Commentaires du dimanche 2 avril

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 2 avril 2023
dimanche des Rameaux

1ère lecture
Psaume
2ème lecture
Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Isaïe 50,4-7
4 Le SEIGNEUR mon Dieu m’a donné le langage des disciples,
pour que je puisse, d’une parole,
soutenir celui qui est épuisé.
Chaque matin, il éveille,
il éveille mon oreille
pour qu’en disciple, j’écoute.
5 Le SEIGNEUR mon Dieu m’a ouvert l’oreille,
et moi, je ne me suis pas révolté,
je ne me suis pas dérobé.
6 J’ai présenté mon dos à ceux qui me frappaient,
et mes joues à ceux qui m’arrachaient la barbe.
Je n’ai pas caché ma face devant les outrages et les crachats.
7 Le SEIGNEUR mon Dieu vient à mon secours ;
c’est pourquoi je ne suis pas atteint par les outrages,
c’est pourquoi j’ai rendu ma face dure comme pierre :
je sais que je ne serai pas confondu.

ISRAEL, SERVITEUR DE DIEU
Isaïe ne pensait certainement pas à Jésus-Christ quand il a écrit ce texte, probablement au sixième siècle av.J.C., pendant l’Exil à Babylone. Je m’explique : Parce que son peuple est en Exil, dans des conditions très dures et qu’il pourrait bien se laisser aller au découragement, Isaïe lui rappelle qu’il est toujours le serviteur de Dieu. Et que Dieu compte sur lui, son serviteur (son peuple) pour faire aboutir son projet de salut pour l’humanité. Car le peuple d’Israël est bien ce Serviteur de Dieu nourri chaque matin par la Parole, mais aussi persécuté en raison de sa foi justement et résistant malgré tout à toutes les épreuves.
Dans ce texte, Isaïe nous décrit bien la relation extraordinaire qui unit le Serviteur (Israël) à son Dieu. Sa principale caractéristique, c’est l’écoute de la Parole de Dieu, « l’oreille ouverte » comme dit Isaïe.
« Ecouter », c’est un mot qui a un sens bien particulier dans la Bible : cela veut dire faire confiance ; on a pris l’habitude d’opposer ces deux attitudes types entre lesquelles nos vies oscillent sans cesse : confiance à l’égard de Dieu, abandon serein à sa volonté parce qu’on sait d’expérience que sa volonté n’est que bonne… ou bien méfiance, soupçon porté sur les intentions de Dieu… et révolte devant les épreuves, révolte qui peut nous amener à croire qu’il nous a abandonnés ou pire qu’il pourrait trouver une satisfaction dans nos souffrances.
Les prophètes, les uns après les autres, redisent « Ecoute, Israël » ou bien « Aujourd’hui écouterez-vous la Parole de Dieu…? » Et, dans leur bouche, la recommandation « Ecoutez » veut toujours dire « faites confiance à Dieu quoi qu’il arrive » ; et Saint Paul dira pourquoi : parce que « quand les hommes aiment Dieu (c’est-à-dire lui font confiance), lui-même fait tout contribuer à leur bien » (Rm 8,28). De tout mal, de toute difficulté, de toute épreuve, il fait surgir du bien ; à toute haine, il oppose un amour plus fort encore ; dans toute persécution, il donne la force du pardon ; de toute mort il fait surgir la vie, la Résurrection.
C’est bien l’histoire d’une confiance réciproque. Dieu fait confiance à son Serviteur, il lui confie une mission ; en retour le Serviteur accepte la mission avec confiance. Et c’est cette confiance même qui lui donne la force nécessaire pour tenir bon jusque dans les oppositions qu’il rencontrera inévitablement. Ici la mission est celle de témoin : « Pour que je puisse soutenir celui qui est épuisé », dit le Serviteur. En confiant cette mission, le Seigneur donne la force nécessaire : Il « donne » le langage nécessaire : « Le SEIGNEUR mon Dieu m’a donné le langage des disciples »… Et, mieux, il nourrit lui-même cette confiance qui est la source de toutes les audaces au service des autres : « Le SEIGNEUR mon Dieu m’a ouvert l’oreille », ce qui veut dire que l’écoute (au sens biblique, la confiance) elle-même est don de Dieu. Tout est cadeau : la mission et aussi la force et aussi la confiance qui rend inébranlable. C’est justement la caractéristique du croyant de tout reconnaître comme don de Dieu.
TENIR BON DANS L’EPREUVE
Et celui qui vit dans ce don permanent de la force de Dieu peut tout affronter : « Je ne me suis pas révolté, je ne me suis pas dérobé… » La fidélité à la mission confiée implique inévitablement la persécution : les vrais prophètes, c’est-à-dire ceux qui parlent réellement au nom de Dieu sont rarement appréciés de leur vivant. Concrètement, Isaïe dit à ses contemporains : tenez bon, le Seigneur ne vous a pas abandonnés, au contraire, vous êtes en mission pour lui. Alors ne vous étonnez pas d’être maltraités.
Pourquoi ? Parce que le Serviteur qui « écoute » réellement la Parole de Dieu, c’est-à-dire qui la met en pratique, devient vite extrêmement dérangeant. Sa propre conversion appelle les autres à la conversion. Certains entendent l’appel à leur tour… d’autres le rejettent, et, au nom de leurs bonnes raisons, persécutent le Serviteur. Et chaque matin, le Serviteur doit se ressourcer auprès de Celui qui lui permet de tout affronter. Et là, Isaïe emploie une expression un peu curieuse en français mais habituelle en hébreu : « J’ai rendu ma face dure comme pierre » : elle exprime la résolution et le courage ; en français, on dit quelquefois « avoir le visage défait », et bien ici le Serviteur affirme « vous ne me verrez pas le visage défait, rien ne m’écrasera, je tiendrai bon quoi qu’il arrive » ; ce n’est pas de l’orgueil ou de la prétention, c’est la confiance pure : parce qu’il sait bien d’où lui vient sa force.
Je disais en commençant que le prophète Isaïe parlait pour son peuple persécuté, humilié, dans son Exil à Babylone ; mais, bien sûr, quand on relit la Passion du Christ, cela saute aux yeux : le Christ répond exactement à ce portrait du serviteur de Dieu. Ecoute de la Parole, confiance inaltérable et donc certitude de la victoire, au sein même de la persécution, tout cela caractérisait Jésus au moment précis où les acclamations de la foule des Rameaux signaient et précipitaient sa perte.

PSAUME – 21 (22),2,8-9,17-20,22b-24
2 Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
8 Tous ceux qui me voient me bafouent,
ils ricanent et hochent la tête :
9 « Il comptait sur le SEIGNEUR : qu’il le délivre !
Qu’il le sauve, puisqu’il est son ami ! »
17 Oui, des chiens me cernent,
une bande de vauriens m’entoure ;
ils me percent les mains et les pieds,
18 je peux compter tous mes os.
19 Ils partagent entre eux mes habits
et tirent au sort mon vêtement.
20 Mais toi, SEIGNEUR, ne sois pas loin :
ô ma force, viens vite à mon aide !
22 Tu m’as répondu !
23 Et je proclame ton nom devant mes frères,
je te loue en pleine assemblée.
24 Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR.

DU CRI DE DETRESSE A L’ACTION DE GRACE
Ce psaume 21/22 nous réserve quelques surprises : il commence par cette fameuse phrase « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » qui a fait couler beaucoup d’encre et même de notes de musique ! L’erreur est de la sortir de son contexte, et du coup, nous sommes souvent tentés de la comprendre de travers : pour la comprendre, il faut relire ce psaume en entier. Il est assez long, trente-deux versets dont nous lisons rarement la fin : or que dit-elle ? C’est une action de grâce : « Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères, je te loue en pleine assemblée. » Celui qui criait « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » dans le premier verset, rend grâce quelques versets plus bas pour le salut accordé. Non seulement, il n’est pas mort, mais il remercie Dieu justement de ne pas l’avoir abandonné.
Ensuite, à première vue, on croirait vraiment que le psaume 21/22 a été écrit pour Jésus-Christ : « Ils me percent les mains et les pieds ; je peux compter tous mes os ». Il s’agit bien du supplice d’un crucifié ; et cela sous les yeux cruels et peut-être même voyeurs des bourreaux et de la foule : « Oui, des chiens me cernent, une bande de vauriens m’entoure »… « Ces gens me voient, ils me regardent. Ils partagent entre eux mes habits, et tirent au sort mon vêtement ».
Mais, en réalité, ce psaume n’a pas été écrit pour Jésus-Christ, il a été composé au retour de l’Exil à Babylone : ce retour est comparé à la résurrection d’un condamné à mort ; car l’Exil était bien la condamnation à mort de ce peuple ; encore un peu, et il aurait été rayé de la carte !
Et donc, dans ce psaume 21/22, Israël est comparé à un condamné qui a bien failli mourir sur la croix (n’oublions pas que la croix était un supplice très courant à l’époque du retour de l’Exil), c’est pour cela qu’on prend l’exemple d’une crucifixion) : le condamné a subi les outrages, l’humiliation, les clous, l’abandon aux mains des bourreaux… et puis, miraculeusement, il en a réchappé, il n’est pas mort. Traduisez : Israël est rentré d’Exil. Et, désormais, il se laisse aller à sa joie et il la dit à tous, il la crie encore plus fort qu’il n’a crié sa détresse. Le récit de la crucifixion n’est donc pas au centre du psaume, il est là pour mettre en valeur l’action de grâce de celui (Israël) qui vient d’échapper à l’horreur.
Du sein de sa détresse, Israël n’a jamais cessé d’appeler au secours et il n’a pas douté un seul instant que Dieu l’écoutait. Son grand cri que nous connaissons bien : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » est bien un cri de détresse devant le silence de Dieu, mais ce n’est ni un cri de désespoir, ni encore moins un cri de doute. Bien au contraire ! C’est la prière de quelqu’un qui souffre, qui ose crier sa souffrance. Au passage, nous voilà éclairés sur notre propre prière quand nous sommes dans la souffrance quelle qu’elle soit : nous avons le droit de crier, la Bible nous y invite.
Ce psaume est donc en fait le chant du retour de l’Exil : Israël rend grâce. Il se souvient de la douleur passée, de l’angoisse, du silence apparent de Dieu ; il se sentait abandonné aux mains de ses ennemis … Mais il continuait à prier. Israël continuait à se rappeler l’Alliance, et tous les bienfaits de Dieu.
LE PSAUME 21 COMME UN EX-VOTO
Au fond, ce psaume est l’équivalent de nos ex-voto : au milieu d’un grand danger, on a prié et on a fait un voeu ; du genre « si j’en réchappe, j’offrirai un ex-voto à tel ou tel saint » ; (le mot « ex-voto » veut dire justement « à la suite d’un voeu ») ; une fois délivré, on tient sa promesse. C’est parfois sous forme d’un tableau qui rappelle le drame et la prière des proches.
Notre psaume 21/22 ressemble exactement à cela : il décrit bien l’horreur de l’Exil, la détresse du peuple d’Israël et de Jérusalem assiégée par Nabuchodonosor, le sentiment d’impuissance devant l’épreuve ; et ici l’épreuve, c’est la haine des hommes ; il dit la prière de supplication : « Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » qu’on peut traduire « Pourquoi, en vue de quoi, m’as-tu abandonné à la haine de mes ennemis ? » Et Dieu sait si le peuple d’Israël a affronté de nombreuses fois la haine des hommes. Mais ce psaume dit encore plus, tout comme nos ex-voto, l’action de grâce de celui qui reconnaît devoir à Dieu seul son salut. « Tu m’as répondu ! Et je proclame ton nom devant mes frères… Je te loue en pleine assemblée. Vous qui le craignez, louez le SEIGNEUR ! » Et les derniers versets du psaume ne sont qu’un cri de reconnaissance ; malheureusement, nous ne les chanterons pas pendant la messe de ce dimanche des Rameaux … (peut-être parce que nous sommes censés les connaître par coeur ?) : « Les pauvres mangeront, ils seront rassasiés ; ils loueront le SEIGNEUR, ceux qui le cherchent. A vous toujours, la vie et la joie ! La terre se souviendra et reviendra vers le SEIGNEUR, chaque famille de nations se prosternera devant lui… Moi, je vis pour lui, ma descendance le servira. On annoncera le Seigneur aux générations à venir. On proclamera sa justice au peuple qui va naître : Voilà son oeuvre ! »

DEUXIEME LECTURE – lettre de saint Paul aux Philippiens 2,6-11
6 Le Christ Jésus,
ayant la condition de Dieu,
ne retint pas jalousement
le rang qui l’égalait à Dieu.
7 Mais il s’est anéanti,
prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes.
8 Reconnu homme à son aspect,
il s’est abaissé,
devenant obéissant jusqu’à la mort,
et la mort de la croix.
9 C’est pourquoi Dieu l’a exalté.
Il l’a doté du Nom
qui est au-dessus de tout nom,
10 afin qu’au nom de Jésus
tout genou fléchisse
au ciel, sur terre et aux enfers,
11 Et que toute langue proclame :
« Jésus-Christ est Seigneur »
à la gloire de Dieu le Père.

