vu le salut de notre Dieu. » Notre mission, désormais, c’est d’être ces messagers qui annoncent la paix, ces messagers de la bonne nouvelle, qui annoncent le salut, ceux qui viennent dire non seulement à la cité sainte mais au monde entier : « Il est roi, ton Dieu » !

PSAUME – 97 (98),1-6
1 Chantez au SEIGNEUR un chant nouveau,
car il a fait des merveilles ;
par son bras très saint, par sa main puissante,
il s’est assuré la victoire.
2 Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire
et révélé sa justice aux nations ;
3 il s’est rappelé sa fidélité, son amour,
en faveur de la maison d’Israël.
La terre tout entière a vu
la victoire de notre Dieu.
4 Acclamez le SEIGNEUR, terre entière.
sonnez, chantez, jouez !
5 Jouez pour le SEIGNEUR sur la cithare,
sur la cithare et tous les instruments ;
6 au son de la trompette et du cor 1,
acclamez votre roi, le SEIGNEUR !

LE PEUPLE DE L’ALLIANCE…
« La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu » : c’est le peuple d’Israël qui parle ici et qui dit « notre » Dieu, affichant ainsi la relation tout-à-fait privilégiée qui existe entre ce petit peuple et le Dieu de l’univers ; mais Israël a peu à peu compris que sa mission dans le monde est précisément de ne pas garder jalousement pour lui cette relation privilégiée mais d’annoncer l’amour de Dieu pour tous les hommes, afin d’intégrer peu à peu l’humanité tout entière dans l’Alliance.
Ce psaume dit très bien ce que l’on pourrait appeler « les deux amours de Dieu » : son amour pour son peuple choisi, élu, Israël… ET son amour pour l’humanité tout entière, ce que le psalmiste appelle les « nations » … Relisons le verset 2 : « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations » : les « nations », ce sont tous les autres, les païens, ceux qui ne font pas partie du peuple élu.  Mais vient aussitôt le verset 3 : « Il s’est rappelé sa fidélité, son amour, en faveur de la maison d’Israël », ce qui est l’expression consacrée pour rappeler ce qu’on appelle « l’élection d’Israël ». Derrière cette toute petite phrase, il faut deviner tout le poids d’histoire, tout le poids du passé : les simples mots « sa fidélité », « son amour » sont le rappel vibrant de l’Alliance : c’est par ces mots-là que, dans le désert, Dieu s’est fait connaître au peuple qu’il a choisi. « Dieu d’amour et de fidélité ». Cette phrase veut  dire : oui, Israël est bien le peuple choisi, le peuple élu ; mais la phrase d’avant, et ce n’est peut-être pas un hasard si elle est placée avant, cette phrase qui parle des nations, rappelle bien que si Israël est choisi, ce n’est pas pour en jouir égoïstement, pour se considérer comme fils unique, mais pour se comporter en frère aîné. Comme disait André Chouraqui, « le peuple de l’Alliance est destiné devenir l’instrument de l’Alliance des peuples ».
L’un des grands acquis de la Bible, c’est que Dieu aime toute l’humanité, et pas seulement Israël. Dans ce psaume, cette certitude marque la composition même du texte ; si on regarde d’un peu plus près la construction de ces quelques versets, on remarque la disposition en « inclusion » de ces deux  versets  2 et 3 : l’inclusion est un procédé de style qu’on trouve souvent dans la Bible. Une inclusion, c’est un peu comme un encadré, dans un journal ou dans une revue ; bien évidemment le but est de mettre en valeur le texte écrit dans le cadre.
Dans une inclusion, c’est la même chose : le texte central est mis en valeur, « encadré » par deux phrases identiques, une avant, l’autre après… Ici, la phrase centrale, qui parle d’Israël, est encadrée par deux phrases synonymes qui parlent des nations : « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations », voilà la première phrase donc, sur les nations … la deuxième phrase, elle, concerne Israël : « il s’est rappelé sa fidélité, son amour en faveur de la maison d’Israël »… et voici la troisième phrase : « la terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu ». Le mot « nations » ne figure pas ici, mais il est remplacé par l’expression « la terre tout entière ». La phrase centrale sur ce qu’on appelle «  l’élection d’Israël » est donc encadrée par deux phrases sur l’humanité tout entière. L’élection d’Israël est centrale mais on n’oublie pas qu’elle doit rayonner sur l’humanité tout entière et cette construction le manifeste bien.
…AU SERVICE DE L’ALLIANCE DES PEUPLES
Et quand le peuple d’Israël, au cours de la fête des Tentes à Jérusalem, acclame Dieu comme roi, ce peuple sait bien qu’il le fait déjà au nom de l’humanité tout entière ; en chantant cela, on imagine déjà (parce qu’on sait qu’il viendra) le jour où Dieu sera vraiment le roi de toute la terre, c’est-à-dire reconnu par toute la terre.
La première dimension de ce psaume, très importante, c’est donc l’insistance sur ce « les deux amours de Dieu », pour son peuple choisi, d’une part, et pour toute l’humanité, d’autre part. Une deuxième dimension de ce psaume est la proclamation très appuyée de la royauté de Dieu.
Par exemple, on chante au Temple de Jérusalem « Acclamez le SEIGNEUR, terre entière, acclamez votre roi, le SEIGNEUR » Mais dire « on chante », c’est trop faible ; en fait, par le vocabulaire employé en hébreu, ce psaume est un cri de victoire, le cri que l’on pousse sur le champ de bataille après la victoire, la « terouah » en l’honneur du vainqueur. Le mot de victoire revient trois fois dans les premiers versets. « Par son bras très saint, par sa main puissante, il s’est assuré la victoire » … « Le SEIGNEUR a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations »… « La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu ».
La victoire de Dieu dont on parle ici est double : c’est d’abord la victoire de la libération d’Egypte ; la mention « par son bras très saint, par sa main puissante » est une allusion au premier exploit de Dieu en faveur des fils d’Israël, la traversée miraculeuse de la mer qui les séparait définitivement de l’Egypte, leur terre de servitude. L’expression « Le SEIGNEUR t’a fait sortir d’Egypte à main forte et à bras étendu » (Dt 5,15) était devenue la formule-type de la libération d’Egypte. La formule « il a fait des merveilles » (au verset 1 de ce psaume) est aussi un rappel de la libération d’Egypte.
Mais quand on chante la victoire de Dieu, on chante également la victoire attendue pour la fin des temps, la victoire définitive de Dieu contre toutes les forces du mal. Et déjà on acclame Dieu comme jadis on acclamait le nouveau roi le jour de son sacre en poussant des cris de victoire au son des trompettes, des cornes et dans les applaudissements de la foule. Mais alors qu’avec les rois de la terre, on allait toujours vers une déception, cette fois, on sait qu’on ne sera pas déçus ; raison de plus pour que cette fois la « terouah » soit particulièrement vibrante !
Désormais les Chrétiens acclament Dieu avec encore plus de vigueur parce qu’ils ont vu de leurs yeux le roi du monde : depuis l’Incarnation du Fils, ils savent et ils affirment (envers et contre tous les événements apparemment contraires), que le Règne de Dieu, c’est-à-dire de l’amour est déjà commencé.
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Note
1 – Les instruments de musique : c’est par les psaumes, et en particulier le Ps 150 que l’on connaît les instruments de musique de l’époque. Ici déjà, en voici 3 énumérés : cithare, trompette et cor.
Complément : Devant la Crèche, on ne peut pas s’empêcher de penser que, pour l’instant la force divine du bras de Dieu qui libère son peuple repose dans deux petites mains d’enfant.

