Commentaires du dimanche 24 septembre

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 24 septembre 2023
25e dimanche du Temps ordinaire

1ère lecture
Psaume
2ème lecture
Evangile

PREMIERE LECTURE – Livre du prophète Isaïe 55,6-9
6 Cherchez le SEIGNEUR tant qu’il se laisse trouver ;
invoquez-le tant qu’il est proche.
7 Que le méchant abandonne son chemin,
et l’homme perfide, ses pensées !
Qu’il revienne vers le SEIGNEUR
qui lui montrera sa miséricorde,
vers notre Dieu, qui est riche en pardon.
8  Car mes pensées ne sont pas vos pensées,
et vos chemins ne sont pas mes chemins,
– oracle du SEIGNEUR.
9 Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre,
autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins,
et mes pensées, au-dessus de vos pensées.

« CHERCHEZ LE SEIGNEUR PUISQU’IL SE LAISSE TROUVER. »
« Cherchez le SEIGNEUR tant qu’il se laisse trouver. Invoquez-le tant qu’il est proche » : cela ne veut pas dire « Dépêchez-vous, il pourrait s’éloigner ! » Voilà, je crois, le contresens à ne pas faire ! Il n’existe pas de temps où Dieu ne se laisse pas trouver, il n’existe pas de temps où Dieu ne serait pas proche ! Il faut comprendre (et c’est le texte de la Traduction Oecuménique de la Bible, la TOB), « Cherchez le SEIGNEUR puisqu’il se laisse trouver. Invoquez-le puisqu’il est proche ». C’est toujours nous qui nous éloignons de Dieu. Et il est vrai que, dans notre liberté, nous nous éloignons parfois tellement de lui que nous perdons jusqu’au goût de le chercher.
Il faut bien voir dans quel esprit ces lignes sont écrites : Isaïe s’adresse ici à des gens complètement découragés ; en Exil à Babylone, dans des conditions extrêmement dures, le peuple d’Israël est tenté de croire que Dieu l’a abandonné. Et il en vient à se demander s’il est encore possible d’oser espérer le pardon de Dieu et la restauration du peuple élu. Ce doute et ce soupçon, il faut résolument leur tourner le dos ; ce sont, dit le prophète, des pensées méchantes, perverses. Elles nous trompent sur Dieu et nous éloignent de lui. La pensée perverse, précisément, ce serait de croire que Dieu pourrait n’être pas proche, que Dieu pourrait être inaccessible, que Dieu pourrait ne pas pardonner. Voilà déjà certainement une leçon très importante de ce texte. Ce n’est pas parce que Dieu semble silencieux qu’il est absent ou lointain.
On a là, comme très souvent dans la Bible, le thème du chemin : douter de Dieu, l’imaginer méchant, dur, vengeur, c’est prendre le chemin à l’envers, c’est nous éloigner de lui de plus en plus ; et du coup, puisque nous ne croyons pas à sa tendresse et à sa sollicitude, c’est nous en priver nous-mêmes ; l’adolescent soupçonneux ne profite plus des marques de tendresse que ses parents lui donnent pourtant ; il ne les voit plus puisqu’il leur tourne le dos. Isaïe dit : retournez-vous, revenez vers Dieu, vous redécouvrirez que Dieu a pitié de vous et qu’il est riche en pardon.
DIEU DE TENDRESSE ET DE PARDON
Cette découverte du Dieu de tendresse et de pardon est très présente dans l’Ancien Testament, bien avant la venue de Jésus sur la terre. Il suffit de relire les prophètes ; Osée, par exemple, a su trouver des phrases magnifiques pour dire les pensées de Dieu : « Mon cœur se retourne contre moi ; en même temps, mes entrailles frémissent. Je n’agirai pas selon l’ardeur de ma colère, je ne détruirai plus Israël, car moi, je suis Dieu, et non pas homme : au milieu de vous je suis le Dieu saint, et je ne viens pas pour exterminer. »  (Osée 11,8-9). En langage biblique, le mot « Saint » veut dire le Tout-Autre. Et c’est en cela que Dieu est le Tout-Autre, le Saint : Il est miséricorde, et Pitié et Pardon.
Ou encore Jérémie : « Moi, je connais les pensées que je forme à votre sujet – oracle du SEIGNEUR  – pensées de paix et non de malheur, pour vous donner un avenir et une espérance ». (Jr 29,11) Et, bien sûr, on pense à cette phrase magnifique de l’évangile : « Il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, il fait tomber la pluie sur les justes et sur les injustes » (Mt 5,45).
Il y a aussi ce merveilleux dialogue dans le livre de Jonas ; Jonas prend très mal l’indulgence de Dieu pour ces affreux Ninivites, l’ennemi héréditaire d’Israël : et il reproche à Dieu d’être trop bon  « Je savais bien que tu es un Dieu tendre et miséricordieux, lent à la colère et plein d’amour » (Jonas 4,2). Et Dieu se défend en disant « Et moi, comment n’aurais-je pas pitié de Ninive, la grande ville, où, sans compter une foule d’animaux, il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ne distinguent pas encore leur droite de leur gauche ? » (Jonas 4,11).
La Bible, dès l’Ancien Testament, est donc pleine de cette révélation du pardon de Dieu… et, à partir du moment où on l’a découvert, on ne voit plus que cela. A l’inverse, chaque fois que nous ne trouvons pas dans la Parole de Dieu cette annonce de la miséricorde et du pardon de Dieu toujours offert, c’est que nous n’avons pas compris le texte ! Le peuple d’Israël a eu le privilège de faire cette double découverte extraordinaire : Dieu est à la fois le Tout-Autre, le Saint et aussi le Tout-Proche, le « Dieu tendre et miséricordieux » révélé à Moïse (Exode 34,6).
DIEU TOUT-AUTRE, DIEU TOUT-PROCHE
Isaïe ramasse cette découverte dans cette phrase superbe : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées ». Cette distance infinie qui sépare le ciel de la terre est une image très parlante pour nous dire que Dieu, décidément, est le Tout-Autre. En même temps, il est le Tout-Proche, celui qui est « riche en pardon ».
Et je crois même qu’il faut aller plus loin : c’est précisément cette richesse de pardon qui constitue la distance infinie dont parle Isaïe et qui nous sépare de Dieu, autant que le ciel est séparé de la terre. Notre texte dit bien : « Notre Dieu est riche en pardon »… « CAR mes pensées ne sont pas vos pensées … » Tout tient dans cette petite conjonction « Car » ; mais, malheureusement, elle risque de passer inaperçue. Ce qu’Isaïe nous dit là, c’est que nous ne sommes pas sur le même registre que Dieu : Lui qui est l’amour même, Il est sur le registre de la gratuité, on dit « la grâce », le registre du pardon sans conditions. Nous, nous sommes sur le registre du calcul, du donnant-donnant. Nous voulons que les bons soient récompensés et les méchants punis. Nous parlons de « gagner » notre ciel ; nous calculons nos mérites ; ou bien nous disons « je ne mérite pas »  sans nous apercevoir qu’en disant cela, nous nous permettons de calculer à sa place ! Dieu, lui, ne nous demande pas de mériter quoi que ce soit ! Il dit seulement : « Que le méchant abandonne ses chemins, et l’homme perfide, ses pensées. Qu’il revienne vers notre Dieu qui est riche en pardon. CAR mes pensées ne sont pas vos pensées… » Dieu, lui, nous propose de vivre tout simplement une relation d’amour, donc gratuite, par définition. Il n’y a pas de banque ni de chéquier dans le royaume de l’amour, nous le savons bien.
Dernière remarque : « Mes pensées ne sont pas vos pensées » ; cette distance infinie qui nous sépare de Dieu explique la faiblesse de notre langage sur Lui ! Du coup, cette phrase devrait être pour nous une invitation à l’humilité et à la tolérance : humilité quand nous osons parler de Dieu, tolérance pour la façon dont les autres parlent de Lui : qui d’entre nous peut prétendre sonder les pensées de Dieu ?
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Complément
– Il y a encore cette phrase magnifique dans le livre des Chroniques : « Si mon peuple s’incline et prie, s’il recherche ma face et revient de sa conduite mauvaise, moi, j’écouterai depuis les cieux, je pardonnerai son péché et je guérirai son pays ». (2 Ch 7,14). Malheureusement, tant qu’on n’a pas découvert que Dieu est toujours et uniquement Amour et Pardon, on risque encore de lire à l’envers des phrases comme celle-ci : comme si Dieu mettait une condition à son pardon : « Si mon peuple s’incline »… En réalité, c’est nous qui mettons une condition : comment recevoir le pardon si nous ne le désirons pas ?

PSAUME – 144 (145), 2-3, 8-9, 17-18
2  Chaque jour je te bénirai,
je louerai ton nom toujours et à jamais.
3 Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué :
à sa grandeur, il n’est pas de limite.
8 Le SEIGNEUR est tendresse et pitié,
lent à la colère et plein d’amour ;
9 la bonté du SEIGNEUR est pour tous,
sa tendresse, pour toutes ses oeuvres.
17 Le SEIGNEUR est juste en toutes ses voies,
fidèle en tout ce qu’il fait.
18 Il est proche de ceux qui l’invoquent,
de tous ceux qui l’invoquent en vérité.

LA BONTE DU SEIGNEUR EST POUR TOUS
On ne pouvait pas trouver mieux que ce psaume 144/145 pour faire écho à la première lecture de ce dimanche ! Le prophète Isaïe résumait en quelques versets toute la foi d’Israël : la découverte d’un Dieu plein de pitié, riche en pardon et qui appelle son peuple en lui disant « reviens vers moi ». Ce psaume est la réponse du peuple qui revient à son Dieu : « Chaque jour je te bénirai, je louerai ton nom toujours et à jamais » ; c’est vraiment le cantique de la foi retrouvée.
Nous avons déjà rencontré ce psaume et admiré sa composition : si vous vous reportez à votre Bible, vous verrez qu’il est ce qu’on appelle un psaume « alphabétique » ; nous savons donc d’avance qu’il s’agit d’un psaume d’action de grâce pour l’Alliance : manière de dire « toute notre vie, de A à Z, (en hébreu de Aleph à Tav) baigne dans l’Alliance, dans la tendresse de Dieu. Deuxième remarque quant à la forme : le parallélisme d’une ligne à l’autre de chaque verset est particulièrement accentué : cela vaudrait la peine de le lire à deux voix ou deux choeurs alternés.
Si on regarde d’un peu plus près les six versets précis qui ont été retenus aujourd’hui, on remarquera deux choses : premièrement on a là un condensé de la Révélation à la fois très complet et très concis ; et, deuxièmement ils entrent en résonance parfaite avec les autres lectures de ce dimanche.
Je prends un exemple : « Il est grand, le SEIGNEUR, hautement loué, dit le psaume ; à sa grandeur, il n’est pas de limite. » Et Isaïe, dans la première lecture, avec ses mots à lui, nous dit également cette grandeur de Dieu : « Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées ». Mais Isaïe nous entraîne dans une voie imprévue et nous risquons d’être surpris : car la grandeur de ce roi n’est pas ce que nous croyons parfois, elle ne ressemble en rien aux fausses gloires et aux fausses grandeurs de la terre. C’est uniquement la grandeur de l’amour. Je résume sa prédication : « Que le méchant revienne vers Dieu qui est riche en pardon… CAR mes pensées ne sont pas vos pensées… » Il semble bien qu’aux yeux du prophète, la grandeur de Dieu réside précisément dans son pardon.
Et vous vous souvenez que nous avons lu il y a quelques semaines (seizième dimanche) un passage du livre de la Sagesse qui faisait écho à Isaïe : « Ta force est à l’origine de ta justice, et ta domination sur toute chose te permet d’épargner toute chose… toi qui disposes de la force, tu juges avec indulgence, tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement, car tu n’as qu’à vouloir pour exercer ta puissance. » (Sg 12,16.18).
Soyons francs, cette chanson-là n’est pas souvent celle des médias modernes ; et, pourtant, chacun de nous, dans l’intime de sa conscience, sait que c’est la vérité. La seule vraie grandeur d’un être humain, c’est sa capacité d’aimer. Après tout, ce n’est pas étonnant si nous sommes à l’image de Dieu !
L’ÉTONNANTE JUSTICE DE DIEU
Autre consonance entre le psaume et la lecture d’Isaïe, l’amour et le pardon de Dieu pour tous les êtres sans exception. « La bonté du SEIGNEUR est pour tous, sa tendresse, pour toutes ses œuvres » dit le psaume. Et Isaïe insistait sur ce pardon qui semble bien être la caractéristique de Dieu : « Que le méchant abandonne son chemin, et l’homme perfide, ses pensées ! Qu’il revienne vers le SEIGNEUR qui lui montrera sa miséricorde, vers notre Dieu qui est riche en pardon. » Mais, là encore, Isaïe nous entraîne plus loin que nous ne voudrions aller, peut-être : nous voulons bien entendre ici l’assurance que nos faiblesses, nos péchés seront pardonnés. Mais, au nom de ce que nous appelons la justice, il nous semble impensable que tous les grands pécheurs de tous les temps reçoivent le pardon de Dieu tout comme nous !
Et pourtant, si nous prenons au sérieux la prédication d’Isaïe, il va falloir convertir notre conception de la justice, tout simplement ! A vrai dire, Isaïe avait prévu notre difficulté à entendre ce genre de vérité, car il avait pris la précaution de préciser que ce qu’il annonçait ne représentait pas sa pensée à lui, mais qu’il s’agissait réellement d’une parole de Dieu. Il disait « Mes pensées ne sont pas vos pensées, et vos chemins ne sont pas mes chemins, oracle du SEIGNEUR ».
Et, d’ailleurs, l’évangile de ce dimanche va nous encourager à changer de logique ! Il s’agit de ce que nous appelons la parabole des ouvriers de la onzième heure. Le verset du psaume parle de la justice de Dieu, précisément ; il dit « Le SEIGNEUR est juste en toutes ses voies, fidèle en tout ce qu’il fait » ; la parabole, quant à elle, nous racontera l’histoire d’un chef d’entreprise donnant à tous ses serviteurs le même salaire, quelle que soit leur ancienneté dans la maison ou leur nombre d’heures de travail ; cela bien sûr au grand scandale de ceux qui ont fait le plus grand nombre d’heures. Le message de Jésus, ici, est très clair : « Ne vous y trompez pas » ; la plus grande justice au monde n’est pas celle de la balance, elle est celle de l’amour ; si vous aimez vos frères autant que vous-mêmes, vous vous réjouirez de mes largesses à leur égard.
Pour terminer, je m’arrête sur le dernier verset du psaume : « Le SEIGNEUR est proche de ceux qui l’invoquent, de tous ceux qui l’invoquent en vérité ». Ici peut-être, il y a une lecture perverse à éviter : le psalmiste ne dit pas que Dieu n’est proche que de ceux qui l’invoquent ! Mais Dieu respecte trop notre liberté pour forcer notre porte.