JESUS, SERVITEUR DE DIEU
Pendant l’Exil à Babylone, au sixième siècle avant Jésus-Christ, le prophète Isaïe, de la part de Dieu bien sûr, avait assigné une mission et un titre à ses contemporains ; le titre était celui de Serviteur de Dieu. Il s’agissait, au cœur même des épreuves de l’Exil, de rester fidèles à la foi de leurs pères et d’en témoigner au milieu des païens de Babylone, fut-ce au prix des humiliations et de la persécution. Dieu seul pouvait leur donner la force d’accomplir cette mission.
Lorsque les premiers Chrétiens ont été affrontés au scandale de la croix, ils ont médité le mystère du destin de Jésus, et n’ont pas trouvé de meilleure explication que celle-là : « Jésus s’est anéanti, prenant la condition de serviteur ». Lui aussi a bravé l’opposition, les humiliations, la persécution. Lui aussi a cherché sa force auprès de son Père parce qu’il n’a jamais cessé de lui faire confiance.
Mais il était Dieu, me direz-vous. Pourquoi n’a-t-il pas recherché la gloire et les honneurs qui reviennent à Dieu ? Mais, justement, parce qu’il est Dieu, il veut sauver les hommes. Il agit donc en homme et seulement en homme pour montrer le chemin aux hommes. Paul dit : « Le Christ Jésus, ayant la condition de Dieu, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. » C’est justement parce qu’il est de condition divine, qu’il ne revendique rien. Il sait, lui, ce qu’est l’amour gratuit… il sait bien que ce n’est pas bon de revendiquer, il ne juge
pas bon de « revendiquer » le droit d’être traité à l’égal de Dieu… Et pourtant c’est bien cela que Dieu veut nous donner ! Donner comme un cadeau. Et c’est effectivement cela qui lui a été donné en définitive.
J’ai bien dit comme un cadeau et non pas comme une récompense. Car il me semble que l’un des pièges de ce texte est la tentation que nous avons de le lire en termes de récompense ; comme si le schéma était : Jésus s’est admirablement comporté et donc il a reçu une récompense admirable ! Si j’ose parler de tentation, c’est que toute présentation du plan de Dieu en termes de calcul, de récompense, de mérite, ce que j’appelle des termes arithmétiques est contraire à la « grâce » de Dieu… La grâce, comme son nom l’indique, est gratuite ! Et, curieusement, nous avons beaucoup de mal à raisonner en termes de gratuité ; nous sommes toujours tentés de parler de mérites ; mais si Dieu attendait que nous ayons des mérites, c’est là que nous pourrions être inquiets… La merveille de l’amour de Dieu c’est qu’il n’attend pas nos mérites pour nous combler ; c’est en tout cas ce que les hommes de la Bible ont découvert grâce à la Révélation. On s’expose à des contresens si on oublie que tout est don gratuit de Dieu.
LE PROJET DE DIEU EST GRATUIT
Pour Paul, c’est une évidence que le don de Dieu est gratuit. Essayons de résumer la pensée de Paul : le projet de Dieu (son « dessein bienveillant ») c’est de nous faire entrer dans son intimité, son bonheur, son amour parfait. Ce projet est absolument gratuit, puisque c’est un projet d’amour. Ce don de Dieu, cette entrée dans sa vie divine, il nous suffit de l’accueillir avec émerveillement, tout simplement ; pas question de le mériter, c’est « cadeau » si j’ose dire. Avec Dieu, tout est cadeau. Mais nous nous excluons nous-mêmes de ce don gratuit si nous adoptons une attitude de revendication ; si nous nous conduisons à l’image de la femme du jardin d’Eden : elle prend le fruit défendu, elle s’en empare, comme un enfant « chipe » sur un étalage… Jésus-Christ, au contraire, n’a été que accueil (ce que Saint Paul appelle « obéissance »), et parce qu’il n’a été que accueil du don de Dieu et non revendication, il a été comblé. Et il nous montre le chemin, nous n’avons qu’à suivre, c’est-à-dire l’imiter.
Il reçoit le Nom qui est au-dessus de tout nom : c’est bien le Nom de Dieu justement ! Dire de Jésus qu’il est Seigneur, c’est dire qu’il est Dieu : dans l’Ancien Testament, le titre de « Seigneur » était réservé à Dieu. La génuflexion aussi, d’ailleurs : « afin qu’au Nom de Jésus, tout genou fléchisse »… C’est une allusion à une phrase du prophète Isaïe: « Devant moi tout genou fléchira, toute langue en fera le serment, dit Dieu » (Is 45,23).
Jésus a vécu sa vie d’homme dans l’humilité et la confiance, même quand le pire est arrivé, c’est-à-dire la haine des hommes et la mort. J’ai dit « confiance » ; Paul, lui, parle « d’obéissance ». « Obéir », « ob-audire » en latin, c’est littéralement « mettre son oreille (audire) « devant » (ob) la parole : c’est l’attitude du dialogue parfait, sans ombre ; c’est la totale confiance ; si on met son oreille devant la parole, c’est parce qu’on sait que cette parole n’est qu’amour, on peut l’écouter sans crainte.
L’hymne se termine par « toute langue proclame : Jésus-Christ est Seigneur à la gloire de Dieu le Père » : la gloire, c’est la manifestation, la révélation de l’amour infini ; autrement dit, en voyant le Christ porter l’amour à son paroxysme, et accepter de mourir pour nous révéler jusqu’où va l’amour de Dieu, nous pouvons dire comme le centurion « Oui, vraiment, celui-là est le Fils de Dieu »… puisque Dieu, c’est l’amour.

Commentaire de la Passion de Notre Seigneur Jésus Christ selon Saint Matthieu
Chaque année, pour le dimanche des Rameaux, nous lisons le récit de la Passion dans l’un des trois Evangiles synoptiques ; cette année, c’est donc dans l’Evangile de Matthieu. Je vous propose de nous arrêter aux épisodes qui sont propres à Matthieu ; bien sûr, dans les grandes lignes, les quatre récits de la Passion sont très semblables ; mais si on regarde d’un peu plus près, on s’aperçoit que chacun des Evangélistes a ses accents propres.

PASSAGES PROPRES À MATTHIEU
Voici donc quelques épisodes et quelques phrases que Matthieu est seul à rapporter.
Tout d’abord, on se souvient que c’est à prix d’argent que Judas a livré Jésus aux grands prêtres juifs. Matthieu est le seul à dire la somme exacte, trente pièces d’argent : ce détail n’est pas anodin, car c’était le prix fixé par la Loi pour l’achat d’un esclave. Cela veut dire le mépris que les hommes ont manifesté envers le Seigneur de l’univers.
Plus tard, le même Judas fut pris de remords : « Alors, en voyant que Jésus était condamné, Judas, qui l’avait livré, fut pris de remords ; il rendit les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens. Il leur dit : « J’ai péché en livrant à la mort un innocent. » Ils répliquèrent : « Que nous importe ? Cela te regarde ! » Jetant alors les pièces d’argent dans le Temple, il se retira et alla se pendre. Les grands prêtres ramassèrent l’argent et dirent : « Il n’est pas permis de le verser dans le trésor, puisque c’est le prix du sang. » Après avoir tenu conseil, ils achetèrent avec cette somme le champ du potier pour y enterrer les étrangers. Voilà pourquoi ce champ est appelé jusqu’à ce jour le Champ-du-Sang. Alors fut accomplie la parole prononcée par le prophète Jérémie : Ils ramassèrent les trente pièces d’argent, le prix de celui qui fut mis à prix, le prix fixé par les fils d’Israël, et ils les donnèrent pour le champ du potier, comme le Seigneur me l’avait ordonné. » (Mt 27,3-10).
Au cours de la comparution de Jésus chez Pilate, Matthieu est le seul à rapporter l’intervention de la femme de Pilate : Tandis qu’il (Pilate) siégeait au tribunal, sa femme lui fit dire : « Ne te mêle pas de l’affaire de ce juste, car aujourd’hui j’ai beaucoup souffert en songe à cause de lui. » (Mt 27,19).
Et il est clair que le procès de Jésus mettait Pilate mal à l’aise. Un peu plus tard, Matthieu encore, raconte l’épisode du lavement des mains : « Pilate, voyant que ses efforts ne servaient à rien, sinon à augmenter le tumulte, prit de l’eau et se lava les mains devant la foule, en disant : « Je suis innocent du sang de cet homme : cela vous regarde ! » Tout le peuple répondit : « Son sang, qu’il soit sur nous et sur nos enfants ! » Alors, il leur relâcha Barabbas ; quant à Jésus, il le fit flageller, et il le livra pour qu’il soit crucifié. » (Mt 27,24-26).
Au moment de la mort de Jésus, les trois évangélistes synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) racontent que le rideau du temple s’est déchiré du haut en bas, mais Matthieu, seul, ajoute : « la terre trembla et les rochers se fendirent. Les tombeaux s’ouvrirent ; les corps de nombreux saints qui étaient morts ressuscitèrent, et, sortant des tombeaux après la résurrection de Jésus, ils entrèrent dans la Ville sainte, et se montrèrent à un grand nombre de gens. » (Mt 27,51-53).
Enfin, Matthieu a noté le soin tout spécial que les autorités ont apporté à la garde du tombeau de Jésus : ils sont allés trouver Pilate pour obtenir l’autorisation de surveiller le sépulcre dans la crainte que les disciples ne viennent subtiliser le corps de Jésus pour faire croire qu’il était ressuscité. Et c’est exactement la légende qu’ils ont fait courir après la résurrection.
LA VRAIE GRANDEUR DE JESUS RECONNUE PAR DES PAIENS
Ce qui est notable ici, en définitive, c’est l’aveuglement des autorités religieuses, qui les pousse à l’acharnement contre Jésus.
Et c’est le terrible paradoxe de ce drame : à savoir que, en dehors de sa famille, et de ses quelques disciples, ceux qui auraient dû être les plus proches de Jésus, les Juifs en général, l’ont méconnu, méprisé, humilié. Et que, en revanche, ce sont les autres, les païens, qui, sans le savoir, lui ont donné ses véritables titres de noblesse. Car l’une des caractéristiques de ce texte est bien l’abondance des titres donnés à Jésus dans le récit de la Passion, qui représente quelques heures, ses dernières heures de vie terrestre. Cet homme anéanti, blessé dans son corps et dans sa dignité, honni, accusé de blasphème, ce qui est le pire des péchés pour ses compatriotes… est en même temps honoré bien involontairement par des étrangers qui lui décernent les plus hauts titres de la religion juive. A commencer par le titre de « Juste » que lui a donné la femme de Pilate. Et, quant à celui-ci, il a fait afficher sur la croix le fameux écriteau qui désigne Jésus comme « le roi des Juifs ».
Enfin, le titre de Fils de Dieu lui est d’abord décerné par pure dérision, pour l’humilier : d’abord par les passants qui font cruellement remarquer à l’agonisant le contraste entre la grandeur du titre et son impuissance définitive ; puis ce sont les chefs des prêtres, les scribes et les anciens qui le défient : si réellement il était le Fils de Dieu, il n’en serait pas là. Mais ce même titre va lui être finalement décerné par le centurion romain : et alors il résonne comme une véritable profession de foi : « Vraiment celui-ci était le Fils de Dieu ».
Or cette phrase préfigure déjà la conversion des païens, ce qui revient à dire que la mort du Christ n’est pas un échec, elle est une victoire. Le projet de salut de l’humanité tout entière est en train de se réaliser.
Alors on comprend pourquoi Matthieu accentue le contraste entre la faiblesse du condamné et la grandeur que certains païens lui reconnaissent quand même : c’est pour nous faire comprendre ce qui est à première vue impensable : à savoir que c’est dans sa faiblesse même que Jésus manifeste sa vraie grandeur, qui est celle de Dieu, c’est-à-dire de l’amour infini.