DEUXIEME LECTURE – lettre aux Hébreux 1,1-6
1 À bien des reprises
et de bien des manières,
Dieu, dans le passé,
a parlé à nos pères par les prophètes ;
2 mais à la fin, en ces jours où nous sommes,
il nous a parlé par son Fils
qu’il a établi héritier de toutes choses
et par qui il a créé les mondes.
3 Rayonnement de la gloire de Dieu,
expression parfaite de son être,
le Fils, qui porte l’univers
par sa parole puissante,
après avoir accompli la purification des péchés,
s’est assis à la droite de la Majesté divine
dans les hauteurs des cieux ;
4  et il est devenu bien supérieur aux anges,
dans la mesure même où il a reçu en héritage
un nom si différent du leur.
5 En effet, Dieu déclara-t-il jamais à un ange :
« Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui, je t’ai engendré ? »
Ou bien encore :
« Moi, je serai pour lui un père, et lui sera pour moi un fils ? »
6 À l’inverse, au moment d’introduire le Premier-né
dans le monde à venir,
il dit :
« Que se prosternent devant lui tous les anges de Dieu. »

DIEU A PARLE A NOS PERES PAR LES PROPHETES
« Dieu a parlé à nos pères par les prophètes » ; à travers cette phrase on devine que les destinataires de la lettre aux Hébreux sont des Juifs devenus chrétiens. L’une des caractéristiques d’Israël, c’est bien cette conviction que Dieu s’est révélé progressivement à ce peuple qu’il a choisi. Parce que Dieu n’est pas à la portée de l’homme, il faut bien qu’il se révèle lui-même. Vous connaissez la fameuse phrase de Paul dans la lettre aux Ephésiens : « Dieu nous dévoile le mystère de sa volonté… » (Ep 1,9). Sous-entendu, nous ne l’aurions pas trouvé tout seuls. Et cette révélation ne pouvait être que progressive, tout comme l’éducation d’un enfant ne se fait pas en un jour. Au contraire, les parents disent à leur enfant progressivement, au fur et à mesure du développement de son intelligence, ce dont il a besoin pour comprendre le monde et la société dans laquelle il vit. C’est exactement comme cela que Moïse explique la pédagogie de Dieu dans le livre du Deutéronome : « Comme un homme éduque son fils, ainsi le SEIGNEUR ton Dieu fait ton éducation. » (Dt 8,5).
Pour cette éducation progressive de son peuple, Dieu a suscité, à chaque époque, des prophètes qui parlaient de sa part, dans des termes qui correspondaient à la mentalité de l’époque. On disait qu’ils  étaient la « bouche de Dieu ». Comme dit l’une des phrases de notre liturgie : « Tu les as formés par les prophètes dans l’espérance du salut. » (Prière Eucharistique N° IV). Parce que Dieu utilise avec son peuple cette pédagogie très progressive, il lui parle « à bien des reprises et de bien des manières » (v.1).
Quand l’auteur de la lettre aux Hébreux prend la plume, ce salut est arrivé : c’est pour cela qu’il coupe l’histoire de l’humanité en deux périodes : avant Jésus-Christ et depuis Jésus-Christ. Avant Jésus-Christ, c’est ce qu’il appelle le passé ; depuis Jésus-Christ, c’est ce qu’il appelle « ces jours où nous sommes », c’est le temps de l’accomplissement. En Jésus-Christ, le monde nouveau est déjà inauguré. Le Christ est en lui-même l’accomplissement du projet de Dieu, ce que nous appelons son « dessein bienveillant ».
Après l’éblouissement et la stupeur de la résurrection du Christ, la conviction des premiers Chrétiens s’est forgée peu à peu : oui, Jésus de Nazareth est bien le Messie que le peuple juif attendait, mais il est bien différent de l’idée qu’on s’en était faite à l’avance. L’ensemble du Nouveau Testament médite cette découverte étonnante. Certains attendaient un Messie-roi, d’autres, un Messie-prophète, d’autres, un Messie-prêtre. L’auteur de la lettre aux Hébreux, dans le passage d’aujourd’hui, nous dit : Eh bien, mes frères, Jésus est bien tout cela.
Je vous propose donc une remarque sur chacun de ces trois points : Jésus est le Messie-prophète qu’on attendait, il est le Messie-prêtre, il est le Messie-Roi.
LE CHRIST, PRETRE, PROPHETE ET ROI
Pour commencer, Il est le Messie – prophète : l’auteur nous dit : « Dieu nous a parlé par son Fils » : Jésus est bien le prophète par excellence ; si les prophètes de l’Ancien Testament étaient la « bouche de Dieu », lui, il est la Parole même de Dieu, la Parole créatrice « par qui Dieu a créé les mondes » (v. 2). Mieux encore, il est le « rayonnement de la gloire de Dieu » (v. 3)1 ; il dira lui-même « qui m’a vu a vu le Père » (il est l’expression parfaite de l’être de Dieu, v. 3).
Ensuite, Il est le Messie – prêtre : c’était le rôle du grand-prêtre d’être l’intermédiaire entre Dieu et le peuple pécheur ; or, en vivant une relation d’amour parfaite avec son Père, une véritable relation filiale, Jésus-Christ restaure l’Alliance entre Dieu et l’humanité. Il est donc le grand-prêtre par excellence, qui accomplit la « purification  des péchés » : cette « purification des péchés », (l’auteur reviendra longuement sur ce thème dans la suite de sa lettre), Jésus l’a opérée en vivant toute sa vie dans une relation parfaitement filiale, comme un parfait dialogue d’amour et « d’obéissance » avec son Père.
Enfin, Il est le Messie – roi : l’auteur lui applique des titres et des prophéties qui concernaient le Messie : on a là l’image du trône royal, « il est assis à la droite de la Majesté divine », et surtout il est appelé « Fils de Dieu » : or c’était le titre qui était conféré au nouveau roi le jour de son sacre. « Tu es mon fils, moi, aujourd’hui je t’ai engendré », était l’une des phrases de la cérémonie du sacre (reprise par le psaume 2). Et le prophète Natan avait annoncé : « Moi, je serai pour lui un père ; et lui sera pour moi un fils. » (2 S 7,14). Et, à la différence des rois de la terre, lui, Il est roi sur toute la création, même les Anges : l’auteur nous dit  « il est devenu bien supérieur aux anges, dans la mesure même où il a reçu en héritage un nom si diffdérent du leur. »  (v. 4). Et lorsqu’il dit « Au moment d’introduire le Premier-né dans le monde à venir, il (Dieu) dit : Que se prosternent devant lui tous les anges de Dieu », l’auteur annonce que le Christ est Dieu lui-même ! Puisque Dieu seul a droit à l’adoration des Anges.
Prêtre, prophète et roi, Jésus l’est donc, c’est pourquoi on peut l’appeler Christ qui veut dire « Messie » ; mais ce texte nous révèle en même temps notre propre grandeur puisque notre vocation est d’être intimement unis à Jésus-Christ, de devenir à notre tour les reflets de la gloire du Père… d’être à notre tour appelés Fils… d’être rois en lui… prêtres en lui… prophètes en lui. Au jour de notre baptême, le prêtre nous a annoncé que, désormais, nous étions membres du Christ, Prêtre, Prophète et Roi.
Et si ce passage nous est proposé dès le jour de Noël, c’est pour que nous sachions déjà déchiffrer le mystère de la crèche à cette profondeur-là. L’enfant qui nous est donné à contempler est porteur de tout ce mystère-là et nous en lui, par lui et avec lui.
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Note sur Hébreux 1,3
Dans l’expression « Rayonnement de la gloire de Dieu », on peut entendre un écho de l’épisode de la Transfiguration de Jésus.
Compléments
On a longtemps cru que la lettre aux Hébreux était de saint Paul. Aujourd’hui, on dit souvent par manière de boutade : « Ce n’est pas une lettre, elle n’est pas de saint Paul, elle ne s’adresse pas aux Hébreux. » Le mot « Hébreux », dans cet écrit, désigne probablement d’anciens Juifs devenus chrétiens. Cela expliquerait ses allusions très fréquentes aux textes bibliques et aux pratiques juives.