DEUXIEME LECTURE – lettre de saint Paul apôtre aux Philippiens 1,20c-24.27a
Frères,
20 soit que je vive, soit que je meure,
le  Christ sera glorifié dans mon corps.
21 En effet, pour moi vivre, c’est le Christ,
et mourir est un avantage.
22 Mais si, en vivant en ce monde,
j’arrive à faire un travail utile,
je ne sais plus comment choisir.
23 Je me sens pris entre les deux :
je désire partir
pour être avec le Christ,
car c’est bien préférable ;
24 mais, à cause de vous, demeurer en ce monde
est encore plus nécessaire.
27 Quant à vous,
ayez un comportement digne de l’Evangile du Christ.

POUR MOI VIVRE, C’EST LE CHRIST
Il est toujours émouvant de lire la lettre aux Philippiens : elle est pleine à la fois de la passion de Paul pour sa mission d’apôtre, de sa passion pour le Christ, et aussi de son affection toute simple et fraternelle pour ceux qu’il a connus là-bas ; cela nous vaut des développements théologiques qui volent très haut, comme on dit, et des confidences tout humaines d’un homme comme les autres à ses amis.
« Soit que je vive, soit que je meure » : Paul est en prison, c’est clair, d’après le reste de l’épître, mais on ne sait pas où ; à Rome, peut-être puisque, d’après cette lettre, il est visiblement en attente de jugement ; mais il a connu plusieurs emprisonnements, à Philippes même, à Jérusalem, une longue durée à Ephèse, probablement, sans compter deux années à Césarée maritime et au moins autant à Rome. En tout cas, lorsqu’il écrit cette lettre aux Philippiens, son procès est visiblement commencé et il sait très bien qu’il risque la mort. « Soit que je vive, soit que je meure, le Christ sera glorifié dans mon corps » : le mot « corps » ici veut dire la personne tout entière.
S’il est libéré, il pourra continuer sa mission d’évangélisation, et son temps de captivité et son procès lui auront permis de témoigner du Christ au tribunal. Il a écrit quelques versets plus tôt : « Dans tout le prétoire, et partout ailleurs, mes chaînes manifestent mon attachement au Christ, et la plupart des frères, chez qui mes chaînes suscitent une ferme confiance dans le Seigneur, trouvent une audace nouvelle pour dire sans crainte la Parole. » (Phi 1,13-14). Il s’est même réjoui de ce que certains, moins bien intentionnés, aient profité de sa mise à l’ombre pour se poser en apôtres, à sa place. Qu’importe, pense Paul, de toutes manières, le Christ est annoncé. S’il est condamné à mort, son martyre, affronté dans la joie, constituera un témoignage suprême de la foi des Chrétiens en la Résurrection.
On est toujours extrêmement étonnés de l’assurance dont faisaient preuve les premiers Chrétiens face au martyre. Alors que les persécuteurs espéraient étouffer la religion chrétienne naissante, cette assurance a été l’occasion de nombreuses conversions. Ce qui veut dire que, quoi qu’il arrive, tout contribuera au progrès de l’Evangile et c’est la seule chose qui compte pour Paul. Cela ne nous étonne pas de la part d’un apôtre… Le critère de l’apôtre, justement, c’est qu’il n’a qu’un objectif, prêcher l’Evangile ! Quant à nous, même si nous ne connaissons pas des circonstances aussi extraordinaires, nous pouvons retenir que notre vie concrète peut contribuer à glorifié le Christ (c’est-à-dire à manifester sa grandeur) dans toutes les situations.
Paul continue : « Pour moi, vivre, c’est le Christ, et mourir est un avantage ». On pourrait traduire « Pour moi, vivre pleinement, c’est vivre en Christ » ou encore  « ma raison de vivre, c’est le Christ » sous-entendu ma vie ne s’épanouira pleinement que dans la rencontre définitive, donc mourir est un avantage. « Je désire partir pour être avec le Christ, car c’est bien préférable » dit-il. On retrouve là un écho de cette solidarité intime qui nous unit au Christ et que Paul exprime si souvent dans ses écrits ; son thème majeur, c’est justement que notre destinée est de ne faire qu’un en Jésus-Christ. Par exemple : « Dieu a jugé bon qu’habite en Lui toute plénitude et que tout, par le Christ, lui soit enfin réconcilié » (Col 1,19) ; ou encore dans la lettre aux Ephésiens, ce texte qui donne la clé de tout : « Dieu nous a dévoile le mystère de sa volonté… récapituler toutes choses dans le Christ » (Ep 1,9-10).
LA SEULE CHOSE QUI COMPTE : PRÊCHER L’EVANGILE
Au passage, on peut noter que pour Paul, la mort nous permet d’être aussitôt pleinement unis au Christ ; il a l’air de n’envisager aucun délai ; voici ce qu’il dit dans la lettre aux Corinthiens : « Nous gardons toujours confiance, tout en sachant que nous demeurons loin du Seigneur, tant que nous demeurons dans ce corps ; en effet, nous cheminons dans la foi, non dans la claire vision. Oui, nous avons confiance, et nous voudrions plutôt quitter la demeure de ce corps pour demeurer près du Seigneur. Mais de toute manière, que nous demeurions dans ce corps ou en dehors, notre ambition, c’est de plaire au Seigneur. » (2 Co 5,6-8).
Pour autant, Paul ne veut pas « abandonner le bateau », comme on dit ; et littéralement, il avoue être écartelé ; « mourir est un avantage, mais si en vivant en ce monde, j’arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je désire partir pour être avec le Christ, car c’est bien préférable, mais à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire ». Cela ne veut certainement pas dire qu’il se considère comme indispensable, parce qu’il sait bien que c’est le Christ qui agit dans le coeur des fidèles … mais il souhaite ardemment être là où il doit être. A vrai dire, ce dilemme n’est pas à proprement parler un cas de conscience, car ce n’est pas lui qui décidera de son sort, il le sait bien. Mais son raisonnement est un modèle d’abnégation au vrai sens du terme, en ce sens que son seul souci reste la mission auprès de ceux qui lui ont été confiés.
Pour terminer, il revient à eux « Quant à vous, ayez un comportement digne de l’Evangile du Christ ». C’est tout un programme ! Mais je crois qu’il y a là beaucoup plus qu’une leçon de morale : Paul veut nous dire par là que la seule manière d’être digne de l’Evangile, c’est de le prendre au sérieux et de l’annoncer ! Car cette recommandation « ayez un comportement digne de l’Evangile » vient à la suite de ce que j’ai appelé son « dilemme » : « Si, en vivant en ce monde, j’arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux : je voudrais bien partir pour être avec le Christ… mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire. » Et aussitôt il ajoute : « Quant à vous, ayez un comportement digne de l’Evangile du Christ. »
Si je comprends bien, à ses yeux, avoir un comportement digne de l’Evangile, c’est tout simplement consacrer nos vies à l’évangélisation. Voilà qui interroge un certain nombre de nos préoccupations !

EVANGILE – selon saint Matthieu 20,1-16a
En ce temps-là,
Jésus disait cette parabole à ses disciples :
1     « Le royaume des Cieux est comparable
au maître d’un domaine qui sortit dès le matin
afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne.
2    Il se mit d’accord avec eux sur le salaire de la journée :
un denier, c’est-à-dire une pièce d’argent,
et il les envoya à sa vigne.
3     Sorti vers neuf heures,
il en vit d’autres qui étaient là, sur la place, sans rien faire.
4     Et à ceux-là, il dit :
‘Allez à ma vigne, vous aussi,
et je vous donnerai ce qui est juste.’
5     Ils y allèrent.
Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures,
et fit de même.
6     Vers cinq heures, il sortit encore,
en trouva d’autres qui étaient là et leur dit :
‘Pourquoi êtes-vous restés là,
toute la journée, sans rien faire ?’
7     Ils lui répondirent :
‘Parce que personne ne nous a embauchés.’
Il leur dit :
‘Allez à ma vigne, vous aussi.’
8     Le soir venu,
le maître de la vigne dit à son intendant :
‘Appelle les ouvriers et distribue le salaire,
en commençant par les derniers
pour finir par les premiers.’
9     Ceux qui avaient commencé à cinq heures s’avancèrent
et reçurent chacun une pièce d’un denier.
10     Quand vint le tour des premiers,
ils pensaient recevoir davantage,
mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d’un denier.
11    En la recevant,
ils récriminaient contre le maître du domaine :
12     ‘Ceux-là, les derniers venus, n’ont fait qu’une heure,
et tu les traites à l’égal de nous,
qui avons enduré le poids du jour et la chaleur !’
13     Mais le maître répondit à l’un d’entre eux :
‘Mon ami, je ne suis pas injuste envers toi.
N’as-tu pas été d’accord avec moi pour un denier ?
14     Prends ce qui te revient, et va-t’en.
Je veux donner au dernier venu autant qu’à toi :
15     n’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ?
Ou alors ton regard est-il mauvais
parce que moi, je suis bon ?’
16     C’est ainsi que les derniers seront premiers,
et les premiers seront derniers. »