Homélie du dimanche 2 avril

Dimanche 2 avril 2023, les Rameaux et l’entrée à Jérusalem
La Semaine Sainte
La Bénédiction des Rameaux :
Entrée messianique Mt 21, 1-11
Liturgie de la Parole : Livre d’Isaïe : 50. 4 à 7 : « Je n’ai pas caché ma face devant les outrages, je sais que je ne serai pas confondu ».
Psaume 21: « Tu m’as répondu. Je proclame ton nom devant mes frères. »
Lettre de saint Paul aux Philippiens : 2. 6 à 11 : « Jésus-Christ est le Seigneur pour la gloire de Dieu le Père. »
Passion selon saint Matthieu : 26. 14 à 27. 66 :  » Que ne soit pas ma volonté qui se fasse, mais la tienne. »
***
L’entrée à Jérusalem marque l’entrée dans le mystère pascal que, durant toute cette semaine, nous vivrons sous l’un ou l’autre de ses aspects. Ce serait un erreur que de vouloir nous approcher de l’un sans y inclure les autres.
La Résurrection est intimement liée à l’offrande et la mort du Christ Jésus, notre Sauveur.
LA PAQUE DU SEIGNEUR.
Dans le langage traditionnel de l’Eglise, le mot « Pâques » ne désigne pas seulement le dimanche de la Résurrection, mais aussi le mystère eucharistique. Il nous le dit lui-même : « J’ai désiré manger cette Pâque avec vous. » (Luc 22. 15). C’est le mystère de la croix et celui du tombeau vide. Tout cet ensemble est la transposition chrétienne de ce que les Juifs appelaient « la Pâque », c’est-à-dire, le passage.
Ce passage débute au repas de l’agneau immolé, se continue par la traversée de la Mer jusqu’à l’arrivée sur l’autre rive, celle de la liberté et de l’espérance. Durant une semaine, ce mystère va marquer la liturgie quotidienne jusqu’au jour de joie de la Résurrection.
L’ENTREE DANS JERUSALEM
Jésus la veut toute simple, sur un animal symbole d’humilité et de douceur. C’est également l’accomplissement de la prophétie de Zacharie (Zac. 9.9) : « Voici que ton roi s’avance vers toi, il est juste et victorieux. » Cette victoire devra traverser l’épreuve de l’humiliation et du sacrifice.
Par contre, la foule qui vient de Galilée et de plus loin sans doute, pour la fête de la Pâque, se réjouit avec exubérance. Mais elle ne semble pas réaliser, pas plus que les Pharisiens d’ailleurs, qu’elle est en train de vivre l’entrée messianique, annoncée par les Prophètes.
Les pharisiens, quelques-uns précise saint Luc, peuvent critiquer l’enthousiasme de la foule. Jésus l’accepte puisqu’il vient du coeur, même s’il est éphémère.
Nous aussi, nous devons « recevoir » Jésus-Christ et assumer sa volonté, parce qu’elle est celle de celui qui vient au nom du Seigneur. Il vient. Il reviendra dans sa gloire. Aujourd’hui il ne demande aucun royaume visible, il ne veut régner que sur nous-mêmes.
IL N’A PAS REVENDIQUE
Le texte que l’Eglise a tiré de saint Paul aux Philippiens est une des plus belles pages de la christologie : »Il était en égalité avec Dieu. » (Philippiens 2. 6) et il n’a pas gardé cela comme la possession d’une proie. C’est même l’inverse. Il s’est abaissé, jusqu’à devenir la proie des hommes, parce qu’il a vécu en tous points semblable à eux, en égalité avec eux. (Philippiens 2. 7)
Puisqu’il était devenu semblable aux homme et reconnu comme tel dans son comportement, Jésus en assume et accepte toute la réalité.
Jusqu’à celle de subir la souffrance inhérente à la condition humaine qui est une créature limitée dans ses potentialités, limitée dans le temps, limitée dans son bonheur.
Assumant toute l’humanité, « obéissant jusqu’à la mort », sauf le péché, il en assume aussi toute la gloire de l’homme qui est de rejoindre Dieu. Comme il est de la condition même de Dieu, il partage toute la gloire de l’homme et toute la gloire de Dieu, et nous la fait partager.
AU DEPART DU CHEMIN DE CROIX
Après le prélude joyeux de l’entrée à Jérusalem, l’Eglise nous fait entrer dans ces heures de douloureuses humiliations que doit subir le Verbe de Dieu, devenu homme.
Il est à noter que, pour cette lecture de la Passion, l’Eglise fait débuter le récit au repas de la célébration pascale, et non pas au jardin des Oliviers. Car c’est le repas de l’Alliance qui conduit au repas du Royaume. Il le précise à ses disciples : « jusqu’à ce que vienne le règne de Dieu, le royaume de Dieu. » Et, pour le condamné sur la croix proche du Christ, ce sera : »Aujourd’hui même… » « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang » dit le Seigneur à ses apôtres.
L’Eucharistie réalise le sacrifice du Seigneur et nous en offre immédiatement les fruits. Nous le disons en chaque célébration : « Regarde le sacrifice de ton Eglise et daigne y reconnaître le sacrifice de ton Fils qui nous as rétablis dans ton Alliance ». (Prière eucharistique III)
GETHSEMANI
« Je suis venu pour faire Ta volonté », lui fait dire la lettre aux Hébreux (Héb. 10. 9 et 10) reprenant les paroles des psaumes. Elle nous inclut dans cette offrande du Christ : »C’est dans cette volonté, cette offrande du corps de Jésus, que nous sommes sauvés définitivement. » Quand il rejoint ses apôtres, dans la nuit silencieuse où seule s’est élevée sa voix, il ne peut que constater sa propre solitude : »Pourquoi dormez-vous ?..
. » Mais elle ne l’enferme pas sur lui-même. Elle le conduit à une offrande universelle. « Afin que toute langue proclame », écrit saint Paul aux Philippiens.
Pourquoi nous enfermer sur nous-mêmes quand il nous appelle à dépasser nos propres solitudes ? Comme lui, nous connaissons ces temps où Dieu nous paraît absent, mais comme lui, nous ne retrouverons notre Père, qu’au moment d’assumer sa volonté sur nous-mêmes.
LE RENIEMENT
Au jardin, Pierre s’était cru fort avec son épée, comme il croyait réaliser ainsi total le don de lui-même au Christ à qui il avait dit : « A qui irions-nous, tu as les paroles de la vie éternelle. ».
Mais, ce soir, dans la cour du grand-prêtre, avec son épée refusée par Jésus, il est seul avec lui-même et sa peur, au point qu’il il ne reconnaît plus celui à qui il avait voulu consacrer sa vie.: « Je ne le connais pas, je ne vois pas ce que tu veux dire »
Or il le sait très bien. Le maître n’était plus là pour lui tendre la main comme au jour où il s’enfonçait dans la tempête en marchant sur le lac. Ce soir, c’est un coq, petite bestiole qui ignore le rôle qu’elle tient à ce moment, qui retourne Pierre vers Jésus.
Savoir entendre et saisir les signes de Dieu ….Et c’est alors que son regard croise celui de Jésus.
C’EST TOI QUI LE DIS
Les chefs juifs interrogent Jésus qui les renvoie à leur propre responsabilité et à leur propre décision : « Si je vous le dis, vous ne me croiriez pas. Si j’interroge, vous ne me répondrez pas. » Il oblige Caïphe à poser lui-même l’affirmation sans qu’il puisse se dérober : « Tu es donc le Fils de Dieu ? » – Jésus n’a qu’à lui répondre :  » C’est toi qui le dis ».
Saint Jean souligne la valeur de la réponse de Caïphe. C’est en tant que grand prêtre de l’année qu’il prononce cette affirmation. Selon la loi, une déclaration solennelle du grand-prêtre en exercice donnait valeur décisive à une affirmation religieuse.
Avec Pilate, nous quittons le registre religieux, pour nous situer dans celui de la politique : » Es-tu le roi des Juifs ? » Jésus reprend la même attitude : » C’est toi qui le dis. » Les deux gouvernants de la région vont s’entendre : Pilate le gouverneur romain de la Judée et Hérode le roi de Galilée.
IL N’A PAS REVENDIQUE
Désormais, Jésus assume son identité avec tant et tant d’hommes rejetés et méprisés : il est livré au bon plaisir de ses ennemis, mis en marchandage avec un assassin, et chargé de la croix douloureuse et infamante de l’esclave.
Il ne revendique rien pour lui, ni devant la brutalité des gardes, ni devant les pleureuses aux larmes inutiles, ni même devant Simon de Cyrène contraint de partager ce portement de croix, sans en connaître le sens, ni envers ceux qui ricanent, ni en réponse aux soldats qui lui tendent l’éponge vinaigrée.
D’ailleurs pourraient-ils comprendre en cet instant ce que trois années de prédications, de miracles et de proximité avec les malades et les pauvres ne leur ont pas fait découvrir. Comme à Gethsémani, il reste seul avec son Père. Comme dans la solitude des prières nocturnes qui impressionnait tant les disciples.  » Apprend-nous à prier. »
Marie, Jean et les femmes au pied de la croix sont une présence humaine de l’amour fidèle, l’expression silencieuse que tous les hommes ne l’ont pas abandonné. Ce n’est pas à elles qu’il s’adresse tout d’abord, c’est à son Père. Il ne se lamente pas , il ne se replie pas sur lui-même.
Il ne revendique qu’une chose : que soit accordé le pardon à tous ceux qui l’entourent parce qu’il vient l’apporter ce pardon à tous les hommes, à chacun de nous : »Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »
UN DIALOGUE INATTENDU
A côté de lui, ils sont deux, crucifiés dans la même honte, dans la même souffrance, dans la même torture. Il entend leur dialogue où l’un d’eux reconnaît sa faute « Nous avons ce que nous méritons », comme nous le disons au seuil de chaque Eucharistie : » Je reconnais devant mes frères que j’ai péché. » – « Souviens-toi de moi…  » dit le bon larron; et nous, nous demandons à nos frères « de prier pour moi, le Seigneur notre Dieu. »
La réponse de Jésus est immédiate : »Tu seras avec moi dans le Paradis. » Dans toute vie, il y a des moments où il nous est difficile de faire confiance à Dieu. Le bon larron avait proclamé à sa manière que Jésus était le Seigneur. A nous aussi il nous est demandé de proclamer  » que Jésus-Christ est le Seigneur » (Philippiens. 2. 11)
OBSCURITE ET DECHIRURE
 » L’obscurité se fit jusqu’à trois heures… Le voile du Temple se déchira ». Le Christ a remis son esprit, sa vie humaine, entre les mains de son Père. Chacun de ceux qui étaient au Calvaire, sans se douter qu’il est acteur dans l’attente de la Résurrection, accomplit ce qu’il est en mesure de donner en réponse à tant d’amour.
Au pied de la croix, les Pharisiens s’enferment sur eux-mêmes. Le centurion rend gloire à Dieu. La foule sent le besoin de se faire pardonner et se frappe la poitrine en rentrant célébrer la Pâque. Marie reçoit Jean et l’Eglise. Joseph d’Arimathie décide d’aller trouver Pilate pour ensevelir le corps de celui dont il est le disciple. Les saintes femmes s’en retournent chez elles préparer les aromates. Quand les lumières de ce sabbat de Pâque commencent à briller, pour eux tous, ils sont dans l’obscurité de la foi.
C’est au matin de la Résurrection que sera la lumière et que se découvrira progressivement la gloire de Dieu. Quand la pierre du tombeau s’écarte comme s’est déchiré le voile du Temple, quand les yeux des disciples d’Emmaüs, dans le soir qui tombe, s’ouvrent à sa lumière.
***
La croix marque le chemin qui va de l’entrée à Jérusalem au retour d’Emmaüs, jusqu’à l’entrée dans la gloire, car « il fallait que le Christ souffrit pour entrer dans la gloire. » (Luc 24. 26)
« Tu nous as fortifiés, Seigneur, dans cette communion à tes saints mystères. Et nous Te supplions encore. Toi qui nous as donné, dans la mort de ton Fils, l’espérance des biens auxquels nous croyons, donne-nous dans sa résurrection glorieuse, de parvenir au Royaume que nous attendons. » (Prière après la communion)