EVANGILE – selon Saint Jean 1,1-18
1 Au commencement était le Verbe,
et le Verbe était auprès de Dieu,
et le Verbe était Dieu.
2 Il était au commencement auprès de Dieu.
3 C’est par lui que tout est venu à l’existence,
et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui.
4 En lui était la vie,
et la vie était la lumière des hommes ;
5 la lumière brille dans les ténèbres,
et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée.
6 Il y eut un homme envoyé par Dieu ;
son nom était Jean.
7 Il est venu comme témoin,
pour rendre témoignage à la Lumière,
afin que tous croient par lui.
8 Cet homme n’était pas la Lumière,
mais il était là pour rendre témoignage à la Lumière.
9 Le Verbe était la vraie Lumière,
qui éclaire tout homme
en venant dans le monde.
10 Il était dans le monde,
et le monde était venu par lui à l’existence,
mais le monde ne l’a pas reconnu.
11 Il est venu chez lui,
et les siens ne l’ont pas reçu.
12 Mais à tous ceux qui l’ont reçu,
il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu,
eux qui croient en son nom.
13 Ils ne sont pas nés du sang,
ni d’une volonté charnelle,
ni d’une volonté d’homme :
ils sont nés de Dieu.
14 Et le Verbe s’est fait chair,
il a habité parmi nous,
et nous avons vu sa gloire,
la gloire qu’il tient de son Père
comme Fils unique,
plein de grâce et de vérité.
15 Jean le Baptiste lui rend témoignage en proclamant :
« C’est de lui que j’ai dit :
Celui qui vient derrière moi
est passé devant moi,
car avant moi il était. »
16 Tous, nous avons eu part à sa plénitude,
nous avons reçu grâce après grâce ;
17 car la Loi fut donnée par Moïse,
la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ.
18 Dieu, personne ne l’a jamais vu ;
le Fils unique, lui qui est Dieu,
lui qui est dans le sein du Père,
c’est lui qui l’a fait connaître.

LA CREATION EST LE FRUIT DE L’AMOUR
« Au commencement » : Jean reprend volontairement le premier mot de la Genèse (« Bereshit ») ; il faut entendre la profondeur de ce mot : ce n’est pas une précision d’ordre chronologique !  Ce qui commence, c’est ce qui commande toute l’histoire humaine, c’est l’origine, le fondement de toutes choses …
« Au commencement était le VERBE » : tout est mis sous le signe de la Parole, Parole d’Amour, Dialogue… Voilà l’Origine, le commencement de toutes choses… « Et le Verbe était au commencement auprès de Dieu » (v. 2-3) : en grec c’est « pros ton Théon »qui veut dire  littéralement « tourné vers Dieu » ; le Verbe était tourné vers Dieu…  C’est l’attitude du dialogue. Quand on dit « Je t’aime », ou quand on dialogue vraiment avec quelqu’un, on lui fait face ; on est « tourné vers lui » ; quand on lui tourne le dos, qu’on se détourne, le dialogue est rompu ; et il faudra faire demi-tour pour renouer le dialogue.
Ce que saint Jean nous dit ici est capital : la Création tout entière, puisque rien n’a été fait sans le Verbe, (la Création tout entière) est le fruit du dialogue d’amour du Père et du Fils ; et nous, à notre tour, nous sommes créés dans ce dialogue et pour ce dialogue. Nous sommes le fruit d’un dialogue d’amour. Bien sûr, c’est vrai concrètement au niveau de l’acte qui nous a engendrés chacun à la vie. Mais, spirituellement, nous pouvons nous dire que nous sommes le fruit de l’amour de Dieu. La vocation de l’humanité, d’Adam, pour reprendre le mot de la Genèse, c’est de vivre un parfait dialogue d’amour avec le Père.
Mais toute notre histoire humaine, malheureusement, étale le contraire. Le récit de la chute d’Adam et Eve, au deuxième chapitre de la Genèse, nous le dit à sa manière : il montre bien que le dialogue est rompu ; l’homme et la femme se sont méfiés de Dieu, ont soupçonné Dieu d’être mal intentionné à leur égard ; c’est le contraire même du dialogue d’amour ! Nous le savons bien : quand le soupçon traverse nos relations, le dialogue est empoisonné. Et, dans notre vie personnelle, toute l’histoire de notre relation à Dieu pourrait être représentée comme cela : nous sommes tantôt tournés vers lui, tantôt détournés et il nous faut alors faire demi-tour pour qu’il puisse renouer le dialogue… « Demi-tour », c’est exactement le sens du mot « conversion » dans la Bible.
NOTRE AVENIR : ENTRER DANS CE DIALOGUE
Le Christ, lui, vit en perfection ce dialogue sans ombre avec le Père : il vient prendre la tête de l’humanité ; j’ai envie de dire : il est le « OUI » de l’humanité au Père. Il vient vivre ce « OUI » au quotidien ; et alors, par lui, nous sommes réintroduits dans le dialogue primordial : « A tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. ». « Pouvoir devenir enfants de Dieu », c’est retrouver cette relation filiale, confiante, sans ombre. Et le seul but du Christ, c’est que l’humanité tout entière puisse rentrer dans ce dialogue d’amour ; « ceux qui croient en son nom », ce sont ceux qui lui font confiance, qui marchent à sa suite. « Pour que le monde croie » : c’est le souhait ardent de Jésus : « Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jn 17,21). Je reprends une phrase de Kierkegaard :  « Le contraire du péché, ce n’est pas la vertu, le contraire du péché, c’est la foi ».
« Croire », c’est faire confiance au Père, savoir en toutes circonstances, quoi qu’il nous arrive, que Dieu est bienveillant, ne jamais soupçonner Dieu, ne jamais douter de l’amour de Dieu pour nous et pour le monde… et du coup, bien sûr, regarder le monde avec ses yeux.
Regarder le monde avec les yeux de Dieu : « Le Verbe s’est fait chair, il a habité parmi nous », cela veut dire qu’il n’y a pas besoin de s’évader du monde pour rencontrer Dieu. C’est dans la  « chair » même, dans la réalité du monde que nous lisons sa Présence. Comme Jean-Baptiste, à notre tour, nous sommes envoyés comme témoins de cette Présence.

Homélie du dimanche 25 décembre

Dimanche 25 décembre 2022
La nativité du Seigneur

« Voici venir le Seigneur Souverain. Il aura pour nom Emmanuel, car il sera Dieu avec nous. » (Isaïe)
La divinité assume notre humanité, elles ne font plus qu’un en cet enfant de Bethléem. Nous le disons en chaque Eucharistie : Puissions-nous, nous aussi, être unis à la divinité de celui qui a pris notre humanité. »
Elles ne font plus qu’un en cet adolescent de l’atelier de Nazareth qui, au milieu de ses amis chante sur la place de son village, ce qu’il évoque en une citation de la parabole. En cette nuit de Bethléem, ce sont les anges qui chantent au milieu des bergers.
L’humanité et la divinité ne font plus qu’un, en cet homme torturé sur la croix, comme tant de nos contemporains qui deviennent des martyrs.
Elles ne font plus qu’un en toute nuit et c’est la lumière que vit notre humanité d’enfants de Dieu.
« Le Verbe s’est fait « chair » et il a habité parmi nous », s’exclame saint Jean aux premières phrases de son Evangile. et c’est ainsi que le Verbe de Dieu nait au milieu des paysans de Bethléem, qui ignorent toute la richesse divine qui vient de se vivre et les rejoindre dans l’auberge de leur village.
Le Peuple de Dieu est toujours dans l’attente de la fraîcheur d’aimer.
Il connaît les lourdeurs de la vie,
La solitude et les faiblesses.
Au travers des siècles vécus, l’homme est impatient d’aimer, de se sentir aimé …
En cette nuit de la nativité, seuls, Marie et Joseph savent quel en est le secret « Voici mon bien-aimé qui vient ! Il escalade les montagnes, il franchit les collines, il accourt comme la gazelle, comme le petit d’une biche ! » (Cantique des Cantiques 2. 8 et 9)
Noël, c’est une rencontre d’amour avec Dieu, car chaque fois il se fait proche si notre attente nous fait aller au-devant de Lui. « Voici venir le Seigneur Souverain. Il aura pour nom Emmanuel, car il sera Dieu avec nous. » (Isaïe)
Le Verbe de Dieu est avec eux.

« Toute vie est un don pour ce monde »

« Toute vie est un don pour ce monde »

Un don fragile et précieux depuis son commencement jusqu’à sa fin naturelle

« Toute vie est un don pour ce monde », déclaration du Conseil permanent de la Conférence des évêques de France du 9 décembre 2022 au sujet de l’inscription du droit à l’avortement dans la constitution.