ABANDONNER NOTRE LOGIQUE DE COMPTABLES
Imaginez un patron d’entreprise qui emploierait des méthodes pareilles ! Il aurait certainement  une bonne partie de ses ouvriers en grève dès le deuxième matin ! Mais Jésus a bien dit qu’il ne parlait pas d’une entreprise comme les autres puisqu’il a introduit sa parabole en disant : « Le royaume des Cieux est comparable au maître d’un domaine… » : d’entrée de jeu, donc, nous savons qu’il est question du royaume des Cieux ; et nous savons bien, Isaïe nous l’a rappelé, que « les pensées de Dieu ne sont pas nos pensées… »
Et donc, dans cette vigne très particulière, il y a des ouvriers embauchés à toute heure du jour… Apparemment, le travail ne manque pas. Mais la pointe de la parabole n’est pas là : comme toujours, il faut chercher d’abord ce que ce texte dit sur Dieu. « Moi, je suis bon » dit Dieu ; « Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » Dieu est bon, et d’une bonté qui ne fait pas de comptes. Cela veut dire que sa bonté surpasse tout, y compris le fait que nous ne la méritons pas ; cela veut dire qu’il faut que nous abandonnions une fois pour toutes notre logique de comptables : dans le royaume des Cieux, il n’y a pas de machine à calculer les mérites… Elle est là, peut-être, la conversion qui nous est demandée ; cette logique de comptables, nous avons bien du mal à nous en défaire : nos efforts, nos sacrifices, nos souffrances, nous voudrions toujours les comptabibliser pour nous rassurer ; cela nous donne, pensons-nous, des droits sur le Royaume, sur l’amour de Dieu…
TON REGARD EST-IL MAUVAIS PARCE QUE MOI, JE SUIS BON ?
A l’inverse, il nous paraîtrait juste que Dieu ne traite quand même pas tout le monde de la même manière : « Tu les traites à l’égal de nous ! », reprochent les ouvriers de la première heure, sous-entendu ‘nous méritons mieux’. Et justement, Jésus veut nous faire sortir de cette logique du mérite : l’amour ne compte pas. L’amour ne s’achète pas, il est donné. Cette leçon-là, pourtant, n’était pas nouvelle ; allez lire le psaume 126/127 : « Dieu comble son bien-aimé quand il dort »… Il n’est pas question de mérites là-dedans ; pire, le même psaume affirme : « En vain tu devances le jour, tu retardes le moment de ton repos, tu manges un pain de douleur… » autrement dit : ne calcule pas tes mérites et tes heures supplémentaires, Dieu te comble au-delà de tout. Le psaume d’aujourd’hui nous faisait chanter « Le SEIGNEUR est juste en toutes ses voies »… visiblement ce n’est pas une justice calculée comme nous l’entendons ! La justice de Dieu, c’est d’aimer, sans distinction, tous ses enfants également, c’est-à-dire infiniment, sans mesure.
Pour rester dans l’Ancien Testament, Jonas lui aussi, trouvait scandaleux que Dieu pardonne si facilement à ces mécréants de Ninivites : le peuple élu s’efforçait laborieusement depuis si longtemps d’être fidèle à la loi ; ces affreux païens n’avaient eu qu’un geste à esquisser pour être pardonnés. Dès l’Ancien Testament, donc, on savait bien qu’il y a des derniers qui deviennent premiers. De la même manière, au temps de Matthieu, l’arrivée massive d’anciens païens dans les communautés chrétiennes faisait murmurer ceux qui venaient du Judaïsme et se savaient les héritiers d’une longue lignée de fidèles. Et Jésus lui-même a rencontré l’hostilité des croyants de longue date quand il a côtoyé amicalement des publicains et des pécheurs.
QUI PEUT SE PRÉTENDRE OUVRIER DE LA PREMIÈRE HEURE ?
Jusque sur la croix, nous en connaissons au moins un qui était « dernier » et qui est devenu « premier », c’est le bon larron…Voilà bien un ouvrier de la dernière heure. (C’est dans l’évangile de Luc et non de Matthieu, mais la leçon est bien la même !) C’est à la dernière minute seulement que le bon larron crucifié en même temps que Jésus, enfin, se tourne vers lui ; et là, il a suffi d’une parole de vérité dans sa bouche et il s’est entendu dire ce dont nous rêvons tous pour notre dernière heure « Aujourd’hui même tu seras avec moi dans le Paradis ».
Mais si on veut bien regarder la vérité en face, elle devrait nous faire plutôt plaisir, cette parabole… Qui d’entre nous peut se vanter d’être un ouvrier de la première heure ? Qui que nous soyons, nous ne sommes tous que des ouvriers de la onzième heure ! C’est lorsque nous l’oublions que notre regard devient mauvais. « Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » Les ouvriers de la première heure récriminent contre le maître de maison dont ils ne comprennent pas la logique ; Jonas récriminait contre Dieu qui pardonnait trop facilement à ces pécheurs de Ninivites ; les Pharisiens récriminaient contre Jésus, trop accueillant aux gens de mauvaise vie ; le fils aîné murmurait contre le père trop accueillant pour le fils prodigue… Quand la logique de Dieu est trop différente de la nôtre, la tentation qui nous prend est de contester.
C’est le moment ou jamais de nous rappeler la phrase d’Isaïe dans la première lecture : « Mes pensées ne sont pas vos pensées, dit Dieu… Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées au-dessus de vos pensées. »

Homélie du dimanche 24 septembre

Dimanche 24 septembre 2023
25éme dimanche du Temps Ordinaire

Références bibliques :
Du livre du prophète Isaïe : . 6 à 9 : » Mes pensées ne sont pas vos pensées. »
Psaume 144 : « La bonté du Seigneur est pour tous. »
Lettre de saint Paul aux Philippiens : 1. 20 à 27 : »Pour moi, vivre, c’est le Christ. »
Evangile selon saint Matthieu : 20. 1 à 16 : »Vas-tu regarder avec un oeil mauvais parce que je suis bon. »
***
Nous ouvrons aujourd’hui le cycle des trois paraboles de Jésus sur la vigne. En ce dimanche 22 septembre, les ouvriers qui vont travailler à la vigne. Le dimanche 29 septembre, les deux fils qui ont une réponse différente, et , le dimanche 6 octobre, les ouvriers qui veulent la posséder en tuant le fils.
ALLEZ A MA VIGNE
La vigne a une signification profonde dans toute la Bible. Elle est le symbole de l’Alliance entre Dieu et son peuple. (Isaïe 5. 1 à 7 – Jérémie 2. 21, Ezéchiel 15.4) « Allez à ma vigne » que Jésus répète en ces trois paraboles, ne signifie venez travailler pour le Royaume, cela veut dire : »Entrez dans l’Alliance », Venez partager l’Alliance avec moi, selon le sens de cette tradition biblique constante.
En l’évoquant d’ailleurs, le Cantique des Cantiques parle de cette vigne avec des mots inouïs de tendresse : »Lève-toi, ma belle, ma bien-aimée, l’hiver est passé, la vigne en fleur exhale son parfum. » (Cantique 2. 10)
Jésus s’est défini lui-même en disant : »Je suis la vigne ». (Jean 15. 1 à 5) Etre invité à la vigne du Seigneur, à s’y rendre, à y partager l’oeuvre de Dieu, c’est exprimer ainsi que nous sommes destinés à profiter, tôt ou tard, de l’intimité de Dieu, pour vivre avec lui : « Allez à ma vigne », signifie la même chose que « Entre dans la joie de ton maître. » (Matthieu 25. 21)
LE SALAIRE DE L’AMOUR
Pour découvrir et apprécier « la pointe » d’une parabole, il faut prendre les paroles de Jésus dans le sens qu’il veut nous faire entendre. Ici, les premiers mots sont clairs : « Le Royaume des cieux est comparable à un maître… » C’est donc à partir de ce maître qui, d’heure en heure appelle des ouvriers à y travailler, que nous pouvons saisir la logique, sa pensée et sa volonté qu’il nous fait entendre à chacun des moments cette journée.
Jésus ne nous donne pas une leçon de morale sociale, mais le parcours de l’inlassable amour de Dieu pour tout homme, pour tous les hommes.
Il y a même un insistance significative : »dès le point du jour.. vers neuf heures, … vers midi,…vers trois heures … jusqu’à cinq heures du soir. » Dieu appelle sans cesse, à toute heure, à tout âge. Il n’est jamais trop tard pour entrer dans le Royaume des cieux.
Tous ceux qui n’ont pas encore découvert l’Amour de Dieu, demeurent ses invités, en permanence. Quoi qu’ils en pensent et quelle que soit leur situation présente.
Nous ne pouvons donc jamais désespérer de notre Salut éternel et de celui de ceux dont nous portons la responsabilité. Dieu les appelle comme il nous appelle. C’est la Grâce de Dieu qui est à l’œuvre et nous l’oublions facilement en pensant que nous sommes les uniques évangélisateurs.
Jésus ne se contente pas de nous raconter cette parabole comme une espérance. Il l’a vécue réellement, en invitant à entrer, à la dernière minute avant sa mort, le criminel crucifié à côté de lui, sur la croix. Il est vraiment l’invité de la dernière heure et il en fut le premier à entrer dans ce Royaume : »Aujourd’hui même, tu seras avec moi dans le paradis. »
Ce qu’il a dit au terme de cette parabole « Les derniers seront les premiers. » se réalise chaque jour désormais comme au jour du salut sur la croix.
Il n’y aura jamais un exclu dans le coeur de Dieu.
MES PENSEES NE SONT PAS VOS PENSEES
« Je veux donner à ce dernier appelé sur la place publique autant qu’à toi … parce que je suis bon. » Le seul don que Dieu veut nous faire, c’est de se donner lui-même. Il nous a créé non pour un salaire écrit sur une fiche de paie. Il nous a créés pour nous donner sa Vie éternelle et nous combler de sa bonté et son Bonheur qui ne se partagent pas au pourcentage de nos mérites mais à l’infini des mérites du Christ.
Le don de Dieu ne s’inscrit pas sur une feuille comptable, en heures de travail selon le contrat ou en heures supplémentaires. Si l’homme contemporain a tendance à demander des comptes à Dieu et même à oser lui conseiller ce qu’il devrait faire s’il était juste, s’il était bon, Jésus, lui, nous propose de faire confiance à ce Dieu « dont les pensées dépassent nos pensées »
C’est un don infini qui dépasse tout calcul et toute imagination, puisque c’est lui qu’il nous donne. Les textes évangéliques se bousculent alors dans notre pensée : »Il a tant aimé le monde (Saint Jean)… cette amour qui est au-dessus de tout don (Saint Paul) …
L’Amour de Dieu est infini et inconditionnel. Sa patience est infatigable et prend le temps de nous inviter sans cesse, jusqu’à la dernière seconde de notre vie, jusqu’au moment où le choix est encore possible.
Il souhaite également que nous ayons le même regard et la même pensée que lui. « Pourquoi être autrement ? » Travaillons avec lui à inviter tous les hommes à son Royaume éternel. Les tard-venus sont tout autant les bienvenus dans la maison du Père. Tant qu’ils n’ont pas pris place à la Table de famille, leur place leur est toujours réservée, aussi large pour ces derniers que pour les premiers appelés. Peut-on proportionner l’infini de Dieu aux limites humaines qui sont les nôtres ?
***
« Tu as voulu que toute la loi consiste à t’aimer et à aimer son prochain…que ton aide accompagne toujours ceux que tu as nourris de tes sacrements, afin qu’ils puissent dans ces mystères et par toute leur vie, recueillir les fruits de la rédemption » … même si je suis le criminel qui t’appelle à la dernière heure. (prières de la messe de ce dimanche.)

Commentaires du dimanche 17 septembre

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 17 septembre 2023
24e dimanche du Temps ordinaire

1ère lecture
Psaume
2ème lecture
Evangile

PREMIERE LECTURE – Livre de Ben Sira le Sage 27, 30 – 28, 7
27,30 Rancune et colère, voilà des choses abominables
où le pécheur est passé maître.
28,1 Celui qui se venge
éprouvera la vengeance du Seigneur ;
celui-ci tiendra un compte rigoureux de ses péchés.
2 Pardonne à ton prochain le tort qu’il t’a fait ;
alors, à ta prière, tes péchés seront remis.
3 Si un homme nourrit de la colère contre un autre homme,
comment peut-il demander à Dieu la guérison ?
4 S’il n’a pas de pitié pour un homme, son semblable,
comment peut-il supplier pour ses péchés à lui ?
5 Lui qui est un pauvre mortel, il garde rancune ;
qui donc lui pardonnera ses péchés ?
6 Pense à ton sort final et renonce à toute haine,
pense à ton déclin et à ta mort,
et demeure fidèle aux commandements.
7 Pense aux commandements
et ne garde pas de rancune envers le prochain,
pense à l’Alliance du Très-Haut
et sois indulgent pour qui ne sait pas.