Commentaires du dimanche 26 mars

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 26 mars 2023
5ème dimanche du Carême

1ère lecture
Psaume
2ème lecture
Evangile

PREMIERE LECTURE – livre du prophète Ézékiel 37,12-14
12 Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu.
Je vais ouvrir vos tombeaux
et je vous en ferai remonter,
ô mon peuple,
et je vous ramènerai sur la terre d’Israël.
13 Vous saurez que Je suis le SEIGNEUR,
quand j’ouvrirai vos tombeaux
et vous en ferai remonter,
ô mon peuple !
14 Je mettrai en vous mon esprit,
et vous vivrez ;
je vous donnerai le repos sur votre terre.
Alors vous saurez que Je suis le SEIGNEUR :
J’ai parlé
et je le ferai.
– Oracle du SEIGNEUR.

DIEU N’ABANDONNERA JAMAIS SON PEUPLE
Ce texte est très court mais on voit bien qu’il forme une entité : il est encadré par deux expressions similaires ; au début « Ainsi parle le SEIGNEUR Dieu », à la fin « Parole du SEIGNEUR ». Un cadre qui a évidemment pour but de solenniser ce qui est encadré. Chaque fois qu’un prophète juge utile de repréciser qu’il parle de la part du SEIGNEUR, c’est parce que son message est particulièrement important et difficile à entendre.
Le message d’aujourd’hui, c’est donc ce qui est encadré : c’est une promesse répétée deux fois et adressée au peuple de Dieu, puisque Dieu dit « ô mon peuple » ; les deux fois, la promesse porte sur deux points : premièrement « je vais ouvrir vos tombeaux », deuxièmement « je vous ramènerai sur la terre d’Israël », ou « Je vous donnerai le repos sur votre terre », ce qui revient au même. Ces expressions nous permettent de situer le contexte historique : le peuple est en exil à Babylone, réduit à la merci des Babyloniens, il est anéanti (au vrai sens du terme, réduit à néant), comme mort, c’est pourquoi Dieu parle de tombeaux.
Et donc l’expression « je vais ouvrir vos tombeaux » signifie que Dieu va relever son peuple. Si vous avez la curiosité de vous reporter à votre Bible, au chapitre 37 d’Ezékiel, vous verrez que notre petit texte d’aujourd’hui fait suite à une vision du prophète qu’on appelle « la vision des ossements desséchés » et il en donne l’explication. Je vous rappelle cette vision : le prophète voit une immense armée morte, gisant dans la poussière ; et Dieu lui dit : tes frères sont tellement désespérés dans leur Exil qu’ils se disent morts, finis… eh bien, moi, Dieu, je les relèverai.
Et toute cette vision et son explication que nous avons lue aujourd’hui, évoquent cette captivité du peuple exilé et son relèvement par Dieu. Car, pour le prophète Ezékiel, c’est une certitude : le peuple ne peut pas être éliminé parce que Dieu lui a promis une Alliance éternelle que rien ne pourra détruire ; donc, quelles que soient les défaites, les brisures, les épreuves, on sait que le peuple survivra et qu’il retrouvera sa terre, parce qu’elle fait partie de la promesse. « Je vais ouvrir vos tombeaux, ô mon peuple, je vous ramènerai sur la terre d’Israël » : au fond ces phrases n’ont rien d’étonnant : depuis toujours, le peuple d’Israël sait que son Dieu est fidèle ; et l’expression « Vous saurez que Je suis le SEIGNEUR » dit justement que c’est à sa fidélité à ses promesses que l’on reconnaît le vrai Dieu.
Mais pourquoi répéter deux fois à peu près les mêmes choses ? A dire vrai, la deuxième promesse ne se contente pas de répéter la première, elle l’amplifie : elle redit bien « J’ouvrirai vos tombeaux et je vous en ferai sortir, ô mon peuple ! Je vous donnerai le repos sur votre terre, et vous saurez que je suis le SEIGNEUR » et tout cela au fond c’est le retour à l’état antérieur avant le désastre de l’exil à Babylone ; mais dans cette deuxième promesse, il y a autre chose, il y a beaucoup plus, il y a du neuf, du jamais vu : « Je mettrai en vous mon esprit et vous vivrez » ; c’est la nouvelle Alliance qui est dite là : désormais la loi d’amour sera inscrite non plus sur des tables de pierre, mais dans les coeurs. Ou pour reprendre une autre formule d’Ezékiel, les coeurs humains ne seront plus de pierre mais de chair.
JE METTRAI EN VOUS MON ESPRIT ET VOUS VIVREZ
Ici, donc, il n’y a pas d’hésitation possible, la répétition de la formule « ô mon peuple » montre clairement que ces deux promesses annoncent un sursaut, une restauration du peuple. Il n’est pas question ici d’une résurrection individuelle : pas plus qu’aucun des prophètes de son époque, Ezéchiel n’envisage encore une chose pareille. En fait, le peuple d’Israël n’a découvert la foi en la Résurrection qu’au deuxième siècle av.J.C. Jusque-là, on affirmait que les morts descendent au « Shéol » ; un lieu sombre dont on ne sait rien ; mais aussi curieux que cela nous paraisse aujourd’hui, c’est un sujet dont on se préoccupait peu. Car la mort individuelle n’atteint pas l’avenir du peuple ; or, pendant bien longtemps, c’est l’avenir du peuple, et lui seul, qui comptait. Quand quelqu’un mourait, on disait qu’il était « couché avec ses pères », mais on n’envisageait pas de survie possible ; en revanche la survie du peuple a toujours été une certitude puisque le peuple est porteur des promesses de Dieu. On peut dire que, pendant des siècles, on s’est intéressé au lendemain du peuple et non à celui de l’individu.
Pour croire en la Résurrection individuelle, il faut combiner deux éléments : d’abord s’intéresser au sort de l’individu : ce qui n’était pas le cas au début de l’histoire biblique : l’intérêt pour le sort de l’individu est une conquête, un progrès tardif. Ensuite, un deuxième élément est indispensable pour que naisse la foi en la Résurrection : il faut croire en un Dieu qui ne vous abandonne pas à la mort.
Cette certitude que Dieu n’abandonne jamais l’homme n’est pas née d’un coup ; elle s’est développée au rythme des événements concrets de l’histoire du peuple élu. L’expérience historique de l’Alliance est ce qui nourrit la foi d’Israël. Or l’expérience d’Israël est celle d’un Dieu qui libère l’homme, qui veut l’homme libre de toute servitude, qui intervient sans cesse pour le libérer ; un Dieu fidèle qui ne se reprend jamais. C’est cette foi qui guide toutes les découvertes d’Israël ; elle en est le moteur.
Quatre siècles après Ezékiel, vers 165 av.J.C., ces deux éléments conjugués, foi en un Dieu qui libère sans cesse l’homme, découverte de la valeur de toute personne humaine, ont abouti à la foi en la résurrection individuelle ; au terme de cette double évolution, il est apparu évident que Dieu libèrera l’individu de l’esclavage le plus terrible, définitif de la mort. Cette découverte est si tardive dans le peuple juif qu’au temps du Christ, cette foi n’était pas encore partagée par tout le monde puisqu’on désignait les Sadducéens par cette précision « ceux qui ne croient pas à la résurrection ».
Il n’est bien sûr pas interdit de penser que la prophétie d’Ezéchiel dépassait sa propre pensée sans qu’il le sache lui-même ; l’Esprit de Dieu parlait par sa bouche et maintenant nous pouvons penser « Ezéchiel ne savait pas si bien dire ».

PSAUME – 129 (130),1-8
1 Des profondeurs je crie vers toi, SEIGNEUR,
2 Seigneur, écoute mon appel !
Que ton oreille se fasse attentive
au cri de ma prière !
3 Si tu retiens les fautes, SEIGNEUR,
Seigneur, qui subsistera ?
4 Mais près de toi se trouve le pardon
pour que l’homme te craigne.
5 J’espère le SEIGNEUR de toute mon âme ;
je l’espère, et j’attends sa parole.
6 Mon âme attend le Seigneur
plus qu’un veilleur ne guette l’aurore.
7 Oui, près du SEIGNEUR, est l’amour ;
près de lui, abonde le rachat.
8 C’est lui qui rachètera Israël
de toutes ses fautes.