Jeudi 24 novembre 2022, l’assemblée nationale a voté à une large majorité l’inscription du droit à l’avortement dans la constitution. Au nom des évêques de France, nous voulons dire notre inquiétude devant ce que signifierait cette inscription. Nous souhaitons redire ce qui nous semble au contraire fondamental : toute vie est un don pour ce monde, un don fragile et précieux, infiniment digne, à accueillir et à servir depuis son commencement jusqu’à sa fin naturelle.

Il y a aujourd’hui près de 220.000 avortements par an en France. Chiffre record dans la Communauté européenne, chiffre qui ne diminue pas et tend même à augmenter. Comment pourrions-nous voir cette réalité dramatique comme le seul exercice d’un droit pour les femmes ou encore comme un progrès ?

Homélie du dimanche 18 décembre

Dimanche 18 décembre 2022
Quatrième dimanche de l’Avent

Références bibliques :
Lecture du livre du prophète Isaïe : 7. 10 à 16 : « On l’appellera Emmanuel, c’est-à-dire, Dieu avec nous. »
Psaume 23 : « Voici le peuple de ceux qui le cherchent, qui recherchent la face de Dieu. »
Lettre de saint Paul aux Romains : 1. 1 à 7 : « La Bonne Nouvelle que Dieu avait déjà promise par ses prophètes dans les saintes Ecritures. »
Evangile selon saint Matthieu : 1. 18 à 24 : « L’enfant qui est engendré en elle vient de l’Esprit-Saint. Tu lui donneras le nom de Jésus, c’est-à-dire : le Seigneur sauve. »
***
Nous vous invitons à relire la révélation faite à Joseph à la lumière du prophète Isaïe, de saint Paul aux Romains et de la précision qu’ajoute saint Matthieu avant que saint Joseph ne se réveille.
JOSEPH ET MARIE
Marie et Joseph avaient bâti un projet de vie commune. Comme pour Marie, le plan de Dieu dérange et déroute Joseph de son projet. Ils deviennent tous deux les artisans et les acteurs de ce projet divin. Marie le fut au moment de l’Annonciation, et l’on comprend sa première réaction. La mission que Joseph reçoit c’est-à-dire sa mission pour tant d’années à venir, envers cette naissance future le fait revenir sur sa décision immédiate de se séparer de Marie.
L’un et l’autre accueillent l’événement,qui doit durer des années, au travers de leur caractère propre, de leur situation différente et de ce que Dieu attend de chacun d’eux. C’est le don d’eux-mêmes, gratuit et sans condition, qui est la réponse de leur foi quand ils apprennent l’attente de Dieu à leur égard.
Nous n’avons rien à imaginer de plus que ce qu’en dit l’Evangile. Ceux qui vivent dans l’intimité de Dieu ne parlent guère de ce qu’est cette intimité dans la réalité quotidienne. Mais leur comportement immédiat et ultérieur est significatif de leur vécu.
AVEC MARIE
Comme Marie, Joseph connaissait les prophètes. Ils les avaient entendus et commentés à la synagogue et dans leurs familles.
Désormais par la méditation des textes prophétiques, ils se savent impliqués directement « dans cette Bonne Nouvelle que Dieu avait déjà promise par ses prophètes dans les saintes Ecritures. » (Romains 2. 1) Marie, en relisant les paroles d’Isaïe, va mesurer peu à peu cette grâce : son fils « qu’on appellera Emmanuel, Dieu avec nous ». Joseph, en se remémorant les paroles du même prophète (Isaïe 43. 11), va découvrir la mission du fils de Marie qu’il a prise chez lui.
Saint Matthieu, d’ailleurs, relie ces deux termes : « Emmanuel » et « Jésus » au moment où Joseph répond à ce que l’ange lui a prescrit. Or ces deux noms, dans toute la tradition religieuse juive, déterminaient l’identité et la mission du Messie: « Dieu avec nous » … « Dieu sauveur »…
Alors conviés tous deux à participer directement à la réalisation de ce projet de Dieu vis-à-vis de son Peuple, pouvaient-ils rester sans en parler entre eux, dans les mois de l’attente, dans les années de l’enfance, dans les années de l’adolescence ? Pouvaient-ils rester sans prier ensemble les psaumes : »Dieu le sauveur des coeurs droits » (psaume 7), « Seigneur, mon Dieu sauveur ! » (psaume 88)
C’est leur secret. Nous n’avons pas à vouloir le percer en imaginant un commentaire de l’Évangile selon nos propres vues. Gardons seulement présente cette affirmation : »Marie conservait tout cela dans son cœur. » Et Joseph avec elle.
SON EPOUSE
Joseph avait accepté les exigences de la nouvelle situation de Marie, lorsqu’il l’avait vu enceinte au retour de la Judée. Par délicatesse, il avait voulu lui rendre sa liberté afin de ne pas s’immiscer dans une décision qui, à première vue, ne pouvait venir que d’elle.
Quand l’ange lui atteste que cette décision vient de Dieu et que son exigence le dessaisit de sa paternité, Joseph assume avec autant d’amour et de discrétion cette responsabilité d’une paternité autre que celle qu’il avait envisagée auparavant.
Car donner le nom à un enfant signifiait par là même qu’on en assumait la paternité. Il adopte Jésus. Jésus le charpentier est bien le fils du charpentier, comme le sont tant d’autres enfants adoptés qui s’insèrent, grâce à l’amour offert, dans une famille qui ne leur est plus étrangère.
Marie exprimera cette intimité avec Joseph lorsqu’elle dira à Jésus : »Pourquoi as-tu agi ainsi envers nous ? Ton père et moi, tourmentés, nous te cherchions. » (Luc 2. 48)
CO-RESPONSABILITE
Participant à la réalisation quotidienne de l’Incarnation du Fils de Dieu, Joseph est, avec Marie, le pédagogue du Fils de l’Homme, dans cet échange où le père et l’ouvrier charpentier initie l’enfant, l’adolescent, le jeune homme, à la vie sociale et au travail manuel, jour après jour, jusqu’à son âge adulte (Luc 2. 52).
Dans cette vie familiale, Joseph et Marie acquièrent en eux-mêmes une connaissance unique de Dieu. « Qui me voit, voit le Père » a dit Jésus à ses apôtres. (Jean 14. 7 à 9) « Personne ne connaît qui est le Fils, sinon le Père. Et personne ne connaît le Fils sinon le Père et celui à qui le Fils veut le révéler » (Luc 10. 22) Et il leur a été révélé que leur enfant, c’est « Dieu parmi nous », « Dieu sauve » !
Cette connaissance se fera progressivement et d’une manière limitée par leur condition humaine. Ils ne comprennent pas immédiatement tout de l’infini du mystère dont ils sont les artisans quotidiens à Nazareth. « Ils ne comprirent pas …  » (Luc 2. 50) même s’ils l’appellent plusieurs fois par jour de ce nom « Dieu sauve », « Jésus ». Jésus les dépasse. Il leur faut et il nous faut accepter le temps de la pédagogie divine.
NOTRE PARCOURS AVEC EUX
Si Joseph et Marie sont les éducateurs de Jésus, leur enfant est aussi leur pédagogue dont chaque geste et chaque parole résonnent et s’inscrivent dans leur coeur en les replaçant dans l’exigence initiale : »Qui est ma mère ? Celle qui fait la volonté de mon Père. » (Luc 8. 20)
L’Eglise, par le temps de l’Avent, nous propose un même parcours pédagogique, car il nous faut chaque année et sans cesse reprendre conscience de la réalité de notre foi : Dieu lui-même, en Jésus-Christ, est venu rejoindre l’humanité pour son salut. Cette reprise de conscience est d’autant plus nécessaire que nous vivons en permanence une lutte intérieure entre la grâce de la foi qui nous invite à l’ouverture à Celui qui nous dépasse et la pesanteur humaine qui nous conduit au terre-à-terre immédiat.
C’est là l’enjeu de notre conversion. L’homme livré à lui-même fait l’expérience spontanée de sa finitude. A ce niveau, deux chemins paraissent possibles : ou bien rêver pour se donner quelques raisons de vivre, ou bien réduire peu à peu le champ de ses illusions pour survivre. Mais …..
…..La foi nous propose un autre chemin.
Elle est le mouvement par lequel, comme Joseph et Marie, l’homme et la femme que nous sommes accueillent la vision de Dieu sur nous-mêmes. Elle dépasse ainsi et souvent notre vision superficielle des choses, celle qui nous empêche bien souvent d’accéder à leur vérité. Ce n’est pas sans lutte intérieure que l’on peut entrer dans cette certitude que l’invisibilité apparente de Dieu atteste de sa présence.
***
Ce n’est pas par des discours rassurants que les chrétiens se feront les prophètes d’un avenir possible. « Tu nous as fait connaître l’Incarnation de ton Fils bien-aimé. Conduis-nous par sa passion et par sa croix, jusqu’à la gloire de la résurrection. » (prière de ce dimanche). Ce qui importe, c’est que leur foi en la présence de Dieu les conduise à la manifester.
Depuis que Dieu a pris notre condition humaine, chaque croyant est investi de cette présence. Il lui reste à être le témoin de cette foi et de cette espérance, au milieu de ses frères, humblement et dans les réalités quotidiennes.
« Apprends-nous, dans la communion à ce mystère, le vrai sens des choses de ce monde et l’amour des biens éternels. » (prière après la communion)