« Sois indulgent pour qui ne sait pas » : cette invitation à l’indulgence ne nous étonne pas lorsqu’on sait que Ben Sira est un auteur très tardif. Quelques mots sur lui d’abord : Ben Sira le Sage (que nous appelons aussi le Siracide ou l’Ecclésiastique) vivait au deuxième siècle av.J.C., (vers 180), c’est-à-dire très peu de temps avant la venue de Jésus au monde ; il avait donc profité de toute la découverte progressive de l’Ancien Testament.
Car la Bible tout entière peut se lire comme une patiente tentative de Dieu par ses prophètes pour extirper la vengeance de notre coeur. Depuis Caïn qui était vengé sept fois, la spirale de la violence avait sévi au point que son lointain petit-fils, Lamek, se vantait de se venger soixante-dix-sept fois. Patiemment, les auteurs bibliques ont inversé la tendance : par le biais des lois ou celui des prédications des prophètes, on a fini par entrevoir un autre idéal, le seul digne des fils de Dieu que nous sommes. Ben Sira, lui, est tout au bout de la chaîne et transcrit le fin mot de la découverte d’Israël.
Pour prêcher l’indulgence, il développe un premier argument : « Pense à l’Alliance du Très-Haut
et sois indulgent pour qui ne sait pas », c’est-à-dire pense à la fidélité de Dieu tout au long de l’histoire envers son peuple si souvent infidèle, individuellement et collectivement. Deuxième argument : « Pense aux commandements et ne garde pas de rancune envers le prochain ». Or que disaient les commandements ? Ils disaient : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Aimer son prochain comme soi-même, cela implique évidemment, en certaines circonstances, de savoir pardonner.
Le troisième argument est plus étonnant : « Pense à ton sort final et renonce à toute haine, pense à ton déclin et à ta mort ». Est-ce la pensée de notre mort qui doit nous incliner à l’idulgence envers les autres ? C’est, je crois, un appel à la lucidité sur notre petitesse : nous sommes poussière, qui sommes-nous pour juger les autres ? C’est peut-être également une manière de nous rappeler que nous allons nous aussi comparaître devant le juste juge et alors notre petitesse s’étalera au grand jour. D’après Ben Sira, c’est précisément à cause de notre petitesse, de notre fragilité que Dieu nous traite avec indulgence. Quelques chapitres avant celui-ci, Ben Sira affirmait : « Le Seigneur est patient à l’égard des hommes et déverse sur eux sa pitié. Il voit et il sait combien leur fin est misérable, c’est pourquoi il multiplie son pardon. L’homme a pitié de son prochain, mais le Seigneur a pitié de toute créature… » (Si 18,11-13).
Je reviens encore au dernier verset : « Sois indulgent pour qui ne sait pas ». On ne peut pas s’empêcher de penser à la phrase de Jésus sur la croix : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Ceux qui font le mal, à commencer par nous-mêmes, n’en ont pas évalué les conséquences. L’indulgence de Dieu, en somme, va jusqu’à dire que si nous commettons le mal, c’est par ignorance.
Toujours sur ce dernier verset, la Traduction Oecuménique de la Bible propose une autre traduction très imagée : « Souviens-toi de l’Alliance du Très-Haut et passe par-dessus l’offense ». Il me semble que c’est une très belle définition du pardon ; elle dit bien la réalité : on ne peut pas effacer une offense… les coups d’éponge n’existent pas… mais on peut passer par-dessus. Après une blessure physique, on garde une cicatrice, la peau ne sera plus jamais neuve, et aucun coup d’éponge n’effacera la blessure ; pour une blessure morale, c’est la même chose : rien ne pourra faire qu’elle n’ait pas eu lieu ; et dans les cas graves, on peut être marqué pour la vie… Dans nos vies familiales, amicales, professionnelles, paroissiales… les exemples ne manquent pas. Rien ne pourra effacer la calomnie, le geste de mépris, la « peau de banane » comme on dit, l’infidélité grave, les coups et tous les gestes de violence. Nos paroles et nos actes produisent des fruits vénéneux, parfois même des ravages. On rêverait, quand on est le fautif, d’un retour en arrière, un retour à la case-départ, en quelque sorte… Mais cela n’est pas possible, ni pour le coupable, ni pour la victime.
En revanche, on peut, comme dit Ben Sira, passer par-dessus ; le pardon consiste, non pas à oublier ou ignorer un passé qu’on ne peut ni oublier ni ignorer, de toute manière, mais à passer par-dessus, et à essayer de survivre et de renouer la relation qui a été coupée par l’offense ; de reproposer son amitié, sa confiance ; cela consiste à accepter qu’il y ait encore un avenir possible. Le mot « Par-don », étymologiquement, veut bien dire cela ; il s’écrit en deux parties « par-don » : c’est-à-dire le don parfait, parachevé, le don par-delà l’offense. Parce qu’il est parfait, il ne peut être en nous que l’œuvre de l’Esprit Saint.

PSAUME – 102 ( 103 ), 1-2, 3-4, 9-10, 11-12
Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
bénis son nom très saint, tout mon être !
2 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme,
n’oublie aucun de ses bienfaits.
3 Car il pardonne toutes tes offenses
et te guérit de toute maladie ;
4 il réclame ta vie à la tombe
et te couronne d’amour et de tendresse.
9 Il n’est pas toujours en procès ,
ne maintient pas sans fin ses reproches ;
10 il n’agit pas envers nous selon nos fautes,
ne nous rend pas selon nos offenses.
11 Comme le ciel domine la terre,
fort est son amour pour qui le craint ;
12 aussi loin qu’est l’orient de l’occident,
il met loin de nous nos péchés.

La liturgie de ce dimanche ne nous propose que huit versets du psaume 102/103, mais en réalité il en comporte vingt-deux ! Or vous savez bien, l’alphabet hébreu comporte vingt-deux lettres ; donc on dit de ce psaume qu’il est « alphabétisant » ; et quand un psaume est alphabétisant, on sait d’avance qu’il s’agit d’un psaume d’action de grâce pour l’Alliance. Et effectivement, André Chouraqui dit que ce psaume est le « Te Deum » de la Bible, un chant de reconnaissance pour toutes les bénédictions dont le compositeur (entendez le peuple d’Israël) a été comblé par Dieu.
Deuxième caractéristique de ce psaume, le « parallélisme » : chaque verset se compose de deux lignes qui se répondent comme en écho : l’idéal pour le chanter serait l’alternance ligne par ligne ; il a peut-être, d’ailleurs, été composé pour être chanté par deux choeurs alternés. Ce parallélisme, ce « balancement », nous l’avons rencontré très fréquemment dans la Bible, dans les textes poétiques, mais aussi dans de nombreux passages en prose ; procédé de répétition utile à la mémoire, bien sûr, dans une civilisation orale, mais surtout très suggestif ; si on soigne la lecture en faisant ressortir le face à face des deux lignes à l’intérieur de chaque verset, la poésie prend un relief extraordinaire.
D’autre part, cette répétition d’une même idée, successivement sous deux formes différentes, permet évidemment de préciser la pensée, et donc pour nous de mieux comprendre certains termes bibliques. Par exemple, le premier verset nous propose deux parallèles intéressants : « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, Bénis son Nom très saint, tout mon être » :
Premier parallèle : « Bénis le SEIGNEUR »… « Bénis son Nom très saint » : la deuxième fois, au lieu de dire « le SEIGNEUR », on dit « le NOM » : une fois de plus, nous voyons que le NOM, dans la Bible, c’est la personne. Deuxième parallèle, toujours dans ce premier verset : « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, Bénis son Nom très saint, tout mon être » : on voit bien que le mot âme n’a pas ici le sens que nous lui donnons spontanément. A la suite des penseurs grecs, nous avons tendance à nous représenter l’homme comme l’addition de deux composants différents, étrangers l’un à l’autre, l’AME et le CORPS. Mais les progrès des sciences humaines, au vingtième siècle, ont confirmé que ce dualisme ne rendait pas compte de la réalité. Dans la mentalité biblique, justement, on a une conception beaucoup plus unifiée et quand on dit « l’âme », il s’agit de l’être tout entier. « Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme, Bénis son Nom très saint, tout mon être ».
La deuxième strophe fait écho aux paroles de Ben Sira, dans la première lecture : « Il pardonne toutes tes offenses » ; et le psaume développe « Il n’est pas toujours en procès, ne maintient pas sans fin ses reproches ; il n’agit pas envers nous selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses… Aussi loin qu’est l’Orient de l’Occident, il met loin de nous nos péchés ».
Une phrase comme celle-ci « Dieu n’agit pas envers nous selon nos fautes, Il ne nous rend pas selon nos offenses … » prouve, s’il en était besoin, que le peuple d’Israël avait découvert bien avant nous que la logique de Dieu n’est pas celle du « donnant-donnant », mais celle de la gratuité. Cette découverte ne s’est faite que lentement, au long de l’histoire biblique. La pédagogie de Dieu à l’égard de son peuple s’est déployée progressivement, patiemment, pour lui révéler qu’Il est le Tout-Autre : tout-autre que nous, mais aussi tout-autre que ce que nous imaginons. Nous avons beaucoup de mal à abandonner nos représentations d’un Dieu calqué sur nous, d’un Dieu qui nous ferait des comptes et des procès… La Bonne Nouvelle qui court à travers toute la Bible, c’est justement le « Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère et plein d’amour » ; c’est, au livre de l’Exode (Ex 34, 6) la révélation, la confidence que Dieu a faite sur lui-même à Moïse.
Voilà qui nous permet de mieux comprendre le verset suivant : « Comme le ciel domine la terre, fort est son amour pour qui le craint ». Nous rencontrons assez souvent ce mot de « crainte » dans la Bible et il ne nous est pas forcément très sympathique a priori. Mais, une fois qu’on a découvert Dieu comme le Seigneur de tendresse et de pitié qui n’est pas en procès contre nous, on n’a plus de raison d’avoir peur de lui. Le mot « crainte » a changé de sens. Au fur et à mesure que le peuple d’Israël découvrait le vrai visage de son Dieu, peu à peu sa crainte spontanée s’est convertie en esprit filial. Le problème, c’est que ce chemin de conversion, chacun de nous doit le refaire pour lui-même…
Mis en présence de Dieu, du sacré, l’homme éprouve spontanément de la peur ; et il faut toute une conversion des croyants pour que, sans rien perdre de notre respect pour Celui qui est le Tout-Autre, nous apprenions à son égard une attitude filiale. La crainte de Dieu, au sens biblique, c’est vraiment la peur convertie en esprit filial : une conversion qui est sans cesse encore à faire. C’est peut-être cela « redevenir comme des petits enfants »… des petits enfants qui savent que leur père n’est que tendresse. Cette « crainte » comporte donc à la fois tendresse en retour, reconnaissance et souci d’obéir au père parce que le fils sait bien que les commandements du père ne sont guidés que par l’amour : comme un petit s’éloigne du feu parce que son père le prévient qu’il risque de se brûler…
C’est d’ailleurs dans ce même psaume 102/103 que nous rencontrons (dans un verset qui ne fait pas partie de la liturgie de ce dimanche) la phrase qui dit le mieux ce qu’est la « crainte de Dieu » au sens biblique : « Comme la tendresse du père pour ses fils, ainsi est la tendresse du SEIGNEUR pour qui le craint » (verset 13) ; ce parallèle nous dit bien que la crainte de Dieu est tout sauf de la peur, elle est une attitude filiale. Et pourtant, cela ne nous pousse pas au laxisme, bien au contraire : car une véritable fidélité à l’amour est pleine d’exigences. Mais nous avons toujours besoin pour repartir de cette tendresse qui « passe par-dessus » nos péchés, nos abandons ; celle que Jésus mettra en images dans la parabole du père et de l’enfant prodigue.

DEUXIEME LECTURE – lettre de saint Paul apôtre aux Romains 14, 7 – 9
Frères,
7 aucun d’entre nous ne vit pour soi-même,
et aucun ne meurt pour soi-même :
8 si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur ;
si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur.
Ainsi, dans notre vie comme dans notre mort,
nous appartenons au Seigneur.
9 Car, si le Christ a connu la mort, puis la vie,
c’est pour devenir le Seigneur et des morts et des vivants.