PRÈS DE TOI SE TROUVE LE PARDON
Il y a dans le psautier un ensemble de quinze psaumes qui portent un nom particulier : chacun d’eux commence par ces mots « cantique des montées ». En hébreu, le verbe « monter » est employé pour dire « Aller à Jérusalem en pèlerinage ».
Dans les Evangiles, d’ailleurs, l’expression « monter à Jérusalem » apparaît plusieurs fois dans le même sens : elle évoque le pèlerinage pour les trois fêtes annuelles et, en particulier, la plus importante d’entre elles, la fête des Tentes.
Ces quinze psaumes, donc, accompagnaient l’ensemble du pèlerinage. Avant même d’arriver à Jérusalem, ils évoquaient par avance le déroulement de la fête. Pour certains, on peut même deviner à quel moment du pèlerinage ils étaient chantés ; par exemple, le psaume 121 (122) « J’étais dans la joie quand je suis parti vers la maison du SEIGNEUR… maintenant, nous voici devant tes portes, Jérusalem… » était probablement le psaume de l’arrivée.1
Le psaume 129 (130) est donc l’un de ces cantiques des Montées ; il était probablement chanté pendant la fête des Tentes (l’une des trois grandes fêtes de pèlerinage), à l’automne, au cours d’une cérémonie pénitentielle. C’est pourquoi le vocabulaire de la faute et du pardon est relativement important dans ce psaume. « Si tu retiens les fautes, SEIGNEUR, Seigneur, qui subsistera ? »
Le pécheur qui parle ici, et qui supplie, certain déjà d’être pardonné, c’est le peuple qui reconnaît à la fois l’infinie bonté de Dieu, son inlassable fidélité (sa « Hessed ») et l’incapacité foncière de l’homme à répondre à l’Alliance. Ces infidélités répétées à l’Alliance sont vécues comme une véritable « mort spirituelle » : « Des profondeurs, je crie vers Toi » ; mais ce cri s’adresse à celui dont l’Etre même est le Pardon : c’est le sens de l’expression « Près de toi est le pardon ».
Dieu est Amour et Il est Don, c’est la même chose ; or le « Par-Don » n’est pas autre chose : c’est le don « par-delà ». Pardonner, c’est continuer à proposer une Alliance, un avenir possible, au-delà des infidélités de l’autre. Rappelez-vous l’histoire de David : après le meurtre du mari de Bethsabée par le roi, le prophète Natan lui avait annoncé le pardon de Dieu avant même que David ait eu le temps d’exprimer la moindre parole de regret, ni le moindre aveu.
Curieusement, cette idée que Dieu pardonne toujours n’est pas du goût de tout le monde ; mais pourtant, incontestablement, c’est l’une des affirmations majeures de la Bible, et ce dès l’Ancien Testament. Et Jésus reprend avec force le même enseignement : par exemple, dans la parabole de l’enfant prodigue, chez Luc (chapitre 15), le père est là sur le chemin à attendre son fils (ce qui prouve qu’il lui a déjà pardonné) et il lui ouvre les bras avant que le fils, lui, ait ouvert la bouche. Et l’exemple du pardon de Dieu absolument gratuit nous est donné par Jésus lui-même sur la croix : ceux qui sont en train de le tuer n’ont pas eu la moindre parole de repentir et pourtant, il dit bien « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »
MON ÂME ATTEND LE SEIGNEUR PLUS QU’UN VEILLEUR NE GUETTE L’AURORE.
C’est dans son pardon, précisément, nous dit la Bible, que Dieu révèle sa puissance. Cela encore, c’est une des grandes découvertes d’Israël ; vous connaissez cette phrase du livre de la Sagesse : « Ta force (Seigneur) est à l’origine de ta justice, et ta domination sur toute chose te permet d’épargner toute chose… toi qui disposes de la force, tu juges avec indulgence, tu nous gouvernes avec beaucoup de ménagement. » L’idée, c’est que quelqu’un dont le pouvoir est incontesté n’a pas besoin de l’étaler. (Sg 12,16.18).
Certains craignent que l’annonce de la miséricorde de Dieu incite au laisser-aller ; à mon avis c’est le contraire : une fois qu’on est vraiment convaincus de la tendresse et du pardon inconditionnel de Dieu, on a envie d’y correspondre et d’essayer de lui ressembler. Donc la certitude de la « miséricorde » de Dieu n’engendre chez le croyant ni présomption ni indifférence au péché, mais reconnaissance humble et émerveillée.
« Près de toi se trouve le pardon pour que l’homme te craigne » : cette formule très ramassée dit quelle doit être l’attitude du croyant face à ce Dieu qui n’est que don et pardon. Nous trouvons là encore une définition de la « crainte de Dieu » : ce n’est pas la crainte du châtiment. Toute la pédagogie de Dieu au long de l’histoire biblique cherche à nous libérer de toute peur ; car la peur n’est pas une attitude d’homme libre et Dieu veut nous libérer totalement. La « crainte de Dieu » au sens biblique, c’est une adoration pleine d’émerveillement devant la Toute-Puissance de Dieu faite seulement d’amour. « Craindre » le Seigneur, c’est l’adorer et lui faire tellement confiance qu’on fera tout son possible pour obéir à sa Loi dans la certitude que cette Loi n’est dictée que par son amour paternel.
Cette certitude du « Par-don », du Don toujours acquis au-delà de toutes les fautes inspire à Israël une attitude d’espérance extraordinaire. Israël repentant attend son pardon « plus qu’un veilleur ne guette l’aurore ». « C’est Lui qui rachètera Israël de toutes ses fautes » : nous rencontrons régulièrement dans les textes bibliques des expressions similaires. Elles annoncent à Israël sa libération définitive, la libération de toutes les fautes de tous les temps.
Israël attend plus encore : précisément parce que le peuple de l’Alliance expérimente sa faiblesse et son péché toujours renaissant, mais aussi la Fidélité de Dieu, il attend de Dieu lui-même la réalisation définitive de ses promesses. Au-delà du pardon immédiat, c’est l’aurore définitive que ce peuple attend de siècle en siècle, qu’il « espère contre toute espérance » (comme Abraham), l’aurore du Jour de Dieu. Tous les psaumes sont traversés par l’attente messianique.
Les Chrétiens savent encore plus sûrement que notre monde va vers son accomplissement : un accomplissement qui se nomme Jésus-Christ : « Notre âme attend le Seigneur plus qu’un veilleur ne guette l’aurore ».
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Note
La Bible grecque a traduit « Cantiques des degrés », c’est-à-dire des « marches ». Or, un escalier de quinze marches reliait la Cour des femmes au parvis du Temple : certains en déduisent que chacun de ces quinze psaumes était chanté sur l’une des marches. Quand on imagine, au moins pour les jours de grandes fêtes, la foule innombrable qui se pressait aux abords du Temple, sur les divers parvis et sur ces fameuses quinze marches, il est hautement improbable qu’on ait pu attribuer des psaumes précis à des marches précises sauf, peut-être, pour des démarches individuelles. Il est très probable, au contraire, que ces quinze psaumes aient été composés pour accompagner l’ensemble du pèlerinage.

DEUXIEME LECTURE – lettre de saint Paul aux Romains 8, 8-11
Frères,
8 ceux qui sont sous l’emprise de la chair
ne peuvent pas plaire à Dieu.
9 Or, vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de la chair,
mais sous celle de l’Esprit,
puisque l’Esprit de Dieu habite en vous.
Celui qui n’a pas l’Esprit du Christ ne lui appartient pas.
10 Mais si le Christ est en vous,
le corps, il est vrai, reste marqué par la mort à cause du péché,
mais l’Esprit vous fait vivre, puisque vous êtes devenus des justes.
11 Et si l’Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts
habite en vous,
celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’entre les morts
donnera aussi la vie à vos corps mortels
par son Esprit qui habite en vous.

L’ESPRIT DE DIEU HABITE EN NOUS
« Je mettrai mon esprit en vous et vous vivrez » annonçait le prophète Ezéchiel (dans notre première lecture) ; désormais, depuis notre baptême, nous dit Paul, c’est chose faite. Il emploie une expression imagée : « L’Esprit de Dieu habite en vous ». La prenant au pied de la lettre, un commentateur de ce passage parle de « changement de propriétaire ». Nous sommes devenus des maisons de l’Esprit : c’est lui qui commande désormais.
Il serait intéressant de se demander, dans tous les secteurs de notre vie, personnelle et communautaire, qui est aux postes de commande, qui est le maître de maison chez nous, ou si vous préférez, quel est notre objectif, qu’est-ce qui nous « fait courir », comme on dit. D’après Paul, il n’y a pas trente-six solutions : ou bien nous sommes sous l’emprise de l’Esprit, c’est-à-dire que nous nous laissons guider par l’Esprit, ou bien nous ne nous laissons pas inspirer par l’Esprit et c’est ce qu’il appelle « être sous l’emprise de la chair ». Etre sous l’emprise de l’Esprit, on voit bien ce que cela veut dire, il suffit de remplacer le mot Esprit par le mot Amour. Et dans la lettre aux Galates, Paul explique ce que sont les fruits de l’Esprit ; « amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, fidélité, douceur et maîtrise de soi » (Ga 5,22-23), en un mot l’amour décliné selon toutes les circonstances concrètes de nos vies.
J’ai bien dit les « circonstances concrètes » : pour Paul la vie selon l’Esprit ne veut pas dire la tête dans les nuages ; Paul est l’héritier de toute la tradition des prophètes : or tous affirment que notre relation à Dieu se vérifie dans la qualité de notre relation aux autres ; et dans les « Chants du Serviteur », Isaïe (chapitres 42,49,50,52-53), affirme très fermement que vivre selon l’Esprit de Dieu, c’est aimer et servir nos frères. Et les prophètes ont toujours des mots très durs pour ceux qui croient plaire à Dieu par des cérémonies magnifiques pendant que des pauvres meurent de faim ou de chagrin à leur porte.
Une fois définie la vie selon l’Esprit, ce qui veut dire tout simplement la vie selon l’amour, on déduit très facilement ce que Paul entend par vie selon la chair : c’est le contraire, c’est-à-dire l’indifférence ou la haine ; pour le dire autrement, l’amour c’est le décentrement de soi, la vie sous l’emprise de la chair, c’est le centrement sur soi. Ma question de tout-à-l’heure « Qui commande ici ? « se transforme alors en « Qui est le centre de notre monde ? »
Il est clair que sous l’emprise de la chair, dans ce sens-là, c’est-à-dire centré sur soi, on ne peut pas être en harmonie avec Dieu, accordé à Dieu qui n’est qu’amour. « Sous l’emprise de la chair, on ne peut pas plaire à Dieu » dit Paul.
TEL PERE, TELS FILS
Au contraire, le Christ est le Fils bien-aimé en qui Dieu se complaît, c’est-à-dire qu’il est en harmonie parfaite avec Dieu précisément parce que le Christ n’est lui aussi qu’amour. Dans ce sens le récit des Tentations, que nous avons lu pour le premier dimanche de carême, était saisissant : c’est au chapitre 4 de Matthieu. Il nous montre Jésus centré uniquement sur Dieu et sur la Parole de Dieu. Il refuse résolument de se centrer sur sa faim ni même sur les besoins de sa mission de Messie :
Première tentation : après quarante jours de jeûne, Jésus a faim… la tentation n’est pas là, bien sûr. Avoir faim au bout de quarante jours de jeûne, c’est normal, c’est même plutôt bon signe ! La tentation, c’est d’exiger de Dieu un miracle pour son bénéfice personnel, c’est de se prendre pour le centre du monde, si j’ose dire. « Ordonne à ces pierres de devenir des pains » lui susurre le tentateur, le diviseur. Jésus préfère mettre la Parole au centre du monde et de sa vie « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Le fruit de l’Esprit, c’est la maîtrise de soi, la patience, dit Paul.
Deuxième tentation : « Jette-toi du haut du Temple, Dieu sera bien obligé de te protéger » ; réponse de Jésus : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu ». Le fruit de l’Esprit, c’est la confiance en Dieu.
Troisième Tentation : « Détourne-toi de Dieu, prosterne-toi devant moi, tu seras le maître des royaumes de la terre » ; mais Jésus est complètement centré sur son Père et non sur ce qu’il pourrait obtenir pour lui : « Le Seigneur ton Dieu tu adoreras, c’est à lui seul que tu rendras un culte ». Le fruit de l’Esprit qui les résume tous, c’est l’amour, dit encore Paul.
Si ce texte des tentations nous est proposé chaque année en début de Carême, c’est parce que le temps du Carême est justement une entreprise de décentrement de nous-mêmes pour nous centrer sur les autres et sur Dieu.
Un peu plus loin dans cette même lettre aux Romains, Paul dit que l’Esprit de Dieu fait de nous des fils, c’est lui qui nous pousse à appeler Dieu-Père ; j’ai envie de dire « tel Père, tel fils ». Ce qui en nous est amour vient de Dieu, c’est notre héritage de fils. « L’Esprit est votre vie » dit encore Paul. Traduisez « l’amour est votre vie » ; d’ailleurs, nous savons tous d’expérience que seul l’amour est créateur.
Tandis que ce qui n’est pas amour ne vient pas de Dieu et parce que cela ne vient pas de Dieu, c’est voué à la mort. La très bonne nouvelle de ce texte d’aujourd’hui, c’est que tout ce qui en nous est amour vient de Dieu et donc ne peut mourir. Comme dit Paul, « Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous ».