Commentaires du dimanche 18 décembre

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 18 décembre 2022
4éme dimanche de l’Avent

1ère lecture
Psaume
2ème lecture
Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Isaïe 7,10-16
En ces jours-là,
10 le SEIGNEUR parla ainsi au roi Acaz :
11 « Demande pour toi un signe de la part du SEIGNEUR ton Dieu,
au fond du séjour des morts
ou sur les sommets, là-haut. »
12 Acaz répondit :
« Non, je n’en demanderai pas,
je ne mettrai pas le SEIGNEUR à l’épreuve. »
13 Isaïe dit alors :
« Écoutez, maison de David !
Il ne vous suffit donc pas de fatiguer les hommes :
il faut encore que vous fatiguiez mon Dieu !
14  C’est pourquoi le Seigneur lui-même
vous donnera un signe :
Voici que la vierge est enceinte,
elle enfantera un fils,
qu’elle appellera Emmanuel
(c’est-à-dire : Dieu-avec-nous).
15     De crème et de miel il se nourrira,
jusqu’à ce qu’il sache rejeter le mal et choisir le bien.
16     Avant que cet enfant sache rejeter le mal
et choisir le bien,
la terre dont les deux rois te font trembler
sera laissée à l’abandon. »

LA PANIQUE EST MAUVAISE CONSEILLERE
Sans le savoir, nous venons d’assister à l’une des pages les plus dramatiques de l’histoire du peuple d’Israël ; nous sommes vers 735 avant J.C. : l’ancien royaume de David est divisé en deux petits royaumes, depuis environ deux cents ans ; deux rois, deux capitales : Samarie au Nord, Jérusalem au Sud ; c’est là, à Jérusalem, que règne la dynastie de David, celle dont naîtra le Messie ; pour l’instant, il est clair que le Messie n’est pas encore né ! Un jeune roi de 20 ans, Achaz, vient de monter sur le trône de Jérusalem, et dès le dernier son des trompettes du couronnement, il doit prendre des décisions très difficiles.
La Bible n’est pas un livre d’histoire, nous le savons bien ; et si les paroles du prophète Isaïe nous ont été conservées et transmises, c’est parce que la question qui se pose à Achaz est d’abord une question de foi. Pour prendre des décisions valables, il doit s’appuyer sur sa foi, c’est-à-dire ne compter que sur Dieu seul : Dieu a promis que la dynastie de David ne s’éteindrait pas ; il a promis, il tiendra ses promesses. Il n’abandonnera pas son peuple. C’est la conviction d’Isaïe.
Mais il est vrai que pour le jeune roi la responsabilité est très lourde ; la situation politique est inquiétante, le petit royaume de Jérusalem est pris en étau entre deux camps rivaux : le premier camp, c’est la puissance montante au Proche-Orient, l’empire Assyrien, dont la capitale est Ninive (actuellement, les ruines de Ninive sont tout près de Mossoul) ; il menace toute la région, et ses campagnes l’ont déjà mené jusqu’à Damas, en  Syrie, et en Samarie ; en 738, le roi de Damas et le roi de Samarie, vaincus, ont été obligés de capituler et de payer tribut.
L’autre camp, ce sont précisément ces deux petits royaumes de Syrie et de Samarie qui se révoltent contre Ninive et font le siège de Jérusalem pour détrôner Achaz et le remplacer par un autre roi qui acceptera d’être leur allié dans la guerre d’indépendance contre Ninive.
Achaz est pris de panique ; les versets précédents racontent que « le cœur du roi et le cœur de son peuple furent secoués comme les arbres de la forêt sont secoués par le vent » (Is 7,2). Isaïe commence par l’inviter au calme et à la confiance ; il lui dit quelque chose comme « fais confiance à Dieu, ta dynastie ne peut pas s’éteindre, puisqu’il l’a promis » ; et donc le conseil d’Isaïe c’est « affronte tranquillement les menaces qui se présentent, mise sur ta foi et sur les ressources de ton peuple ». Et il ajoute : « la foi est votre survie ; si vous ne croyez pas, toi et ton peuple, vous ne subsisterez pas. »
Mais Achaz n’écoute plus ; lui, le dépositaire de la foi au Dieu unique, offre des sacrifices à toutes les idoles et il va même jusqu’à faire la chose la plus atroce, malheureusement courante à cette époque dans les autres peuples, mais que tous les prophètes ont toujours interdite : il a tué son fils unique pour l’offrir en sacrifice ; le deuxième livre des Rois dit « il fit passer son fils par le feu » (2 R 16,3).
Finalement Achaz ne voit qu’une issue : pour éviter la menace immédiate de ses deux voisins, les rois de Damas et de Samarie, il est décidé à demander l’appui de l’empereur assyrien ; Isaïe est très opposé à cette solution, car tout se paie ! Achaz, en demandant cet appui, perd son indépendance politique et religieuse : c’est balayer d’un coup toute l’oeuvre de libération entreprise depuis Moïse.
LA FIDELITE DE DIEU MALGRE L’INFIDELITE DES HOMMES
Et c’est là qu’Isaïe prononce les paroles que nous avons entendues aujourd’hui : comme on le voit, avant d’être adressées à nos oreilles de chrétiens, avec une signification pour nous, elles ont d’abord été prononcées dans une situation particulière très concrète. Il dit à Achaz (sous-entendu puisque tu as du mal à croire) « Demande pour toi un signe de la part du SEIGNEUR ton Dieu, au fond du séjour des morts
ou sur les sommets, là-haut. » (puisque Dieu règne partout).
Achaz lui fait une réponse abominablement hypocrite : lui qui a déjà pris sa décision, tout-à-fait contraire aux conseils du prophète, et pire, lui qui, dans sa panique, a sacrifié son fils unique, sur qui reposait la promesse de Dieu, il dit en substance : « Oh non ! Loin de moi l’idée d’oser exiger quelque chose de Dieu ! » C’est là qu’Isaïe, qui n’est pas dupe, lui dit « il ne vous suffit pas de fatiguer les hommes, il faut encore que vous fatiguiez mon Dieu » et intentionnellement, il dit « mon Dieu » car il estime qu’Achaz se conduit comme s’il n’était plus dans l’Alliance.
Mais même devant ces infidélités répétées d’Achaz, Isaïe annonce que Dieu, lui, reste fidèle ; et Dieu va en donner la preuve : la « jeune femme » 1 (c’est-à-dire la jeune reine) est enceinte ; et l’enfant qu’elle va donner au roi s’appellera justement « Dieu est avec nous ». Car ni les ennemis qui veulent détrôner Achaz, ni lui-même qui immole son fils n’empêcheront la fidélité promise par Dieu à la descendance de David et à son peuple.
Enfin les promesses concernent cet enfant-roi : « Il saura rejeter le mal et choisir le bien… » (ce qui veut dire : il recevra à son tour l’esprit du Seigneur pour être capable de rejeter le mal et de choisir le bien). Et la dernière promesse, c’est « Avant que cet enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, (c’est-à-dire avant même que cet enfant ait grandi), la terre dont les deux rois te font trembler sera laissée à l’abandon ». Traduisez : quant à la menace des deux rois de Damas et de Samarie, elle sera vite oubliée puisque d’ici peu on ne parlera même plus d’eux. Effectivement, très peu de temps après les paroles d’Isaïe, les deux royaumes de Syrie et de Samarie ont été complètement écrasés par l’empire assyrien, leurs richesses emmenées à Ninive et leurs populations déplacées.
Il reste que les hommes et les rois demeurent libres ; et le jeune roi annoncé ici, le petit Ezéchias, commettra des erreurs à son tour ; mais la prophétie d’Isaïe restera toujours valable : quelles que soient les infidélités des hommes, rien n’empêchera la fidélité promise par Dieu à la descendance de David et à son peuple. C’est ainsi que, de siècle en siècle, on gardera au coeur les promesses de Dieu, avec la certitude qu’un jour, peut-être lointain, viendra enfin un roi digne de porter le nom d’Emmanuel.
——————
Note
1 – « Voici que la jeune femme est enceinte » : le texte hébreu du livre d’Isaïe emploie ici un mot qui ne signifie pas « la jeune fille vierge », mais une jeune femme mariée.
Complément
Premier étonnement : en quoi une naissance d’un bébé au palais royal mérite-t-elle une annonce aussi solennelle ? En réalité cette annonce dit plus qu’un heureux événement : plus que d’un berceau, elle parle de pardon. Car, en sacrifiant son fils, le dauphin, à une divinité païenne, le dieu Moloch, sous prétexte que l’ennemi était aux portes de la ville sainte, le jeune roi Achaz vient de commettre l’irréparable. C’est évidemment un grave manque de confiance en Dieu, mais c’est aussi un sabotage caractérisé de l’avenir de la dynastie. Car Dieu avait promis à David une royauté perpétuelle sur le trône de Jérusalem. Après le crime du roi, que restait-il de cette promesse ? Mais c’est compter sans la fidélité de Dieu !