La phrase centrale de ce passage, c’est « Nous appartenons au Seigneur. Aucun d’entre nous ne vit pour soi-même, et aucun ne meurt pour soi-même » : autrement dit, nous ne sommes pas des individus isolés, des espèces d’électrons libres lancés sur la planète-terre pour quelques années, avec des trajectoires indépendantes ! La grande conviction de Paul, et il ne l’a pas inventée, (car elle traverse toute la Bible), c’est la solidarité très étroite qui nous unit les uns aux autres, à travers le temps et l’espace. Il l’appelle le « dessein bienveillant de Dieu » : ce projet c’est une humanité tellement unie qu’elle ne fera plus qu’un en Jésus-Christ. Une humanité tellement unie qu’on pourra dire un jour qu’elle est « comme un seul homme » et cet homme, nous connaissons déjà son nom, il s’appelle Jésus-Christ.
La première étape du projet est accomplie dans la mort et la résurrection du Christ : c’est le sens de cette dernière phrase « Si le Christ a connu la mort puis la vie, c’est pour devenir le Seigneur et des morts et des vivants ». Mais la poursuite du projet dépend de nous : cette solidarité ne supporte pas les divisions, les déchirures ; or c’est toujours avec les plus proches qu’il y a le plus de risque de brouilles et sur les sujets auxquels on tient le plus, évidemment !
Il faut croire que ce risque n’était pas seulement hypothétique car Paul y consacre tout ce chapitre 14 : son thème principal, c’est « vous risquez de vous disputer entre vous pour des choses secondaires : des manières différentes de pratiquer votre religion, mais finalement, chacun de vous croit bien faire et c’est cela qui compte ».
Un peu plus haut, Paul a employé une phrase-choc : « Qui es-tu pour juger un serviteur qui ne t’appartient pas ? » (Rm 14, 4) Il veut dire par là : par votre Baptême, qui que vous soyez, quelle que soit votre origine, anciens juifs, anciens païens, quelle que soit votre sensibilité, vous êtes désormais unis au Christ… tout le reste est secondaire ; tous, vous appartenez au Christ, vous êtes serviteurs du Christ. Alors ne vous surveillez pas mutuellement : c’est au maître de surveiller ses serviteurs. « Qui es-tu pour juger un serviteur qui ne t’appartient pas ? »
Du temps de Paul ces divergences se manifestaient surtout autour des pratiques alimentaires ; les chrétiens d’origine juive, habitués à une grande rigueur sur le plan de l’alimentation, ne comprenaient pas bien les libertés alimentaires des Chrétiens qui venaient du paganisme et ils parlaient de laxisme. A l’inverse, ceux qui avaient des habitudes plus souples étaient tentés de ridiculiser la rigueur des autres et d’y voir un scrupule de gens faibles. Paul leur dit : « Que celui qui mange ne méprise pas celui qui ne mange pas et que celui qui ne mange pas ne juge pas celui qui mange, car Dieu l’a accueilli »… « La foi de l’un lui permet de manger de tout, tandis que l’autre, par faiblesse, ne mange que des légumes… »… « Accueillez celui qui est faible dans la foi, sans critiquer ses scrupules ». (Rm 14, 1-3).
Aujourd’hui, les divergences ont changé de nature : mais elles ne manquent pas ! Que ce soit au sujet de la Messe en latin, des prières eucharistiques, de la messe anticipée du dimanche, célébrée le samedi soir… de la participation de la chorale ou de l’orgue… ou de la guitare… c’est au sujet de la pratique de notre foi que nous risquons d’être les plus féroces entre nous, au mépris de la seule réalité qui compte, notre unique Baptême ! Et il n’y a pas que le domaine de la liturgie ; nos engagements peuvent être diamétralement opposés, au nom d’une même foi ! Enseignement public, ou enseignement libre, adhésion à tel ou tel parti politique, à tel ou tel syndicat… bon nombre de nos choix sont directement dictés par notre désir de nous comporter en Chrétiens. Or au sein d’une même famille, d’une même paroisse, de l’entreprise ou du quartier, nous pouvons, au nom du même Baptême, prendre des décisions complètement opposées. D’après Paul la règle d’or dans ces cas-là est celle-ci : « Qui es-tu pour juger un serviteur qui ne t’appartient pas ? »
Nous savons très bien dire que « c’est l’intention qui compte », mais curieusement, c’est dans le domaine religieux que nous avons le plus de mal à l’admettre ! Paul nous invite à élever le débat : « Celui qui mange de tout le fait pour le Seigneur, et en effet, il rend grâce à Dieu. Et celui qui ne mange pas de tout le fait pour le Seigneur et (lui aussi) il rend grâce à Dieu » (verset 6). Il n’y a donc pas qu’une seule manière de rendre grâce à Dieu.
On a là finalement une superbe illustration de ce que Paul appelle le « sacrifice spirituel » : un peu plus haut, il avait dit « Je vous exhorte, frères, au nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : ce sera là votre culte spirituel » (Rm 12, 1). Or chacun de nous, quand il veut de tout son coeur, s’offrir à Dieu, le fait avec ce qu’il est et il fait ce qu’il croit devoir faire ; cela peut prendre des formes différentes, peut-être même opposées : mais c’est la sincérité du désir de servir Dieu qui fait la qualité du sacrifice spirituel qu’il attend de chacun de nous.
Paul continue : « Le Règne de Dieu n’est pas affaire de nourriture ou de boisson ; il est justice, paix et joie dans l’Esprit-Saint… Recherchons donc ce qui convient à la paix et à l’édification mutuelle » (Rm 14, 17…19). Il aime bien le mot « édification » au sens de « construction ». L’objectif, c’est de bâtir la communauté, et le meilleur ciment d’une communauté, quelle qu’elle soit, c’est le respect mutuel, la tolérance… Paul dit encore : « N’ayez aucune dette envers qui que ce soit, sinon celle de vous aimer les uns les autres ; car celui qui aime son prochain a pleinement accompli la Loi ». (Rm 13, 8) (c’était notre lecture de dimanche dernier) et aussi : « Rivalisez d’estime réciproque » (Rm 12, 10).
Il semble que vingt siècles plus tard, le conseil de Paul reste tout-à-fait d’actualité !

EVANGILE – selon saint Matthieu 18, 21 – 35
En ce temps-là,
21 Pierre s’approcha de Jésus pour lui demander :
« Seigneur, lorsque mon frère commettra
des fautes contre moi,
combien de fois dois-je lui pardonner ?
Jusqu’à sept fois ? »
22 Jésus lui répondit :
« Je ne te dis pas jusqu’à sept fois,
mais jusqu’à soixante-dix fois sept fois.
23 Ainsi, le Royaume des cieux est comparable
à un roi qui voulut régler ses comptes avec ses serviteurs.
24 Il commençait,
quand on lui amena quelqu’un
qui lui devait dix mille talents,
(c’est-à-dire soixante millions de pièces d’argent).
25 Comme cet homme n’avait pas de quoi rembourser,
le maître ordonna de le vendre,
avec sa femme, ses enfants et tous ses biens,
en remboursement de sa dette.
26 Alors, tombant à ses pieds,
le serviteur demeurait prosterné et disait :
Prends patience envers moi,
et je te rembourserai tout.
27 Saisi de compassion, le maître de ce serviteur
le laissa partir et lui remit sa dette.
28 Mais, en sortant, le serviteur trouva un des ses compagnons
qui lui devait cent pièces d’argent.
Il se jeta sur lui pour l’étrangler, en disant :
Rembourse ta dette !
29 Alors, tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait :
Prends patience envers moi,
et je te rembourserai.
30 Mais l’autre refusa
et le fit jeter en prison jusqu’à ce qu’il ait remboursé ce qu’il devait.
31 Ses compagnons, voyant cela,
furent profondément attristés
et allèrent raconter à leur maître tout ce qui s’était passé.
32 Alors celui-ci le fit appeler et lui dit :
Serviteur mauvais !
je t’avais remis toute cette dette
parce que tu m’avais supplié.
33 Ne devais-tu pas, à ton tour,
avoir pitié de ton compagnon,
comme moi-même j’avais eu pitié de toi ?
34 Dans sa colère, son maître le livra aux bourreaux
jusqu’à ce qu’il eût tout remboursé tout ce qu’il devait.
35 C’est ainsi que mon Père du Ciel vous traitera,
si chacun de vous ne pardonne pas à son frère
du fond du coeur. »

Cette parabole se présente comme une histoire en trois actes : acte 1, le roi règle ses comptes avec ses serviteurs, et on lui amène cet homme qui lui doit une somme énorme ; logiquement, légalement, c’est la prison pour dettes pour lui et pour toute sa famille jusqu’à ce qu’ils aient tous assez travaillé pour tout rembourser… Et encore, la somme est telle que plusieurs vies n’y suffiraient pas. Le débiteur implore un délai et le roi, pris de pitié, le laisse aller en lui disant « tu ne me dois plus rien ».
Acte 2, ce même serviteur fait l’inverse avec son propre débiteur : pour une dette dérisoire, il n’écoute pas la pitié, il ne parle même pas de délai, et le fait jeter en prison. Acte 3, le roi lui reproche sa dureté de coeur : « Ne devais-tu pas, toi aussi, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-même j’avais eu pitié de toi ? »
C’est donc d’abord une parabole sur la pitié de Dieu : une pitié qui ne demande qu’à nous remettre toutes nos dettes ; une pitié qui devrait « déteindre » sur nous, en quelque sorte, puisque nous sommes à l’image et à la ressemblance de Dieu.
Cette pitié ne nous est pas naturelle et la question de Pierre le prouve bien ; même quand nous sommes bien intentionnés, disposés à pardonner, nous voudrions quand même bien ne pas nous laisser entraîner trop loin ! « Seigneur, quand mon frère commettra une faute à mon égard, combien de fois lui pardonnerai-je ? Jusqu’à sept fois ? » On est encore loin de la remise d’une dette incalculable, comme celle de la parabole ! Et c’est certainement l’un des accents de cette petite histoire : le calcul n’est pas de mise. Il ne s’agit pas de savoir à partir de quel moment nous sommes en règle avec la pitié.
La pitié, par définition, c’est l’émotion qui nous prend aux entrailles, c’est plus fort que nous, cela déborde nos calculs mesquins.
C’est à cela que Jésus invite Pierre : dépasser tout calcul, toute raison raisonnante. Sept fois, pourtant, ce n’était déjà pas mal… et Saint Pierre, en proposant le chiffre sept, très symbolique, avait déjà fait un grand pas ! Mais Jésus l’invite à tout autre chose : il faut aller jusqu’à soixante-dix fois sept fois (ou soixante-dix-sept fois sept fois selon d’autres traductions) autrement dit indéfiniment ; Jésus ne reprend pas ces chiffres par hasard : rappelez-vous l’histoire de Caïn et celle de Lamek : après le meurtre de son frère Abel, Caïn vivait dans la crainte de la vengeance tribale : « Quiconque me trouvera me tuera ». Et il ne devait sa survie qu’à la menace d’une vengeance encore plus terrible pour celui qui l’attaquerait : « Si quelqu’un tue Caïn, il sera vengé sept fois ». (Gn 4, 15). C’est ce qu’on peut appeler l’engrenage de la violence. Cinq générations plus tard, son arrière arrière petit-fils, Lamek se glorifiait de se venger soixante-dix-sept fois ; et il chantait à ses femmes, Ada et Cilla, cette horrible chanson : « J’ai tué un homme pour une blessure, un enfant pour une meurtrissure ; oui Caïn sera vengé sept fois mais Lamek soixante-dix-sept fois ». En d’autres termes « Pour une simple blessure, je tue un homme ; pour une simple meurtrissure, je tue un enfant, mais si quelqu’un me tue, je serai vengé soixante-dix-sept fois ». (Gn 4, 23-24).
Tout au long de l’histoire biblique, Dieu va inviter l’humanité à se libérer de cette spirale de la violence. Cela commence par la loi du talion qui limite déjà la vengeance (un seul oeil pour un oeil, une seule dent pour une dent, une seule vie pour une vie) ; puis, au long des siècles et des progrès de la découverte du vrai Dieu, les textes de la Loi aussi bien que des prophètes invitent au pardon en annonçant le pardon de Dieu ; ainsi le peuple d’Israël apprend peu à peu à passer de la vengeance au pardon.
En prenant le contrepied de la chanson de Lamek (pardonner soixante-dix fois sept fois), Jésus invite Pierre, c’est-à-dire ses disciples, à franchir l’étape définitive, celle du pardon sans limites, tel que lui-même le vivra sur la Croix. Parce que le pardon du Christ est comme le pardon de Dieu, il ne connaît pas de limites.
Reste que la fin de la parabole paraît contredire ce pardon illimité de Dieu. Le serviteur qui n’a pas pardonné à son frère perd le bénéfice du pardon du roi. Il y a là certainement une très grande vérité de nos vies ; prenons un exemple : après une période sèche, la terre du jardin est devenue imperméable ; inutile d’ouvrir le jet d’eau, l’eau glissera sans pénétrer ; même une pluie torrentielle ne peut plus l’abreuver ; il faudra labourer d’abord. Dieu sait combien il nous est parfois difficile de pardonner, de « passer par-dessus l’offense » comme dit Ben Sirac. Mais justement, peut-être le pardon accordé à nos frères « de tout notre coeur » est-il ce labour préalable, indispensable pour accueillir la pitié de Dieu. Le coeur dur, le coeur sec ne peut pas recevoir l’ondée du pardon de Dieu.
Ce n’est pas Dieu qui cesse de pardonner, c’est nous qui sommes devenus imperméables ; mais au fait, c’est peut-être tout simplement parce que nous ne sommes pas assez lucides sur tous les pardons dont nous bénéficions : le serviteur de la parabole, grevé d’une dette monstrueuse, et qui s’en voyait libéré tout d’un coup, par pure bonté, aurait dû normalement être tellement envahi de reconnaissance qu’il en aurait oublié tout le reste !
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Complément
Dans l’épisode de la femme adultère (Jn 8), c’est quand les plus anciens prennent conscience des nombreux pardons accordés par Dieu au long de leur vie qu’ils abandonnent leurs pierres.