EVANGILE – selon saint Jean 11,1-45
En ce temps-là,
3 Marthe et Marie, les deux sœurs de Lazare,
envoyèrent dire à Jésus :
« Seigneur, celui que tu aimes est malade. »
4 En apprenant cela, Jésus dit :
« Cette maladie ne conduit pas à la mort,
elle est pour la gloire de Dieu,
afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. »
5 Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare.
6 Quand il apprit que celui-ci était malade,
il demeura deux jours encore à l’endroit où il se trouvait.
7 Puis, après cela, il dit aux disciples :
« Revenons en Judée. »
17 À son arrivée,
Jésus trouva Lazare au tombeau depuis quatre jours déjà.
20 Lorsque Marthe apprit l’arrivée de Jésus,
elle partit à sa rencontre,
tandis que Marie restait assise à la maison.
21 Marthe dit à Jésus :
« Seigneur, si tu avais été ici,
mon frère ne serait pas mort.
22 Mais maintenant encore, je le sais,
tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te l’accordera. »
23 Jésus lui dit :
« Ton frère ressuscitera. »
24 Marthe reprit :
« Je sais qu’il ressuscitera à la résurrection, au dernier jour. »
25 Jésus lui dit : « Moi, je suis la résurrection et la vie.
Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ;
26 quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? »
27 Elle répondit : « Oui, Seigneur, je le crois :
tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. »
33 Jésus, en son esprit, fut saisi d’émotion, il fut bouleversé,
34 et il demanda : « Où l’avez-vous déposé ? »
Ils lui répondirent : « Seigneur, viens, et vois. »
35 Alors Jésus se mit à pleurer.
36 Les Juifs disaient : « Voyez comme il l’aimait ! »
37 Mais certains d’entre eux dirent :
« Lui qui a ouvert les yeux de l’aveugle,
ne pouvait-il pas empêcher Lazare de mourir ? »
38 Jésus, repris par l’émotion, arriva au tombeau.
C’était une grotte fermée par une pierre.
39 Jésus dit : « Enlevez la pierre. »
Marthe, la sœur du défunt, lui dit :
« Seigneur, il sent déjà ; c’est le quatrième jour qu’il est là. »
40 Alors Jésus dit à Marthe : « Ne te l’ai-je pas dit ?
Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. »
41 On enleva donc la pierre. Alors Jésus leva les yeux au ciel et dit :
« Père, je te rends grâce parce que tu m’as exaucé.
42 Je le savais bien, moi, que tu m’exauces toujours ;
mais je le dis à cause de la foule qui m’entoure,
afin qu’ils croient que c’est toi qui m’as envoyé. »
43 Après cela, il cria d’une voix forte : « Lazare, viens dehors ! »
44 Et le mort sortit, les pieds et les mains liés par des bandelettes,
le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit :
« Déliez-le, et laissez-le aller. »
45 Beaucoup de Juifs, qui étaient venus auprès de Marie
et avaient donc vu ce que Jésus avait fait, crurent en lui.

CELUI QUI CROIT EN MOI, MEME S’IL MEURT, VIVRA
Nous avons pris l’habitude d’appeler ce passage « la résurrection de Lazare », mais, soyons francs, ce n’est pas le terme qui convient ; quand nous proclamons « Je crois à la résurrection des morts et à la vie éternelle », il s’agit de bien autre chose.
La mort de Lazare n’a été qu’une parenthèse en quelque sorte dans sa vie terrestre ; sa vie après le miracle de Jésus a repris son cours ordinaire, et elle a dû être à peu de choses près la même après qu’auparavant. Lazare a eu seulement en quelque sorte un supplément de vie terrestre. Son corps n’était pas transformé et il a dû mourir une seconde fois ; sa première mort n’a pas été ce qu’elle sera pour nous, c’est-à-dire le passage vers la vraie vie.
Mais alors, du coup, on peut se demander à quoi bon ? En faisant ce miracle, Jésus a pris de grands risques pour lui-même parce qu’il ne s’était déjà que trop fait remarquer… et quant à Lazare cela n’a fait que reculer l’échéance définitive.
C’est Saint Jean qui répond à notre question « à quoi bon ce miracle ? » ; il nous dit c’est un signe très important : Jésus est manifesté là comme celui en qui nous avons la vie sans fin et en qui nous pouvons croire, c’est-à dire sur qui nous pouvons miser notre vie.
Et d’ailleurs, les grands prêtres et les Pharisiens ne s’y sont pas trompés : ils ont fort bien compris la gravité du signe que Jésus avait donné là : d’après Saint Jean, toujours, trop de gens se mirent à croire en Jésus à la suite de la résurrection de Lazare, et c’est là qu’ils décidèrent de le faire mourir.
C’est donc ce miracle qui a signé l’arrêt de mort de Jésus ; évidemment, quand on y réfléchit deux mille ans plus tard, on se dit que c’est un comble : être capable de rendre la vie, cela méritait la mort ; triste exemple des aberrations où nous mènent parfois nos certitudes…
Revenons au récit de ce que je vous propose d’appeler le « réveil de Lazare » car il ne s’agit pas d’une véritable résurrection comme celle de Jésus, il s’agit plutôt d’un supplément de vie terrestre. Je ferai seulement deux remarques :
SI TU CROIS, TU VERRAS LA GLOIRE DE DIEU
Première remarque : pour Jésus, la seule chose qui compte, c’est la gloire de Dieu ; mais pour voir la gloire de Dieu, il faut croire (« Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu » dit-il à Marthe). Dès le début du récit, alors qu’on vient d’annoncer à Jésus « Seigneur, celui que tu aimes est malade », il dit à ses disciples : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu », c’est-à-dire la révélation du mystère de Dieu. Non pas que la manifestation de la gloire de Dieu soit une récompense pour bien-pensants ou bien-croyants ; mais quand nous ne sommes pas dans une attitude de foi, tout se passe comme si nous laissions notre regard s’obscurcir par le soupçon, la méfiance, c’est comme si nous mettions des lunettes sombres, nous ne voyons plus la lumière. La foi nous ouvre les yeux, elle fait sauter ce bandeau de la méfiance que nous avions mis sur nos yeux.
Deuxième remarque : la foi en la résurrection franchit là sa dernière étape : à propos du texte d’Ezéchiel qui nous est proposé en première lecture pour ce cinquième dimanche de Carême, nous avions vu que la foi en la résurrection est apparue très tardivement en Israël ; elle n’est affirmée très clairement qu’au deuxième siècle av.J.C. à l’occasion de la terrible persécution du roi grec Antiochus Epiphane ; et à l’époque du Christ, elle n’est même pas encore admise par tout le monde. Marthe et Marie, visiblement, font partie des gens qui y croient. Mais, dans leur idée, il s’agit encore d’une résurrection pour le dernier jour ; quand Jésus dit à Marthe « Ton frère ressuscitera », Marthe répond : « Je sais qu’il ressuscitera au dernier jour, à la résurrection ». Jésus rectifie : il ne parle pas au futur, il parle au présent : « Moi, je suis la résurrection et la vie… Tout homme qui vit et croit en moi ne mourra jamais… Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. » A l’entendre, on a bien l’impression que la Résurrection, c’est pour tout de suite. « Je suis la résurrection et la vie » : cela veut dire que la mort au sens de séparation de Dieu n’existe plus, elle est vaincue dans la Résurrection du Christ. Avec Paul les croyants peuvent dire « Mort, où est ta victoire ? » Non, rien désormais ne nous séparera de l’amour du Christ, même pas la mort.