PSAUME – 23 (24), 1-2. 3-4. 5-6
1 Au SEIGNEUR, le monde et sa richesse,
la terre et tous ses habitants !
2 C’est lui qui l’a fondée sur les mers
et la garde inébranlable sur les flots.
3 Qui peut gravir la montagne du SEIGNEUR
et se tenir dans le lieu saint ?
4 L’homme au coeur pur, aux mains innocentes,
qui ne livre pas son âme aux idoles.
5 Il obtient, du SEIGNEUR, la bénédiction,
et de Dieu son Sauveur, la justice.
6 Voici le peuple de ceux qui le cherchent
qui recherchent la face de Dieu !

QUI PEUT SE TENIR EN PRESENCE DE DIEU ?
Comme dans presque tous les psaumes, nous sommes au Temple de Jérusalem : une gigantesque procession s’avance : à l’arrivée aux portes du Temple, deux chorales alternées entament un chant dialogué : « Qui gravira la montagne du SEIGNEUR ? » (On sait que le temple est bâti sur la hauteur) ; « Qui pourra tenir sur le lieu de sa sainteté ? » Déjà Isaïe comparait le Dieu trois fois saint à un feu dévorant : au chapitre 33, il posait la même question : « Qui de nous tiendra devant ce feu dévorant ? Qui tiendra devant ces flammes éternelles ? » sous-entendu « par nous-mêmes, nous ne pourrions pas soutenir sa vue, le flamboiement de son rayonnement ». Cette question est en réalité le cri de triomphe du peuple élu : admis sans mérite de sa part dans la compagnie du Dieu saint ; telle est la grande découverte du peuple d’Israël : Dieu est le Saint, le tout-Autre ; « Saint, Saint Saint le SEIGNEUR Dieu de l’univers » chantaient les séraphins pendant l’extase d’Isaïe au jour de sa vocation (Is 6,3)… et en même temps ce Dieu tout-Autre se fait le tout-proche de l’homme et lui permet de « tenir »,  comme dit Isaïe, en sa compagnie.
Le chant continue : « l’homme au coeur pur, aux mains innocentes, qui ne livre pas son âme aux idoles » : voilà la réponse, voilà l’homme qui peut « tenir » devant Dieu. Il ne s’agit pas ici, d’abord, d’un comportement moral : puisque le peuple se sait admis devant Dieu, sans mérite de sa part ; il s’agit d’abord ici de l’adhésion de la foi au Dieu unique, c’est-à-dire du refus des idoles. La seule condition exigée du peuple élu pour pouvoir « tenir » devant Dieu c’est de rester fidèle au Dieu unique. C’est de « ne pas livrer son âme aux idoles », pour reprendre les termes de notre psaume. D’ailleurs, si on y regarde de plus près, la traduction littérale serait : « l’homme qui n’a pas élevé son âme vers des dieux vides » : or l’expression « lever son âme » signifie « invoquer » ; « lever les yeux vers quelqu’un » en langage biblique, cela veut dire le prier, le supplier, le reconnaître comme Dieu. L’homme qui peut tenir devant le Dieu d’Israël, c’est celui qui ne lève pas les yeux vers les idoles, comme le font les autres peuples.
« L’homme au coeur pur » cela veut dire la même chose : le mot « pur » dans la Bible a le même sens qu’en chimie : on dit qu’un corps chimique est pur quand il est sans mélange ; le coeur pur, c’est celui qui se détourne résolument des idoles pour se tourner vers Dieu seul.
« L’homme aux mains innocentes », c’est encore dans le même sens ; les mains innocentes, ce sont celles qui n’ont pas offert de sacrifices aux idoles, ce sont celles aussi qui ne se sont pas levées pour la prière aux faux dieux.
Il faut entendre le parallélisme entre les deux lignes (on dit les deux « stiques ») de ce verset : « L’homme au coeur pur, aux mains innocentes… qui ne livre pas son âme aux idoles. » Le deuxième membre de phrase est synonyme du premier. Traduisez : « L’homme au coeur pur, aux mains innocentes, c’est celui qui ne livre pas son âme aux idoles. »
L’HOMME AU CŒUR PUR, TOURNE VERS DIEU SEUL
Nous touchons là à la lutte incessante que les prophètes ont dû mener pour que le peuple élu abandonne définitivement toute pratique idolâtrique ; dans la première lecture, nous avions vu Isaïe aux prises avec le roi Achaz au huitième siècle ; mais ce ne sera pas fini ; pendant l’Exil à Babylone le peuple, en contact avec une civilisation polythéiste, victorieuse de surcroît, sera tenté de retomber ; ce psaume chanté au retour de l’Exil réaffirme encore avec force cette condition première de l’Alliance. Israël est le peuple qui, de toutes ses forces, « recherche la face de Dieu », comme dit le dernier verset. L’expression « rechercher la face » était employée pour les courtisans qui voulaient être admis en présence du roi : manière de nous rappeler que, pour Israël, le seul véritable roi, c’est Dieu lui-même.
Tandis que les idoles ne sont que des « dieux vides » comme on dit ; à commencer par le veau d’or sculpté dans le Sinaï pendant l’Exode, au moment où Moïse avait le dos tourné, si j’ose dire ; parce que Moïse tardait à redescendre de la montagne, où il avait rencontré Dieu, le peuple a fait le siège d’Aaron jusqu’à ce qu’il accepte de leur prendre tout leur or pour en faire le fameux veau. Les prophètes n’ont pas de mots trop sévères pour fustiger ceux qui fabriquent de toutes pièces une statue, pour ensuite s’agenouiller devant elle.
Le psaume 115 (113 en liturgie) est très clair à ce sujet : « Leurs idoles sont d’or et d’argent, faites de main d’homme. Elles ont une bouche et ne parlent pas ; elles ont des yeux et ne voient pas ; elles ont des oreilles et n’entendent pas ; elles ont un nez et ne sentent pas ; des mains et elles ne palpent pas ; des pieds et ne marchent pas ; elles ne tirent aucun son de leur gosier… Notre Dieu, lui, est dans les cieux ; tout ce qu’il a voulu, il l’a fait. »
Cette fidélité au Dieu unique est la seule condition pour être en mesure d’accueillir la bénédiction promise aux patriarches, pour entrer dans le salut promis ; combat jamais tout-à-fait gagné puisque Jésus, à son tour, jugera utile de rappeler « Nul ne peut avoir deux maîtres… » (Mt 6,24).
A un deuxième niveau, cette fidélité au Dieu unique entraînera des conséquences concrètes dans la vie sociale : l’homme au coeur pur deviendra peu à peu un homme au coeur de chair qui ne connaît plus la haine ; l’homme aux mains innocentes ne fera plus le mal ; le verset suivant « il obtient de Dieu son Sauveur la justice » dit bien ces deux niveaux : la justice, dans un premier sens, c’est la conformité au projet de Dieu ; l’homme juste c’est celui qui remplit fidèlement sa vocation ; ensuite, la justice nous engage concrètement à conformer toute notre vie sociale au projet de Dieu qui est le bonheur de ses enfants.
En redisant ce psaume, on entend se profiler les Béatitudes : « Heureux les affamés et assoiffés de justice, ils seront rassasiés… Heureux les coeurs purs, ils verront Dieu ».
——————
Complément
« Lever les yeux » : on retrouve cette expression dans la fameuse phrase du prophète Zacharie reprise par saint Jean « Ils lèveront les yeux vers celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19,37).