Homélie du dimanche 17 septembre

Dimanche 17 septembre 2023
24éme dimanche du Temps Ordinaire

Références bibliques :
Du Livre de Ben Sirac le Sage 27.30 à 28.7 : « Pense à l’alliance du Très-Haut et oublie l’erreur de ton prochain. »
Psaume 102 : »Il te couronne d’amour et de tendresse. »
Lettre de saint Paul aux Romains : 14. 7 à 9 : »Aucun d’entre nous ne vit pour soi-même… nous appartenons au Seigneur. »
Evangile selon saint Matthieu : 18. 21 à 35 : »Comme moi-même j’ai eu pitié de toi. »
***
Les lectures que l’Eglise nous propose pour accompagner la parabole des deux débiteurs nous entraînent, une fois de plus, au coeur du mystère de notre relation spirituelle et quotidienne avec Dieu Amour.
JUSQU’OU PEUT ALLER LE PARDON ?
A première vue, la règle fondamentale du pardon paraît simple : il faut toujours pardonner, il faut tout pardonner, il n’y a pas de limite au pardon. C’est la réponse de Jésus à la question de Pierre. Mais au travers d’un « fait divers », il va en expliquer le pourquoi et nous conduire à ce qui est son attitude fondamentale de Sauveur à l’égard de chacun d’entre nous.
Comme nous, Pierre désire savoir jusqu’où l’on peut aller raisonnablement dans le pardon pour être digne d’un vrai comportement de disciple de Jésus. Comme nous, Pierre demande le montant de la créance qu’il peut accorder au débiteur qui a accumulé une dette en l’offensant.
Jésus va inverser les rôles. Avant de se considérer comme créancier, le disciple doit d’abord se considérer comme le débiteur redevable d’une dette inimaginable, vis-à-vis de Dieu. Dieu ne cesse jamais d’être pardon parce qu’il n’est que tendresse et amour,. « Il nous couronne d’amour et de tendresse », chantons-nous dans le psaume de ce dimanche.
Ainsi pardonné, le débiteur retrouve la liberté et la vie.
AU NIVEAU DE NOTRE RELATION AVEC DIEU
La parabole se poursuit. Comment, après une telle remise de dette, oser se montrer soi-même créancier impitoyable envers le modeste débiteur qu’est le frère qui nous offense ? La clé de la compréhension n’est pas seulement de l’ordre de la réflexion intellectuelle ou du simple bon sens. Elle est de l’ordre de la foi. La parabole n’est qu’une image. La réalité se situe au niveau même de la relation avec Dieu.
Si le pardon est si difficile entre frères, c’est que nous ne mesurons pas l’ampleur du pardon de Dieu à notre égard.
Au fond, nous ne prêtons guère attention au fait que Dieu nous pardonne. Sinon, aurions-nous autant de difficulté à discerner le péché dans notre vie ? Trop peu nombreux sont les chrétiens, qui ont conscience d’être des pécheurs pardonnés. Trop nombreux sont les chrétiens qui confondent sens du péché et culpabilité et qui ainsi vivent mal leur relation à Dieu.
On est coupable devant un juge dont on attend une condamnation. On est pécheur devant Dieu dont on sait que l’on obtiendra toujours le pardon, parce qu’il est tendresse, et que la tendresse ne condamne pas.
Si l’on considère Dieu comme un juge qui nous condamne lorsque nous l’offensons, il est vraisemblable que nous serons nous-mêmes des juges qui condamnent les coupables qui nous ont offensés. Au contraire, si nous considérons Dieu comme tendresse, amour et pardon des pécheurs que nous sommes, comment ne pas être nous-mêmes les acteurs d’un amour qui relève, pardonne, rend à la vie et libère ?
NOUS SOMMES TROIS PARTENAIRES.
Etre capable de pardonner aux autres, c’est reconnaître le pardon que nous avons déjà reçu de Dieu. Jean-Paul II l’a dit souvent en parlant de la repentance qui doit être vécue par chacun d’entre nous. Etre capable de pardonner, c’est permettre au pardon de Dieu de prendre toute sa dimension en nous et vis-à-vis de nos frères. Quand nous prions le « Notre Père », nous ne demandons pas à Dieu de nous pardonner en récompense du pardon que nous accordons aux autres. Nous lui disons notre désir de partager son pardon avec tous nos frères.
Tout être humain n’est ni à désirer pour lui-même, ni à détester en raison de ses fautes. Il est à aimer comme moi-même j’attends de Dieu cet amour. Nous pensons trop cette parole « aimer son prochain comme soi-même », dans le sens égocentriste… »comme moi-même je m’aime. »
Il nous faut l’entendre tout autrement et dans un sens d’humilité. Aimer mon prochain comme il est, de la même façon dont je suis moi-même aimé de Dieu.
Je ne puis jouer les apparences. Le « paraître » trahit la vérité. Se reconnaître soi-même débiteur devant lui comme il l’est devant moi. Jésus parle bien de deux débiteurs.
Ce que j’attends de l’autre pour moi, l’autre l’attend de moi pour lui. Ce que je découvre en lui de pauvreté, de faiblesse, mais aussi de richesse, je dois le découvrir en moi et l’assumer qui suis tout aussi faible et doit tout de la richesse de Dieu.
Je ne suis jamais seul avec mon frère. Dieu est notre Père commun. Mon frère est avec Dieu. C’est pourquoi le Christ souligne que les deux premiers commandements ne font qu’un. Nous sommes toujours trois partenaires dans l’amour et le pardon : Dieu, mon frère et moi. Nul ne peut vivre en autarcie personnelle. Je dois prendre une conscience active de cela, liés que nous sommes par Dieu et en Dieu. « Aucun de nous ne vit pour soi-même, nous dit saint Paul. Nous appartenons au Christ » et je ne puis m’arroger son pouvoir sur mon frère.
Puisque nous partageons ensemble cet amour que Dieu nous porte, je ne puis que le traduire dans mon attitude l’un envers l’autre. On pourrait appeler cela le réalisme de la vie spirituelle.
UNE ALLIANCE, UNE APPARTENANCE
En relisant le texte de Ben Sirac, la démarche du sage de la Bible éclaire notre réflexion et notre méditation.
Pense au peu que tu es : »Pense à ton sort final… pense à ton déclin. » En regard de cela, considère la fidélité de Dieu qui, dans son alliance, jamais ne se dément. Toi-même « demeure fidèle aux commandements. Pense aux commandements et ne garde pas rancune envers ton prochain. » Bien plus, « pense à l’alliance du Très-Haut », c’est-à-dire à ce qui s’est réalisé entre lui et toi au jour de l’alliance.
« N’oublie aucun de ses bienfaits », ajoute le psaume. « Il n’agit pas envers nous selon nos fautes. »
Saint Paul le rappelle aux Romains et souligne une réalité que nous ne percevons pas toujours : »Dans notre vie, comme dans notre mort, nous appartenons au Seigneur. » C’est pourquoi aucun d’entre nous ne peut vivre pour soi-même, tourné vers soi seulement. « Nous vivons pour le Seigneur, nous mourons pour le Seigneur… le Christ est le Seigneur des vivants et des morts. »
***
Cette intime communion que est la nôtre dans le Christ, par la grâce que nous avons reçue, et qui est en nous, ne peut rester sans nous influencer dans notre manière d’être et de vivre. La prière après la communion, qui clôt la liturgie eucharistique de ce dimanche, mérite d’être prononcée lentement afin que chaque terme, chaque « perle » de cet écrin prenne toute sa valeur et tout son éclat.
Aucun des mots n’est inutile. Chacun d’eux exprime et signifie la réalité de notre être, qui est esprit et corps, la réalité de la bonté de Dieu , la réalité du comment vivre en sachant ne pas être une girouette de sentiments, mais un accueil de la grâce qui nous saisit en chaque instant.
« Que la grâce de cette communion, Seigneur, saisisse nos esprits et nos corps, afin que son influence et non pas notre sentiment, domine toujours en nous. »

Commentaires du dimanche 10 septembre

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 10 septembre 2023
23e dimanche du Temps ordinaire

1ère lecture
Psaume
2ème lecture
Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Ezékiel 33,7-9
La parole du SEIGNEUR me fut adressée :
7 « Fils d’homme, je fais de toi un guetteur
pour la maison d’Israël.
Lorsque tu entendras une parole de ma bouche,
tu les avertiras de ma part.
8 Si je dis au méchant :
‘Tu vas mourir’,
et que tu ne l’avertisses pas,
si tu ne lui dis pas d’abandonner sa conduite mauvaise,
lui, le méchant, mourra de son péché,
mais à toi, je demanderai compte de son sang.
9 Au contraire, si tu avertis le méchant
d’abandonner sa conduite,
et qu’il ne s’en détourne pas,
lui mourra de son péché,
mais toi, tu auras sauvé ta vie. »

LE PROPHETE COMME UN GUETTEUR
Ezékiel était prêtre à Jérusalem au sixième siècle av.J.C. ; il a été emmené à Babylone, par les armées de Nabuchodonosor, dès la première vague de déportations en 597 av.J.C. C’est là-bas, au bord des rives du fleuve Kebar, dans un village appelé Tel-Aviv, qu’il apprend les malheurs qui s’abattent sur la ville sainte ; en 587, tout est fini, la ville est rasée, le Temple a été dévasté.
Mais devant ces récits de catastrophes successives, Ezékiel ne baisse pas les bras ; dès son arrivée là-bas et pendant les vingt premières années de l’Exil, (dix ans avant la destruction de Jérusalem et du Temple, et dix ans à peu près ensuite), il consacrera toutes ses forces à maintenir l’espérance de son peuple. C’est d’ailleurs en souvenir de lui que la capitale de l’Israël moderne porte le nom de Tel-Aviv (qui veut dire « colline du printemps ») ; manière d’honorer l’un de ceux à qui Israël doit sa survie.
Inlassablement, durant ses vingt années de ministère, Ezékiel s’est battu sur deux fronts : premièrement, il fallait bien s’installer pour survivre ; deuxièmement, il fallait maintenir intacte l’espérance du retour. Ces deux objectifs sont ceux d’Ezékiel tout au long de son livre, et ce sont les deux axes de sa prédication. Dieu a fixé le but de sa nouvelle mission de prophète : « Je fais de toi un guetteur pour la maison d’Israël » 1
On sait combien les hommes de la Bible aiment les images : celle du guetteur est très suggestive ; dans les versets qui précèdent notre texte d’aujourd’hui, Ezékiel l’a longuement développée : il imagine une ville en danger ; les ennemis sont aux portes ; le guetteur est sur le rempart et il accomplit son office, il sonne du cor ; certains entendant le cor se mettent à l’abri, ils survivront à l’assaut ; d’autres font semblant de ne pas entendre le son du cor, ils ne se protègent pas et perdent la vie. Il se peut aussi malheureusement que le guetteur n’accomplisse pas son office : il ne sonne pas du cor pour avertir ses concitoyens du danger ; il sera le responsable de leur mort.
C’est très exactement comme cela qu’Ezékiel comprend sa mission : il se doit de transmettre à ses frères exilés les avertissements de Dieu et les appels à la conversion ; s’il manque à sa mission, il sera responsable de leur malheur. Lourde responsabilité que celle du prophète : ses avertissements relèvent de « l’assistance à personne en danger ».
Mais « Nul n’est prophète en son pays ! », on le sait bien ; cela veut dire que bien souvent, malheureusement, les auditeurs, ceux que le prophète voulait sauver, n’écoutent pas : Dieu l’a prévenu :
« Te voilà pour eux comme un chant passionné, à la sonorité agréable, avec une belle musique. Ils écoutent tes paroles, mais personne ne les met en pratique. » (Ez 33,32). Bien souvent, le prophète a connu le découragement : les gens semblent intéressés par la Parole de Dieu, ils se disent les uns aux autres ‘Viens, on va écouter ce que raconte Ezékiel, il parle si bien de la part de Dieu…’ Mais cette parole, si elle est belle à entendre, est bien exigeante à mettre en pratique ! Celà aussi, Dieu lui avait dit : « Ils écoutent tes paroles sans les mettre en pratique ; car leur bouche est pleine des passions qu’ils veulent assouvir, et leur cœur s’attache au profit. » (Ez 33,31).
GUETTEUR DE L’AUBE
Ezékiel a donc bien souvent l’impression de prêcher dans le désert, comme on dit. Dans ces moments de découragement, il se rappelle sa mission de guetteur : il faut continuer sans jamais se décourager ; car le guetteur n’a pas le droit de faillir à sa mission. Alors, malgré les échecs répétés, Ezékiel a continué : cette mission exigeante, il s’y est montré fidèle, et doublement.
Guetteur, il l’a été : guetteur à l’écoute de la Parole de son Dieu et aussi guetteur de l’aube qui ne manquerait pas de se lever pour son peuple. Poète, visionnaire, courageux, il a affronté toutes les résistances de ses contemporains découragés pour annoncer, dans une langue superbe et combien imagée, le seul message qu’ils devaient entendre pour trouver la force de survivre en attendant le retour : « Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai remonter, ô mon peuple, et je vous ramènerai sur la terre d’Israël. » (Ez 37,12).
Un guetteur, voilà une belle définition pour tout prophète, chargé de lire dans l’histoire les signes de l’espérance. Car Dieu ne désespère jamais de son peuple : « Par ma vie – oracle du SEIGNEUR Dieu – je ne prends pas plaisir à la mort du méchant, mais bien plutôt à ce qu’il se détourne de sa conduite et qu’il vive. Retournez-vous ! Détournez-vous de votre conduite mauvaise. Pourquoi vouloir mourir, maison d’Israël ? » (c’est encore une phrase d’Ezékiel, dans ce même chapitre 33,11).
A noter que cette phrase « Pourquoi vouloir mourir, maison d’Israël ? » est prononcée alors que tout espoir semble irrémédiablement perdu, et le peuple d’Israël définitivement mort : nous sommes à mi-chemin du ministère d’Ezékiel, au moment précis où l’effroyable nouvelle retentit aux oreilles des exilés : là-bas, au pays, Jérusalem vient de tomber. Plus que jamais, le guetteur se doit de prévenir ses frères : oui, la catastrophe est là, mais le relèvement est encore possible, à condition de s’en remettre à Dieu.
Le rapprochement avec l’évangile d’aujourd’hui est très éclairant : car nous voyons Jésus charger ses disciples d’une mission analogue ; au nom de l’amour fraternel, justement, il leur recommande de veiller les uns sur les autres, au point d’être capable de rappeler à l’ordre celui qui fait fausse route, le cas échéant.
« Tu ne haïras pas ton frère dans ton coeur, mais tu devras réprimander ton compatriote, et tu ne toléreras pas la faute qui est en lui. » disait déjà le livre du Lévitique (Lv 19,17) ; réprimander à bon escient, voilà un art bien difficile ! Et pourtant cela aussi, c’est de l’amour. C’est vouloir le bien de l’autre, c’est, s’il le faut, savoir l’arrêter au bord du gouffre. La critique positive par amour fait grandir. La rude tâche d’Ezékiel était de cet ordre : quand on place une sentinelle au poste de garde, c’est bien pour sauver la ville.
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Note
1-Ce texte est la reprise exacte d’un passage précédent, relatant l’appel de Dieu et l’envoi en mission du prophète (Ez 3,17-19).