Homélie du dimanche 26 mars

Dimanche 26 mars 2023
5eme dimanche du Temps du Carême année A

Références bibliques :
Lecture du prophète Ezéchiel : 37. 12 à 14 : « Je mettrai en vous mon esprit et vous vivrez. »
Psaume 129 : « Près du Seigneur est l’amour. Près de lui abonde le rachat. »
Lettre de saint Paul aux Romains : 8. 8 à 11 : « Jésus ressuscité d’entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. »
Evangile selon saint Jean : 11. 1 à 45 : « Je suis la résurrection et la vie. »
***
Dimanche dernier, nous voyions l’attitude des interlocuteurs de Jésus. Aujourd’hui nous rejoignons le cercle plus intime de ses amis.
Lazare ressuscité nous est présenté, au seuil de Pâques, comme le précurseur de Jésus-Christ vainqueur de la mort, résurrection et vie, de même que Jean-Baptiste était au seuil du ministère du Christ le précurseur du Messie qui allait être révélé, dans l’eau et l’Esprit.
Nous sommes invités à sortir de nos enfermements et de nos a-priori. Nous avons à nous ouvrir à la vie qui doit toujours être un temps de résurrection, si nous savons entendre et recevoir le message divin qui nous est donné au tombeau de Béthanie
LES DISCIPLES
Nous les voyons intervenir au début des trois épisodes relatés en ces dimanches de Carême. Au puits de Jacob, (Jean. 4. 5 à 42) ils sont là sans comprendre ce qui vient d’être vécu. A Jérusalem, ( Jean 9. 1 à 41) ils questionnent et reçoivent en réponse la manifestation de l’action de Dieu en Jésus-Christ qui guérit cet aveugle.
A Béthanie, ils veulent éloigner Jésus de l’acceptation de la volonté de Dieu.  » Pourquoi revenir en Judée ?  » Il leur montre que, par delà cette mort qu’ils récusent, il est Vie et résurrection.
Il leur faudra du temps pour saisir la signification de cette parole qu’il leur a dite à la Transfiguration et leur dira sur le chemin d’Emmaüs : » Il fallait que le Christ souffrit pour entrer dans la gloire. »
Aujourd’hui, ils sont heureux d’apprendre que Lazare dort. Ils peuvent esquiver ce retour en Judée. Thomas est tout d’une pièce, lui. Il est tellement attaché à Jésus qu’il ne peut envisager de laisser partir seul son Maître et de l’abandonner ainsi. Plein de bonnes intentions, il n’est pourtant pas encore prêt à mourir avec lui. Jésus leur parle alors ouvertement.
« A cause de vous, pour que vous croyiez. » Ils sont impliqués dans la démarche de Jésus. Ils doivent en découvrir la raison. Ils doivent adhérer à sa volonté dans la foi. Ils doivent croire. Ce mot est répété jusqu’à sept fois dans le texte. Pour les acteurs de cet événement comme pour chacun d’entre nous, le cheminement de la foi est différent, mais il doit être parcouru, par chacun de nous, selon cette différence qu’est une grâce personnelle que nous accorde Dieu. Reprenons ainsi le texte de l’Evangile.
MARIE
Lorsqu’elle apprend l’arrivée du Christ, elle reste à la maison, à l’inverse de Marthe qui part à sa rencontre. Elle ne se décidera que sur l’appel discret de Marthe. « Le Maître est là. Il t’appelle, il te demande. » C’est Jésus qui l’invite et qui l’attend. C’est bien lui le maître.
Si nous voulons rencontrer Jésus et partager sa vie, il ne faut pas le chercher au travers de nos seules attentes personnelles et selon nos points de vue, mais le rejoindre pour lui-même, en entendant et en décryptant les signes qu’il nous donne comme un appel.
Dès qu’elle entendit cette attente, Marie se lève en hâte et va vers lui. De nombreux juifs étaient venus entourer. Marthe ne peut être entourée, elle va et elle vient. Elle n’a pas besoin d’être consolée, elle parle et s’agite. Quand elle a rejoint Jésus, Marie lui a exprimé sa foi en lui disant qu’elle était son espérance et sa souffrance de cette absence et elle reprend la même réaction que Marthe : « Si tu avais été là… »
Elle accompagne le Maître au tombeau. Elle pleure. Jésus, bouleversé par cette émotion, qu’il partage à son tour. Avec Marthe, il est obligé de « discuter ». En Marie, il rejoint l’essentiel de l’événement. A toutes deux il peut alors demander : « Où l’avez-vous déposé ? »
MARTHE
La foi de Marthe n’entend pas le sens des paroles et de l’attente du Seigneur, qui lui dit : « Je suis la Résurrection ». Elle n’entend pas. La résurrection, elle ne la conçoit que par rapport à une loi générale, dans le futur, même pour son frère, « au dernier jour ».
Jésus rectifie cette conception : « Ne t’ai-je pas dit ? » : La vie est liée à la présence personnelle de Jésus. Il ne parle pas de la vie biologique, mais de cette vie qui est : »une chose mystérieuse, annoncera saint Paul aux Corinthiens. Ce qui est mortel revêt l’immortalité, ce qui est semé en terre est un corps humain. Ce qui ressuscite est un corps spirituel » (1 Corinthiens 15. 44 et suivants).
Marthe progresse dans son adhésion au Christ. Elle a confiance en lui : »Je sais que Dieu t’accordera ce que tu lui demanderas, tout ce que tu lui demanderas. » Jésus lui répond : »Crois-tu que je suis la résurrection et la vie ? » Si elle ne réalise pas tout ce que cela signifie, cependant elle le reconnaît déjà comme Messie, comme Fils de Dieu venant dans le monde.
Mais elle est encore à moitié convaincue. Jésus devra le lui rappeler : »Ne te l’ai-je pas dit ? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu. » Nous sommes bien comme elle. Nous avons nos doutes et nos limites, et Jésus les dépasse. Par le moyen des événements et des rencontres « signifiantes », par tout notre vécu, Jésus fait enlever la pierre qui nous enferme dans notre propre nuit, dans notre solitude intérieure. « Ils enlevèrent la pierre » ( Jean 11. 41).
Sa démarche n’est pas similaire à celle que nous demande le psychologue dans ses consultations avec nous. Pour Jésus, c’est une démarche vers lui « Crois-tu que je suis … »
LES JUIFS
La résurrection de Lazare est entourée d’une grande tendresse et d’une grande amitié. « Celui que tu aimes », est-il dit à Jésus.  » De nombreux juifs qui étaient venus entourer Marie… » « Les juifs venus avec elle pleuraient aussi. » « Voyez comme ils l’aimaient ! »
Ces Pharisiens sont bien différents de ceux qui accablent Jésus, même si quelques-uns peuvent s’étonner qu’il n’ait pas empêché Lazare de mourir. Ils le pensent comme le disent Marthe et Marie. En cela, il n’y a aucune hostilité. Ils croient en Jésus. (Jean 11. 45)
A la veille des jours de la Passion, où tant de haine va se manifester, ce moment de Béthanie est une halte paisible, parce qu’elle est vécue en une humanité où peut se réaliser la gloire de Dieu : « Pour cette foule qui est autour de moi, afin qu’ils croient que tu m’as envoyé » (Jean 11. 42).
JESUS
En effet, la résurrection de Lazare est une merveilleuse illustration d’une foi déjà christologique. Elle nous montre comment, dans la personne de Jésus la nature humaine et la nature divine s’unissent sans se confondre. D’une certaine façon, l’Incarnation devient tangible et prend tout son sens.
Il est l’ami, l’homme qui pleure, en même temps qu’il est la Résurrection et la vie, parce que Dieu est amour ! Pour nous aussi, la résurrection est un fait présent parce qu’en nous il est la Vie, « par son Esprit qui vit en nous » (Romains 8. 11). « Je mettrai en vous mon esprit et vous vivrez » (Ezéchiel 37. 14).
Cette rencontre de Béthanie, nous conduit au cœur du mystère de la résurrection du Christ, triomphalement célébrée au matin de Pâques. Nous ne pouvons approcher l’un des aspects du mystère du Christ sans y inclure les autres. Le Vendredi-Saint et le dimanche de Pâques forment un même et unique mystère pascal.
***
La foi qui nous est demandée, comme elle l’est à Marthe, comme aux juifs, comme aux disciples, c’est d’accepter de se déposséder de soi, de ses points de vue, de ses propres désirs pour suivre, Jésus comme il est et comme il veut que nous soyons. Il n’efface pas la mort, il la traverse et nous la fait traverser avec lui pour nous faire revivre.
Nous devons l’accompagner sur le chemin du tombeau parce que c’est le seul chemin pour découvrir la résurrection.
Cette présence de son Esprit est la force de vie qui nous libère des liens du péché et de la mort. Les baptisés de la nuit pascale découvrent cette liberté qui fut celle de la Samaritaine hors de cette recherche où elle s’était enfermée sur elle-même, la liberté de l’aveugle qui voit clair et n’est plus à la merci des décisions des autres, la liberté de Lazare qui reçoit du Christ le don de la vie.
A notre tour et tout au long de sa vie, le chrétien est appelé à sortir de son enfermement, « à délier ses mains et ses pieds attachés ». (Jean 11. 44) C’est ainsi que nous rendrons grâce à Dieu par le Christ, « cet homme plein d’humanité qui dans sa tendresse pour tous les hommes, nous conduit, par les mystères de sa Pâque, jusqu’à la vie nouvelle. » (Préface de la messe de ce jour).

Homélie du dimanche 19 mars

Dimanche 19 mars 2023
4eme dimanche du Temps du Carême année A

Références bibliques :
Lecture du premier livre de Samuel : 16. 1 à 6 et 17. 10 à 13 : Dieu ne regarde pas comme les hommes car les hommes regardent l’apparence mais le Seigneur regarde le coeur. »
Psaume 22 : « Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre. »
Lettre de saint Paul aux Ephésiens : 5. 8 à 14 : « Vous êtes devenus lumière, vivez comme des fils de la lumière. »
Evangile selon saint Jean. 9. 1 à 41 : « Tu le vois, c’est lui qui te parle. »
***
Comme pour les trois dimanches du « scrutin » des catéchumènes, ces textes les mettent devant les diverses attitudes des interlocuteurs du Christ, après la guérison de la piscine de Siloé, pour assumer la confession de leur foi après le baptême dans la piscine pascale.
LES DISCIPLES
Habituellement, les disciples ne s’immiscent jamais dans les controverses du Maître. Aujourd’hui, dans cette rue de Jérusalem, ils ont un moment de calme. Il n’y a pas de foule autour d’eux lorsqu’ils croisent l’aveugle au bord du chemin. Ils le connaissent et savent qu’il est aveugle de naissance. Est-ce lui qui en est la cause ? sont-ce ses parents ?
Nous aussi, devant l’infirmité ou la maladie nous posons également des pourquoi. Et parfois même nous mettons Dieu en cause …*
Jésus leur répond directement. La souffrance ne doit pas être envisagée comme la conséquence de causes toutes pré-établies ou qui ne sont pas toujours le prolongement d’une responsabilité personnelle.
La guérison de l’aveugle ne sera donc pas le signe d’un pardon. Elle est la révélation de la bonté de Dieu, la manifestation du plan de Dieu : »afin que les oeuvres de Dieu soient manifestées » (Jean 9. 3) au travers des événements et des situations de nos vies humaines, limitées, fragiles et souffrantes. Elle figure aussi notre illumination spirituelle. Christ est lumière au coeur des hommes. Christ est lumière au coeur du monde. (Jean 9. 5)
Nous sommes insérés dans une création qui nous dépasse. Les lois de son évolution nous échappent alors même que nous en faisons partie et qu’elles sont les mêmes pour toute la nature. Mais, dans le même temps, l’homme et la femme sont autres car, par la grâce de Jésus, nous sommes insérés dans l’éternité du créateur et de son amour qui donne fait partager l’essentiel de la divinité.
L’AVEUGLE-NE
Après avoir reçu cette boue opaque de Jésus, c’est à la piscine que l’aveugle est devenu voyant. Nous aussi, quand Dieu nous laisse dans nos ténèbres humaines ou dans nos « nuits spirituelles » il nous demande d’aller vers sa grâce qui est « source jaillissante en vie éternelle » comme le dira Saint Jean de la Croix.
L’aveugle-né est un brave homme qui est pris dans le tourbillon de ce que nous appellerons aujourd’hui des interview. Il ne se trouble pas, mais, dans le même temps, il ne cherche pas tout de suite à retrouver son bienfaiteur.
Il ne manque pas d’humour dans ses réparties. Il a le bon sens d’une foi faite tout d’une pièce. « Si cet homme-là ne venait pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. »
Dans sa nuit, il a pris le temps d’entendre ce qui se disait ou se faisait et ce qu’aucune image ne venait altérer. Dans son isolement, il a appris ce qu’était le mépris envers lui, il était « l’aveugle, né dans le péché ». Il avait souvent crié en vain, même s’il a connu des gens généreux, une famille, des amis. Mais il était d’un autre monde.
Quand, après son expulsion, Jésus vient le trouver, au terme de toutes ces allées et venues d’interrogatoire, l’aveugle est prêt à lui donner sa foi, car lorsqu’il se prosterne aux pieds de Jésus, il a parcouru tout un itinéraire spirituel depuis la piscine de Siloé.
C’est durant ce tourbillon de questions de pharisiens qu’il a reconnu progressivement et confessé que cet homme qui a mis de la boue sur ses yeux, est un prophète, puis un homme de Dieu, puis un homme qui honore Dieu et fait sa volonté, enfin un homme qui vient de Dieu, ce qui le conduit à confesser sa foi en Celui qui est la lumière du monde.
Et c’est l’ultime étape : »Je crois, Seigneur ! » quand il se trouve face à Jésus. A ce moment, le Seigneur enchaîne devant ceux qui sont là et surtout devant les apôtres : « Je suis venu pour une remise en question », une décision, précise l’un des sens grecs du terme « crima ».(Jean 9. 39)
L’aveugle s’est remis en question; nous aussi nous avons, tous et toujours, à remettre en question notre manière de penser et d’agir si nous voulons voir clair et rester dans la lumière, si voulons vivre l’instant ou les moments de nos vies qui nous mettent pleinement face au Seigneur, pour nous remettre en question.
LES PARENTS.
Ce sont sans doute des gens méritants qui ont bien élevé cet enfant handicapé. Ils aiment bien ce fils qui est encore à leur charge parce qu’il ne peut vivre seul. Une charge pesante à certaines heures, à laquelle ils refusent aujourd’hui d’ajouter celle d’une rupture qui les fera exclure de la synagogue.
Ils sont dans leur droit, leur fils est majeur et doit assumer ses propres responsabilités. Après tout, ils n’ont pas tort. Ils ont répondu aux deux premières questions, ils ne veulent pas ajouter autre chose, mais ils disent à mots couverts qu’ils savent comme cela est advenu : » et qui lui a ouvert les yeux. » (Jean 9. 21) Leur fils ne s’en était pas caché devant les voisins.
Ils ont peur de s’engager plus avant. Ce n’est pas une esquive; ils ont seulement peur d’aller plus loin au point de risquer des conséquences qu’ils connaissent. L’exclusion de la communauté les attend.
Nous sommes bien parfois comme eux quand le Christ nous demande d’aller au-delà des simples formalités d’une vie chrétienne pour nous entraîner dans une vie spirituelle qui nous entraîne à le suivre jusqu’à la croix.
LES PHARISIENS
Dans les premiers moments, ces pharisiens sont divisés, entre eux et en eux-mêmes. Ils sont troublés et l’aveugle leur redira ce qu’ils ont pensé dès le début : »Comment un homme pécheur pourrait-il accomplir des signes pareils ? »
Et lui leur donne la réponse à leur questionnement intérieur : »Dieu n’exauce pas les pécheurs. »
Les pharisiens sont pris entre la réalité du geste du Christ qu’ils constatent et la Loi qu’ils observent scrupuleusement, « la lettre et l’esprit ». Mais la Loi du sabbat est plus forte à leurs yeux. Certains n’en restent pas moins désappointés. Alors ils n’osent pas trancher : »Que votre oui, soit un oui. Que votre non soit un non. » a dit le Christ.
Ils doutent d’eux-mêmes quand, après avoir interrogé, à deux reprises, l’aveugle, qui vient d’affirmer sa foi, ils se retrouvent à leur tour devant Jésus et devant eux-mêmes : « Serions-nous des aveugles ? » Ils ne sont pas malveillants à son égard ; ils sont des non-voyants dit le texte grec. Seraient-ils à leur tour des aveugles Ils n’osent pas faire la première étape de la remise en question dont le Christ vient de leur parler.
Devant sa Vérité, devaient-ils renier la leur ? Leur attitude est aussi parfois la nôtre. Avons-nous à le leur reprocher ?
En donnant priorité à la lettre de la Loi, ils se sont éloignés de la personne du Christ. Mais ils sont restés fidèles ace qui pour eux la vérité de la révélation.
En fait ils sont décontenancés et plutôt que de prendre un moment de recul et de réflexion, ils se sont emportés, de la colère de ceux qui n’ont plus d’autre argument que de forcer la voix. Quelques-uns ont bien senti cet échec, après s’être débattus avec les parents et l’aveugle, qui lui a fait le chemin de la foi, depuis « cet homme qu’on appelle Jésus » (Jean 9. 11) jusqu’à celui qu’il appelle : « le Seigneur. » (Jean 9. 38)
Nombreux sont les hommes et les femmes parmi nos contemporains qui en restent à « leur » vérité. Pouvons-nous leur reprocher ?D’ailleurs, nos aussi ne sommes-nous pas ainsi parfois.
***
L’itinéraire de l’aveugle-né est l’itinéraire proposé aux catéchumènes dans ces semaines préparatoires à l’illumination pascale. Ce doit être aussi le nôtre, un itinéraire toujours actuel, car il nous faut du temps pour accueillir pleinement cette lumière qui nous est donnée.
« Dieu qui éclaire tout homme venant dans ce monde, illumine nos coeurs par la clarté de ta grâce, afin que toutes nos pensées soient dignes de toi et notre amour, de plus en plus sincère ». (Prière de la communion de ce dimanche)