DEUXIEME LECTURE – lettre de Saint Paul apôtre aux Romains 1,1-7
1 Paul, serviteur du Christ Jésus,
appelé à être Apôtre,
mis à part pour l’Évangile de Dieu,
à tous les bien-aimés de Dieu qui sont à Rome.
2 Cet Évangile, que Dieu avait promis d’avance
par ses prophètes dans les Saintes Écritures,
3concerne son Fils qui, selon la chair,
est né de la descendance de David
4 et, selon l’Esprit de sainteté,
a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu
par sa résurrection d’entre les morts,
lui, Jésus Christ, notre Seigneur.
5 Pour que son nom soit reconnu,
nous avons reçu par lui grâce et mission d’Apôtre,
afin d’amener à l’obéissance de la foi
toutes les nations païennes,
6 dont vous faites partie,
vous aussi que Jésus Christ a appelés.
7 À vous qui êtes appelés à être saints,
la grâce et la paix
de la part de Dieu notre Père
et du Seigneur Jésus Christ.

LE DESSEIN BIENVEILLANT DE DIEU
Ce sont les premiers mots que Paul adresse aux Romains ; en quelques lignes, nous avons déjà le résumé de toute la foi chrétienne : les promesses de Dieu dans les Ecritures, le mystère du Christ, sa naissance et sa Résurrection, l’élection gratuite du peuple saint, et la mission des Apôtres auprès des nations païennes. Je vous propose tout simplement une lecture en suivant.
S’adressant à une communauté chrétienne qu’il n’a encore jamais rencontrée, Paul se présente : son titre est double « serviteur de Jésus-Christ », et « apôtre » c’est-à-dire en quelque sorte mandaté ; il n’agit qu’en service commandé : voilà la source de toutes ses audaces.
Au passage, il faut noter le titre donné à Jésus : « Christ » ; à lui seul, c’est une profession de foi. Pour nous, dire « Jésus » ou dire le « Christ », c’est la même chose ; après deux mille ans de foi chrétienne, c’est normal ; mais ses contemporains faisaient la différence : « Jésus », c’est un prénom qui désigne quelqu’un ; le « Christ », c’est un titre puisque « Christ » signifie « Messie » : c’est tout simplement la traduction grecque du mot hébreu « Messie ». Dire Jésus-Christ, c’est déjà affirmer le tout de la foi chrétienne : ce Jésus de Nazareth est le Messie.
Paul continue « Mis à part pour l’Evangile de Dieu » : on sait qu’Evangile veut dire « Bonne Nouvelle » ; pour bien faire, il faudrait renverser la formule : annoncer la Bonne Nouvelle, c’est annoncer que la Nouvelle est Bonne ! C’est annoncer que le dessein de Dieu, le projet de Dieu est bienveillant, j’aurais envie de dire « le dessein de Dieu n’est que bienveillant » ; être chrétien, c’est tout simplement annoncer deux choses : premièrement que le dessein de Dieu n’est que bienveillant et deuxièmement qu’il est accompli en Jésus-Christ. C’est exactement ce que fait Paul dans ces quelques lignes.
Reprenons le texte : « Cette Bonne Nouvelle, Dieu l’avait déjà promise par ses prophètes dans les Saintes Ecritures » ; je crois fermement qu’on ne peut rien comprendre à l’Evangile et à l’ensemble du Nouveau Testament si on n’est pas imprégné de l’Ancien Testament : les deux font un tout indissociable ; le dessein de Dieu est prévu depuis l’aube du monde, et c’est peu à peu que Dieu l’a révélé à son peuple par la bouche de ses prophètes.
LA RESURRECTION DU CHRIST, EVENEMENT CENTRAL DE L’HISTOIRE
« Cette Bonne Nouvelle concerne son Fils » dit Paul : il faut entendre le mot « concerner » en un sens beaucoup plus fort qu’on ne l’emploie aujourd’hui. Pour Paul, Jésus-Christ est depuis toujours au centre du projet de Dieu : c’est ce qu’il dit lorsqu’il parle du dessein bienveillant dans sa lettre aux Ephésiens : « Il (Dieu) nous dévoile le mystère de sa volonté, selon que sa bonté l’avait prévu dans le Christ : pour mener les temps à leur plénitude, récapituler toutes choses dans le Christ, celles du ciel et celles de la terre. » C’est-à-dire que depuis toujours et dès l’origine du monde, Dieu poursuit son projet de rassembler l’humanité tout entière unifiée en Jésus-Christ.
« Selon la chair, il est né de la race de David » : il est homme, membre du peuple élu, descendant de David ; il remplit bien les conditions pour être le Messie. « Selon l’Esprit qui sanctifie, il a été établi dans sa puissance de Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts » : traditionnellement, le titre de fils de Dieu était donné à chaque roi le jour de son couronnement ; pour Jésus-Christ c’est le jour de sa résurrection que Dieu l’a intronisé comme roi de l’humanité nouvelle. Pour Paul, la Résurrection du Christ est vraiment l’événement qui bouleverse la face du monde.
Curieusement, Paul ne parle pas de la mort du Christ, mais seulement de sa Résurrection : on sait qu’elle est pour lui le premier article de foi. « Si Jésus-Christ n’est pas ressuscité, votre foi est sans contenu » dit-il aux Corinthiens (1 Co 15,14). C’est cette résurrection du Christ que Paul va annoncer partout « Pour que le nom de Jésus-Christ soit reconnu », comme il dit. On retrouve ici la si belle formule de la lettre aux Philippiens : « Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom », entendez le nom même de Seigneur qui était réservé à Dieu et qui, désormais, est attribué à Jésus lui-même.
Il s’agit « d’amener à l’obéissance de la foi toutes les nations païennes ». Curieuse formule, aujourd’hui, pour nos mentalités peu favorables à tout ce qui ressemble à de l’obéissance. Mais chez Paul, imprégné de l’Ancien Testament et des découvertes progressives qu’ont faites les hommes de la Bible, le mot « obéissance » n’est pas servilité, abaissement ; il signifie l’écoute confiante de celui qui se sait en sécurité et peut donc suivre les conseils qui lui sont donnés ; c’est l’attitude filiale par excellence. « Amener à l’obéissance de la foi toutes les nations païennes », c’est leur annoncer la Bonne Nouvelle : quand elles auront compris que la Nouvelle est Bonne, elles pourront en toute confiance mettre leur oreille sous cette parole d’amour du Père.
Paul termine par un souhait très habituel chez lui ; c’est le souhait le plus beau que l’on puisse faire à quelqu’un : « À vous qui êtes appelés à être saints, la grâce et la paix de la part de Dieu notre Père et du Seigneur Jésus Christ. » Comme toujours on sait que ces souhaits au subjonctif (que la grâce et la paix soient avec vous) ne supposent pas que Dieu pourrait ne pas nous donner sa grâce et sa paix ; grâce et paix nous sont toujours offertes par Dieu, mais nous restons libres de ne pas les accueillir : ce subjonctif dit notre liberté.
Paul ne fait que reprendre ici la superbe formule du livre des Nombres (Nb 6,24-26) : « Que le SEIGNEUR te bénisse et te garde, que le SEIGNEUR fasse briller sur toi son visage ; qu’il te prenne en grâce ! Que le SEIGNEUR tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte la paix ! ».