PSAUME – 94 (95),1-2.6-7.8-9
1 Venez, crions de joie pour le SEIGNEUR,
acclamons notre Rocher, notre salut !
2 Allons jusqu’à lui en rendant grâce,
par nos hymnes de fête acclamons-le !
6 Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous,
adorons le SEIGNEUR qui nous a faits.
7 Oui, il est notre Dieu :
nous sommes le peuple qu’il conduit.
Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ?
8 « Ne fermez pas votre coeur comme au désert
9 où vos pères m’ont tenté et provoqué,
et pourtant ils avaient vu mon exploit. »

LE SOUVENIR DE MASSA ET MERIBA
Je vais m’attacher à la dernière strophe : « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre cœur comme au désert, où vos pères m’ont tenté et provoqué ». En fait, le texte hébreu de la Bible ajoute ici une petite phrase : « Ne fermez pas votre coeur comme à Meriba, comme au jour de Massa dans le désert, où vos pères m’ont tenté et provoqué »
C’est dire que ce psaume est tout imprégné de l’expérience de Massa et Meriba. (Ex 17,1-7). Là-bas, dans le désert, au temps de l’Exode avec Moïse, on a gravement douté des intentions de Dieu. Vous vous rappelez, il faisait une chaleur torride, et il n’y avait pas d’eau au campement ; on était arrivés là, assoiffés, bien décidés à se jeter sur les points d’eau ; mais tout était à sec. Alors, cela a très mal tourné ; on s’en est pris à Moïse qui se débrouillait bien mal, puis à Dieu lui-même : après tout, c’était peut-être ce qu’il cherchait, qu’on meure de soif.
La suite de l’histoire a rempli tout le monde de honte : Dieu, égal à lui-même, a ignoré la révolte et donné de l’eau à profusion, qui s’est mise à ruisseler du rocher ; et Moïse, bien sûr, a fait la leçon à son peuple : on avait pourtant bien vu l’exploit de Dieu nous faisant échapper à la mer et aux cavaliers égyptiens ; comment avait-on pu douter des intentions de Dieu ? Désormais, quand on parle de Massa et Meriba, la honte revient à la mémoire.
Dans cette simple strophe, donc, « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? Ne fermez pas votre coeur comme à Meriba, comme au jour de Massa » est résumée toute l’aventure de notre vie de foi, personnelle et communautaire. C’est ce que l’on pourrait appeler, au vrai sens du terme, la « question de confiance ». Pour le peuple d’Israël, la question de confiance s’est posée à chaque difficulté de la vie au désert : « Le SEIGNEUR est-il au milieu de nous, oui ou non ? » (Ex 17,7), ce qui revient à dire « Peut-on lui faire confiance ? S’appuyer sur lui ? Etre sûr qu’il nous donnera à chaque instant les moyens de nous en sortir… ? » Etre certain que quand il nous invite à la conversion, par la bouche d’un Ezékiel, par exemple, (que nous entendons dans la première lecture de ce dimanche), il n’a en vue que notre bonheur ?
La Bible dit que la foi, justement, c’est tout simplement la confiance. Cette question de confiance, telle qu’elle s’est posée à Massa et Meriba, est l’un des piliers de la réflexion d’Israël ; la preuve, c’est qu’elle affleure sous des quantités de textes bibliques ; et, par exemple, le mot qui dit la foi en Israël signifie « s’appuyer sur Dieu » ; c’est de lui que vient le mot « Amen » qui dit l’adhésion de la foi : il signifie « solide », « stable » ; on pourrait le traduire « j’y crois dur comme pierre » (en français on dit plutôt « dur comme fer »). Et Isaïe, par exemple, faisant un jeu de mots, disait au roi Achaz « Si vous ne croyez pas, (si vous ne vous appuyez pas sur Dieu), vous ne pourrez pas tenir. » (Is 7,9).
LA QUESTION DE CONFIANCE
Dans la même strophe, la phrase « Aujourd’hui écouterez-vous sa Parole ? » est une invitation à la confiance ; parce que quand on fait confiance à quelqu’un, on l’écoute. D’où la fameuse prière juive, le « Shema Israël » : « Ecoute Israël, le SEIGNEUR notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le SEIGNEUR ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta force. » (Dt 6,4). Tu aimeras, c’est-à-dire tu lui feras confiance et tu t’attacheras à lui sans partage.
Pour écouter, encore faut-il avoir l’oreille ouverte : encore une expression que l’on rencontre à plusieurs reprises dans la Bible, dans le sens de mettre sa confiance en Dieu ; vous connaissez le psaume 39/40 : « Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu as ouvert mes oreilles » ; ou encore ce chant du Serviteur d’Isaïe : « Le SEIGNEUR mon Dieu m’a ouvert l’oreille… » (Is 50,5). Et les mots « obéir, obéissance » sont de la même veine : en hébreu comme en grec, quand il s’agit de l’obéissance à Dieu, ils sont de la même racine que le verbe écouter, au sens de faire confiance. (En français aussi, d’ailleurs, puisque notre verbe « obéir » vient du verbe latin « audire » : obéir, « ob-audire », c’est mettre son oreille devant la parole).
Cette confiance de la foi est appuyée sur l’expérience… Pour le peuple d’Israël, tout a commencé avec la libération d’Egypte ; c’est ce que notre psaume appelle « l’exploit de Dieu » : « Et pourtant ils avaient vu mon exploit. » Cette expérience, et de siècle en siècle pour les générations suivantes, la mémoire de cette expérience vient soutenir la foi : si Dieu a pris la peine de libérer son peuple de l’esclavage, ce n’est pas pour le laisser mourir de faim ou de soif dans le désert.
Et donc, on peut s’appuyer sur lui comme sur un rocher… Le début du psaume, « Acclamons notre rocher, notre salut », n’est pas seulement de la poésie, c’est une véritable profession de foi. Une foi qui s’appuie sur l’expérience du désert : à Massa et Meriba, le peuple a douté que Dieu lui donne les moyens de survivre… Mais Dieu a quand même fait couler l’eau du rocher ; et, désormais, on rappellera souvent cet épisode en disant de Dieu qu’il est le Rocher d’Israël.
Ce choix résolu de la confiance est à refaire chaque jour : « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? » Cette phrase est très libérante : elle signifie que chaque jour est un jour neuf ; aujourd’hui, tout est de nouveau possible. Chaque jour nous pouvons réapprendre à « écouter », à « faire confiance » : c’est bien cela qu’Ezékiel prêchait à son peuple en exil, découragé.
Dernière remarque, le psaume parle au pluriel : « Aujourd’hui écouterez-vous sa parole ? »… Cette conscience de faire partie d’un peuple était très forte en Israël ; quand le psaume 94/95 dit : « Nous sommes le peuple que Dieu conduit », là non plus, ce n’est pas de la poésie, c’est l’expérience d’Israël qui parle ; dans toute son histoire, on pourrait dire qu’Israël parle au pluriel. « Entrez, inclinez-vous, prosternez-vous » sous-entendu sans vous demander où vous en êtes chacun dans votre sensibilité croyante ; nous touchons peut-être là un des problèmes de l’Eglise actuelle : dans la Bible, c’est un peuple qui vient à la rencontre de son Dieu… « Venez, crions de joie pour le SEIGNEUR, acclamons notre Rocher, notre salut ! »
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Compléments
Pour certains d’entre nous la question de confiance se pose chaque fois que nous ne trouvons pas de réponse à nos interrogations : accepter de ne pas tout savoir, de ne pas tout comprendre, accepter que les voies de Dieu nous soient impénétrables exige parfois de nous une confiance qui ressemble à un chèque en blanc… Il ne nous reste plus qu’à dire comme Pierre à Césarée, « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle ».
Quand Saint Paul dit dans la lettre aux Corinthiens « Laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2 Co 5,20), on peut traduire « Cessez de lui faire des procès d’intention, comme à Massa et Meriba » ou quand Marc dit dans son Evangile « Convertissez-vous et croyez à l’Evangile » (Mc 1,15), on peut traduire « croyez que la Nouvelle est bonne », c’est-à-dire croyez que Dieu vous aime, qu’il n’est que bienveillant à votre égard.
Le récit du paradis terrestre, lui-même, peut se lire à la lumière de cette réflexion d’Israël sur la foi, à partir de l’épisode de Massa et Meriba : pour Adam, c’est-à-dire chacun d’entre nous, la question de confiance peut se poser sous la forme d’un obstacle, une limitation de nos désirs (par exemple la maladie, le handicap, la perspective de la mort)… Ce peut être aussi un commandement à respecter, qui limite apparemment notre liberté, parce qu’il limite nos désirs d’avoir, de pouvoir… La foi, alors, c’est la confiance que, toujours, même si les apparences sont contraires, Dieu nous veut libres, vivants, heureux et que de nos situations d’échec, de frustration, de mort, il fera jaillir la liberté, la plénitude, la résurrection.

DEUXIEME LECTURE – Lettre de saint Paul aux Romains 13,8-10
Frères,
8 n’ayez de dette envers personne,
sauf celle de l’amour mutuel,
car celui qui aime les autres
a pleinement accompli la Loi.
9 La Loi dit :
Tu ne commettras pas d’adultère,
tu ne commettras pas de meurtre,
tu ne commettras pas de vol,
tu ne convoiteras pas.
Ces commandements et tous les autres
se résument dans cette parole :
Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
10 L’amour ne fait rien de mal au prochain.
Donc le plein accomplissement de la Loi,
c’est l’amour.