EVANGILE – selon Saint Matthieu 1,18-24
18 Voici comment fut engendré Jésus Christ :
Marie, sa mère, avait été accordée en mariage à Joseph ;
avant qu’ils aient habité ensemble,
elle fut enceinte par l’action de l’Esprit Saint.
19 Joseph, son époux,
qui était un homme juste,
et ne voulait pas la dénoncer publiquement,
décida de la renvoyer en secret.
20 Comme il avait formé ce projet,
voici que l’ange du Seigneur
lui apparut en songe et lui dit :
« Joseph, fils de David,
ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse,
puisque l’enfant qui est engendré en elle
vient de l’Esprit Saint ;
21 elle enfantera un fils,
et tu lui donneras le nom de Jésus
(c’est-à-dire : Le-Seigneur-sauve),
car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. »
22 Tout cela est arrivé
pour que soit accomplie
la parole du Seigneur prononcée par le prophète :
23 Voici que la Vierge concevra,
et elle enfantera un fils ;
on lui donnera le nom d’Emmanuel,
qui se traduit : « Dieu-avec-nous ».
24 Quand Joseph se réveilla,
il fit ce que l’ange du Seigneur lui avait prescrit :
il prit chez lui son épouse.

L’ANNONCIATION A JOSEPH
Saint Matthieu débute son évangile par la phrase « Livre de la genèse de Jésus-Christ1 » et il retrace une longue généalogie qui montre bien que Joseph est de la descendance de David ; il commence par « Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda et ses frères … » et ainsi de suite. Arrivé à Joseph qui se trouve être fils d’un autre Jacob, il dit comme on s’y attend « Jacob engendra Joseph », mais ensuite, il ne peut plus employer la même formule : il ne peut évidemment pas dire « Joseph engendra Jésus » ; il dit « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus, que l’on appelle Christ ». (Mt 1,16).
Ce verset montre bien la rupture dans la généalogie : selon la formule habituelle (« Joseph engendra Jésus ») celui-ci serait automatiquement de la lignée de David ; mais ici, pour que Jésus soit inscrit dans cette lignée, il faut qu’il soit adopté par Joseph : déjà le Fils de Dieu est livré aux mains des hommes, le dessein de Dieu est suspendu à l’acceptation, au bon vouloir d’un homme, Joseph. C’est dire l’importance de notre récit pour Matthieu.
Or nous connaissons bien le récit de l’Annonciation (dans l’évangile de Luc), « l’annonce faite à Marie » comme disait Claudel ; il a inspiré d’innombrables tableaux, sculptures, vitraux… Mais curieusement, l’annonce faite par l’ange à Joseph a inspiré des artistes beaucoup moins nombreux.
Et pourtant, cette acceptation libre d’un homme juste conditionne le début de l’histoire humaine de Jésus. Matthieu y insiste encore : quand l’Ange s’adresse à Joseph, il l’appelle « fils de David » ; les paroles qui suivent montrent bien le mystère de la filiation de Jésus : engendré par l’Esprit-Saint et non par Joseph, il sera cependant reconnu comme son fils : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse » veut dire que Jésus sera introduit dans sa maison ; et d’autre part, c’est Joseph qui donnera à Jésus son nom.
A propos de ce nom de Jésus, Matthieu en donne le sens, « Jésus veut dire le Seigneur sauve » et il explique « Car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ». Précision intéressante : le peuple juif attendait impatiemment le Messie et pas seulement un Messie politique qui le libérerait de l’occupation romaine. Nous avons déjà eu l’occasion de parler de cette attente messianique : on attendait un roi, un leader politique, c’est vrai, de la descendance de David, et c’est lui qui devait restaurer la royauté en Israël, mais on attendait aussi et surtout l’avènement du monde nouveau, de la création nouvelle, dans la justice et la paix pour tous. Il y a tout cela dans le nom de Jésus tel que Matthieu le comprend « c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés ».
Je reviens sur la phrase « l’enfant qui est engendré en Marie vient de l’Esprit Saint » : nous possédons deux textes sur la conception virginale de Jésus : ce passage de l’annonce à Joseph dans l’évangile de Matthieu et le parallèle de l’annonce à Marie chez Luc. La tradition de l’Eglise nous enseigne que les Ecritures, y compris le Nouveau Testament, sont inspirées par l’Esprit Saint. La conception virginale de Jésus est donc un article de foi. Bien évidemment, il ne s’agit pas de prétendre comprendre ni le pourquoi ni le comment de cette volonté souveraine de Dieu ; nous pouvons seulement nous émerveiller de ce plan qui fait de Jésus à la fois un homme, né d’une femme, venu au monde comme tout le monde si j’ose dire… descendant de David par le bon vouloir de Joseph, et en même temps Fils Unique de Dieu, conçu de l’Esprit Saint.
CONCU DE L’ESPRIT-SAINT, NE DE LA VIERGE MARIE
Je reprends le texte : Matthieu cite les Ecritures, et justement la promesse du prophète Isaïe à Achaz que nous avons entendue dans la première lecture : « Voici que la Vierge concevra et elle enfantera un fils ; on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit « Dieu-avec-nous » ».
Deux remarques sur cette citation de l’Ancien Testament par Matthieu : premièrement, le texte hébreu d’Isaïe disait « Voici que la jeune femme est enceinte » (En hébreu « alma » signifie l’épouse royale) et Matthieu, lui, parle d’une vierge (en grec, « parthenos »). En fait, Matthieu cite ici non le texte hébreu d’Isaïe mais la traduction grecque faite à Alexandrie vers 250 av.J.C. ; car déjà à l’époque de cette traduction, on pensait que le Messie naîtrait d’une Vierge.
Deuxième remarque sur le nom de Jésus, cette fois : l’ange dit : « Tu appelleras ton fils Jésus (c’est-à-dire : « le Seigneur sauve »), car c’est lui qui sauvera son peuple de ses péchés. » Et Matthieu commente : Tout cela est arrivé pour que soit accomplie la parole du Seigneur … on lui donnera le nom d’Emmanuel, qui se traduit : « Dieu-avec-nous ».
On a presque envie de demander : « Finalement, il s’appelle comment ? Jésus ? Ou Emmanuel ? Bien évidemment c’est le but de Matthieu ; et la réponse, il nous la donnera à la fin de son évangile. Cet enfant s’est appelé Jésus, nous le savons bien, (et cela veut dire « le Seigneur sauve son peuple de ses péchés ») mais quand il quittera les siens il leur dira « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps », ce qui est la traduction d’Emmanuel. Etre sauvé de ses péchés, c’est tout simplement savoir que Dieu est avec nous, ne plus jamais douter qu’il est avec nous et « vivre en sa présence » comme le disait le prophète Michée. C’est ce qu’a fait Joseph justement.
Dans le récit de la Visitation qui nous est rapporté par l’évangile de Luc, Elisabeth dit à Marie « Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. » (Lc 1,45). Ici, on est tenté de reprendre ces mêmes mots pour Joseph : « Bienheureux Joseph qui a cru : grâce à lui, Dieu a pu accomplir son dessein de salut ».
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Note
Dans son premier chapitre, Matthieu, parlant des origines de Jésus Christ, emploie deux fois le mot « genèse » (Mt 1,1.18). Ce n’est évidemment pas un hasard : car c’est le mot employé pour présenter la descendance d’Adam au chapitre 5 du livre de la Genèse. Le texte disait : « Voici le livre de la genèse d’Adam » ; en reprenant le même mot, Matthieu veut certainement suggérer que Jésus récapitule en lui toute l’histoire humaine. Paul dirait « il est le Nouvel Adam ».

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