LE FIN MOT DE LA LOI, C’EST L’AMOUR
Pour comprendre cette lecture d’aujourd’hui sans la réduire, il faut la replacer dans son contexte. Depuis le chapitre 12 de sa lettre aux Romains, Paul donne des conseils aux Chrétiens sur la question la plus difficile peut-être à toutes les époques : comment vivre concrètement en Chrétiens dans un monde qui ne l’est pas ? Vivre en chrétien, c’est, comme il l’a dit plus haut, faire de toute notre vie quotidienne un véritable hommage à Dieu, un « sacrifice saint », une chose sacrée ; c’était notre lecture de dimanche dernier, et il avait ajouté : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu. » (Rm 12,2). C’était logique : un Chrétien cherche en permanence à « discerner quelle est la volonté de Dieu ».
Aujourd’hui, nous sommes au chapitre 13 de cette même lettre ; Paul entre dans le concret de la vie sociale, le rapport avec les autorités. Quand on lit l’ensemble du chapitre, on constate presque avec étonnement les précisions qu’il donne sur les obligations des citoyens : le respect des tribunaux, le paiement de l’impôt et des taxes, la soumission à toutes les autorités. Pour résumer, on pourrait dire : un bon Chrétien se doit d’être un bon citoyen. D’entrée de jeu, il affirme : « Que chacun soit soumis aux autorités supérieures ». Soyons francs, cette consigne a dû en surprendre plus d’un.
Dans le monde juif de l’Ancien Testament, de tels propos n’auraient surpris personne, car le pouvoir politique était entre les mains des autorités religieuses ; la loi civile ne se distinguait pas de la Loi de Dieu. C’est dans cette optique-là que Jésus avait pu dire à la foule et à ses disciples : « Les scribes et les Pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. » (Mt 23,1-2).
Mais on ne pouvait pas en dire autant du monde romain ; les autorités en question étaient les empereurs romains et toute la hiérarchie de leurs gouverneurs, magistrats et soldats dont la volonté de Dieu était évidemment le moindre souci ! Et si Paul avait pu écrire : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent », c’est bien parce que l’idéal de la société romaine était, sur certains points, aux antipodes de l’idéal chrétien. Alors, obéir à une autorité baignant dans le paganisme était-il possible ? C’est la question qui a été posée à Paul certainement, et qui est à l’origine de notre texte.
IL NE SUFFIT PAS D’ETRE EN REGLE, IL FAUT AIMER VRAIMENT
Paul répond en deux points :
Premièrement, ne prenez pas prétexte de votre appartenance chrétienne pour fuir vos responsabilités de citoyens ; son argument est le suivant : « Il n’y a d’autorité qu’en dépendance de Dieu, et celles qui existent sont établies sous la dépendance de Dieu. » (On trouve cela au début de ce chapitre : Rm 13,1). On entend résonner ici la phrase de Jésus à Pilate : « Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi si tu ne l’avais reçu d’en haut. » (Jn 19,11). Autre argument, les lois civiles poursuivent le bien elles aussi ; dans tous les pays du monde, la loi est normalement au service de la justice et de la défense des faibles. Paul dit : « L’autorité civile est au service de Dieu pour t’inciter au bien. » (Rm 13,4). Visiblement, Paul ne traite pas ici du problème des lois iniques. D’autre part, il faut se souvenir que les Juifs (et avec eux les premiers Chrétiens, puisque les Romains ne faisaient pas encore la différence) étaient dispensés des lois romaines qui choquaient leur conscience : par exemple brûler de l’encens devant la statue de l’empereur, ou bien faire le service militaire. Donc premier point, obéissez sans hésiter aux lois romaines qui vous sont imposées (puisque vous êtes exemptés de celles qui sont contraires à notre religion).
Deuxième point, il ne suffit pas d’être un bon citoyen et d’être parfaitement en règle avec l’autorité civile pour être un bon Juif ou un bon Chrétien ; quand vous êtes en règle avec la loi civile, nous dit Paul, vous n’êtes pas allés jusqu’au bout de la charité ; c’est le sens de la première phrase de notre lecture d’aujourd’hui : « N’ayez de dette envers personne, sauf celle de l’amour mutuel » : « N’ayez de dette envers personne », c’est-à-dire soyez en règle avec tous ; « sauf celle de l’amour mutuel », c’est-à-dire « quand vous serez en règle avec tous » il faudra aller encore plus loin. Car, déjà dans l’Ancien Testament, on avait compris que le fin mot de la Loi donnée par Dieu, c’est d’aimer nos frères. Pour le dire autrement, on avait compris qu’il ne suffit pas de dire : je n’ai pas tué, pas volé, pas commis l’adultère… on savait bien qu’il faut encore aller plus loin ; je cite Paul : « La Loi dit : ‘Tu ne commettras pas d’adultère, tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas de vol, tu ne convoiteras pas.’ Ces commandements et tous les autres se résument dans cette parole : ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même.’ » Cela veut bien dire que pour être en règle avec la Loi de Moïse, il ne suffisait pas de ne pas faire de mal, il fallait surtout aimer. Cela exige une conversion profonde, on le sait bien. C’est pourquoi Paul a dit un peu plus haut : « Ne prenez pas pour modèle le monde présent mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait. » Et là, nous aurons peut-être des surprises : c’est l’histoire de celui que Matthieu appelle le jeune homme riche. Il avait demandé à Jésus : « Que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ? » Et Jésus avait répondu « Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements. » Là-dessus, le jeune homme était parfaitement en règle ; alors Jésus l’avait appelé à aller plus loin et à le suivre au service des hommes : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres… puis viens, suis-moi. » (Mt 19,16-22).
Une chose est sûre, la décision de suivre le Christ peut nous mener très loin !

EVANGILE – selon saint Matthieu 18,15-20
En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples :
15 « Si ton frère a commis un péché contre toi,
va lui faire des reproches seul à seul.
S’il t’écoute, tu as gagné ton frère.
16 S’il ne t’écoute pas,
prends en plus avec toi une ou deux personnes
afin que toute l’affaire soit réglée
sur la parole de deux ou trois témoins.
17 S’il refuse de les écouter,
dis-le à l’assemblée de l’Église ;
s’il refuse encore d’écouter l’Église,
considère-le comme un païen et un publicain.
18 Amen, je vous le dis :
tout ce que vous aurez lié sur la terre
sera lié dans le ciel,
et tout ce que vous aurez délié sur la terre
sera délié dans le ciel.
19 Et pareillement, amen, je vous le dis,
si deux d’entre vous sur la terre
se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit,
ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux.
20 En effet, quand deux ou trois sont réunis en mon nom,
je suis là, au milieu d’eux. »

LE DEVOIR DE VIGILANCE ENTRE FRERES
Dans la deuxième lecture de ce dimanche, Saint Paul nous disait : « N’ayez de dette envers personne, sauf celle de l’amour mutuel… l’accomplissement parfait de la Loi, c’est l’amour. » Tout le chapitre 18 de l’évangile de Matthieu, dont nous lisons un extrait ici traite sous différents angles de l’accomplissement de cet amour dans les relations à l’intérieur de la communauté chrétienne. Il aborde en particulier deux thèmes : la priorité donnée aux petits et aux faibles, et le pardon mutuel. Pour introduire ses recommandations, juste avant ce passage, Jésus a raconté la parabole de la brebis perdue ; c’était une image facilement compréhensible pour ses auditeurs qui étaient nourris de la Bible : les images de berger et de troupeau étaient évidemment familières dans le paysage et on avait pris l’habitude de parler d’Israël comme le troupeau de Dieu ; sur terre, les chefs de la communauté étaient donc comparés à des bergers délégués par le berger suprême qui est Dieu bien sûr. La conclusion de la parabole, tout le monde l’avait deviné, c’était : « Votre Père qui est aux cieux ne veut pas qu’un seul de ces petits soit perdu. » (Mt 18,14). C’est bien normal pour un berger.
Et ce sera désormais la consigne de vigilance que Jésus confie à ses disciples : ne laissez pas vos frères s’égarer. Ce devoir de vigilance concerne d’abord et avant tout les responsables de la communauté, les bergers. Déjà Ezékiel disait : « Quel malheur pour les bergers d’Israël qui sont bergers pour eux-mêmes ! …Vous n’avez pas rendu des forces à la brebis chétive, soigné celle qui était malade, pansé celle qui était blessée. Vous n’avez pas ramené la brebis égarée, cherché celle qui était perdue…Elles se sont dispersées, faute de berger, pour devenir la proie de toutes les bêtes sauvages. Mon troupeau s’égare sur toutes les montagnes et toutes les collines élevées ; mes brebis sont dispersées dans tout le pays, personne ne les cherche, personne ne part à leur recherche. » (Ez 34,2… 6).
Mais le devoir de vigilance mutuelle existe aussi à l’intérieur même du troupeau ; ce ne sont pas seulement les bergers qui ont la responsabilité de la bonne santé et de la bonne marche du troupeau : les brebis sont responsables les unes des autres ; je cite encore Ezékiel : « C’est pourquoi, ainsi parle le SEIGNEUR Dieu : Voici que moi-même je jugerai entre la brebis grasse et la brebis maigre. Parce que vous avez bousculé du flanc et de l’épaule toutes celles qui étaient malades, et que vous leur avez donné des coups de corne jusqu’à les disperser hors du pâturage, je viendrai au secours de mes brebis et elles ne seront plus une proie. » Ezékiel annonçait alors que Dieu lui-même allait reprendre en main son troupeau par l’intermédiaire de son Messie : « Je susciterai à leur tête un seul berger ; lui les fera paître : ce sera mon serviteur David. Lui les fera paître, il sera leur berger. » (Ez 34,20-23).
LES MAITRES-MOTS : DELICATESSE ET DISCRETION
Jésus s’est présenté comme ce berger annoncé par le Seigneur, ce bon berger qui connaît ses brebis et que ses brebis connaissent (Jn 10) ; il donne ici ses consignes pour la vie du troupeau, en particulier en ce qui concerne le soutien fraternel et l’aide de la communauté pour qu’aucun des frères « ne soit perdu ».
« Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. S’il ne t’écoute pas, prends en plus avec toi une ou deux personnes afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins. S’il refuse de les écouter, dis-le à l’assemblée de l’Eglise ; s’il refuse encore d’écouter l’Eglise, considère-le comme un païen et un publicain. » Pour avoir le courage de reprendre celui qui « file un mauvais coton » comme on dit, il faut beaucoup d’amour ; un amour dont normalement, une communauté chrétienne doit pouvoir faire preuve. Car on sait bien que le véritable amour est exigeant : quand on aime réellement quelqu’un, on ne le laisse pas faire n’importe quoi ; il y va de « l’assistance à personne en danger ». Répéter inlassablement que Dieu est Amour ne pousse pas au laxisme que certains redoutent : car si Dieu est Amour, nous n’oublions pas que nous sommes appelés à lui ressembler, ce qui est terriblement exigeant !
Sur le chapitre de la relation des Chrétiens entre eux, lorsque l’un s’égare, Jésus indique la voie à suivre : d’abord chercher personnellement le dialogue avant d’en parler à d’autres, pour éviter, sans doute, d’aggraver les blessures de la brebis. Et tout faire pour qu’elle puisse rejoindre le troupeau.
Mais comment interpréter la phrase : « Si ton frère refuse d’écouter l’Eglise, considère-le comme un païen et un publicain » ? A la lumière de tout ce que l’on sait par ailleurs au sujet de Jésus et de l’accueil qu’il a toujours réservé aux publicains et aux pécheurs, il ne peut pas s’agir d’un rejet définitif mais du respect de la liberté de chacun… en attendant que Zachée (ou le publicain Matthieu) se convertisse. Ce qui ressort de la progression que recommande le Christ, c’est la nécessité absolue du respect que l’on doit à quiconque, et en particulier, à celui que l’on dit pécheur. Toutes les démarches pour renouer avec le frère, que ce soit la rencontre individuelle, l’appel à témoins, ou le recours à la communauté, doivent être marquées de cette délicatesse et de cette discrétion.
Telles sont les règles de base de la vie dans l’Eglise ; leur respect est semence de vie éternelle : « Amen, je vous le dis : tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel. » Le Royaume du Dieu de tendresse et de fidélité se bâtit dans la tendresse et la fidélité.
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Complément
« Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. » (verset 20). On peut lire dans les maximes des Pères Juifs (les Pirké Avot) : « Lorsque deux sont assis ensemble et s’occupent des paroles de la Torah, la Shekinah (c’est-à-dire la présence de Dieu) est au milieu d’eux. » (Avot 3,2).

Visite privée de la Cathédrale de Luçon

Visite privée de la Cathédrale de Luçon

Ecole de prière 2023

Visite privée de la cathédrale de Luçon

 

Le 21 juin dernier a eu lieu le lancement de notre nouveau site internet dédié au tourisme : https://tourisme.egliseenvendee.fr/.

A cette occasion, le diocèse proposait un jeu-concours, avec pour gain une visite privée de la cathédrale de Luçon. L’heureuse gagnante était Valérie Couturier, accompagnée par son mari et son fils. Ils ont pu voir la cathédrale sous un nouvel angle et bénéficier des explications d’Hubert Thibaud, sacristain et portier. La découverte s’est terminée en haut du clocher où la vue de Luçon est magnifique.

Retour en images de cette belle matinée.

La cathédrale de Luçon par ASSOCIATION DIOCESAINE DE LUCON ASSOCIATION DIOCESAINE DE LUCON