Commentaires du dimanche 19 mars

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 19 mars 2023
4ème dimanche du Carême

1ère lecture
Psaume
2ème lecture
Evangile

PREMIERE LECTURE – premier livre de Samuel 16,1b.6-7.10-13a
En ces jours-là,
1 le SEIGNEUR dit à Samuel :
« Prends une corne que tu rempliras d’huile, et pars !
Je t’envoie auprès de Jessé de Bethléem,
car j’ai vu parmi ses fils mon roi. »
6 Lorsqu’ils arrivèrent et que Samuel aperçut Éliab,
il se dit :
« Sûrement, c’est lui le messie,
lui qui recevra l’onction du SEIGNEUR ! »
7 Mais le SEIGNEUR dit à Samuel :
« Ne considère pas son apparence ni sa haute taille,
car je l’ai écarté.
Dieu ne regarde pas comme les hommes :
les hommes regardent l’apparence,
mais le SEIGNEUR regarde le cœur. »
10 Jessé présenta ainsi à Samuel ses sept fils,
et Samuel lui dit :
« Le SEIGNEUR n’a choisi aucun de ceux-là. »
11 Alors Samuel dit à Jessé :
« N’as-tu pas d’autres garçons ? »
Jessé répondit :
« Il reste encore le plus jeune,
il est en train de garder le troupeau. »
Alors Samuel dit à Jessé :
« Envoie-le chercher :
nous ne nous mettrons pas à table
tant qu’il ne sera pas arrivé. »
12 Jessé le fit donc venir :
le garçon était roux, il avait de beaux yeux, il était beau.
Le SEIGNEUR dit alors :
« Lève-toi, donne-lui l’onction : c’est lui ! »
13 Samuel prit la corne pleine d’huile,
et lui donna l’onction au milieu de ses frères.
L’Esprit du SEIGNEUR s’empara de David à partir de ce jour-là.

LE MYSTERE DES CHOIX DE DIEU
Si je comprends bien, d’après ce texte, le grand prophète Samuel, lui-même, a dû apprendre à changer de regard. Chargé par Dieu de désigner le futur roi parmi les fils de Jessé à Bethléem, il n’avait que l’embarras du choix, apparemment. Jessé a commencé par appeler son fils aîné. Celui-ci s’appelait Eliav, il était grand et beau, il semblait digne de succéder au roi actuel, Saül. Mais non, Dieu fit savoir à Samuel que son choix ne se portait pas sur celui-là : « Ne considère pas son apparence ni sa haute taille… Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le SEIGNEUR regarde le coeur. » (verset 7).
Alors, de très bonne grâce, Jessé a fait défiler ses fils l’un après l’autre, par ordre d’âge, devant le prophète. Mais le choix de Dieu ne se porta sur aucun d’entre eux. Finalement, Jessé dut se décider à faire chercher le dernier, celui auquel personne n’avait pensé : David, dont la seule utilité était de garder le troupeau ; eh bien, justement, c’est celui-là que Dieu avait choisi pour garder son propre troupeau !
Visiblement, le récit biblique se plaît à souligner qu’une fois encore le choix de Dieu s’est porté sur le plus petit : « Ce qu’il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion ce qui est fort », dira Saint Paul (1 Co 1,27) car « sa puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse » (2 Co 12,9). Voilà une bonne raison pour changer résolument de regard sur les hommes !
Au passage, ce texte nous apprend trois choses sur la conception de la royauté en Israël :
Premièrement, le roi est l’élu de Dieu : mais ce choix, comme toute vocation, est pour une mission. On retrouve à son niveau la même articulation que nous connaissons bien : comme le peuple d’Israël est élu de Dieu pour le service de l’humanité… de la même manière, le roi d’Israël est l’élu de Dieu pour le service du peuple. Cela peut vouloir dire le cas échéant, une possibilité de désaveu : c’est le cas pour le roi Saül ; si l’élu ne fait plus l’affaire, il sera remplacé ; manière, donc, de rappeler le roi à l’ordre, peut-être ; manière, peut-être aussi, pour les descendants de David, de justifier ce changement de dynastie.
Deuxièmement, le roi reçoit l’onction d’huile, il est littéralement le « messie », ce qui signifie « celui qui a été frotté d’huile ». Et visiblement, dans la suite, on a attaché beaucoup d’importance à ce rite d’onction puisque notre texte a l’air d’en faire l’élément majeur du récit : « Prends une corne que tu rempliras d’huile et pars ! Je t’envoie auprès de Jessé de Bethléem, dit Dieu à Samuel, car j’ai vu parmi ses fils mon roi.»
Troisièmement, cette onction confère au roi l’esprit de Dieu : « Samuel prit la corne pleine d’huile et donna l’onction à David au milieu de ses frères. L’Esprit du SEIGNEUR s’empara de David à partir de ce jour-là ». Le roi désormais est inspiré par Dieu en toutes circonstances, il devient une personne sacrée et il devient sur terre le « lieu-tenant » de Dieu au véritable sens du terme, c’est-à-dire « tenant-lieu ». Ce qui veut dire qu’il gouvernera le peuple, non selon l’esprit du monde, mais selon les vues de Dieu, qui n’ont rien à voir avec celles des hommes, comme on sait.
LES HOMMES REGARDENT L’APPARENCE… LE SEIGNEUR REGARDE LE COEUR
Je reviens sur le mystère des choix de Dieu : certains récits bibliques prennent un malin plaisir à faire remarquer que les choix de Dieu se portent souvent sur les plus petits : David n’était que le huitième des fils de Jessé et personne n’avait jamais songé à lui pour des emplois d’avenir ; il n’était sûrement pas vilain, puisque plus tard, il plaira beaucoup aux femmes, mais son frère aîné, Eliav, avait bien plus fière allure.
Moïse avait des difficultés à parler, semble-t-il, puisqu’il a cherché à se soustraire à l’appel de Dieu en disant : « Pardon, mon Seigneur, mais moi, je n’ai jamais été doué pour la parole, ni d’hier, ni d’avant-hier, ni même depuis que tu parles à ton serviteur. (sous-entendu cela ne s’est pas arrangé depuis que tu me parles) ; j’ai la bouche lourde et la langue pesante, moi ! » (Ex 4,10). Certains en déduisent qu’il était bègue, ce qui n’est pas, à nos yeux, très indiqué pour un chef de peuple ! Le prophète Samuel (celui dont il est question dans cette lecture d’aujourd’hui) était tout jeune et inexpérimenté quand le Seigneur l’a appelé.
Jérémie était trop jeune lui aussi et il objecte : « Ah, SEIGNEUR mon Dieu ! vois donc : je ne sais pas parler, je suis un enfant ! » (Jr 1,6). Timothée, le collaborateur de Paul, était de santé fragile puisque Paul parle de ses fréquentes faiblesses… Et l’on pourrait certainement allonger la liste. Quant au peuple d’Israël, choisi par Dieu pour être le peuple élu, associé à l’oeuvre de salut de l’humanité, c’était un peuple peu nombreux, et qui ne pouvait se targuer d’aucune vertu spéciale.
Ces choix de Dieu ne s’expliquent pas à vues humaines : mais, une fois de plus, c’est l’occasion de nous rappeler la phrase d’Isaïe : « Mes pensées ne sont pas vos pensées et vos chemins ne sont pas mes chemins – oracle du SEIGNEUR. Autant le ciel est élevé au-dessus de la terre, autant mes chemins sont élevés au-dessus de vos chemins, et mes pensées, au-dessus de vos pensées. » (Is 55,8-9). Notre texte d’aujourd’hui le dit à sa manière : « Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le SEIGNEUR regarde le coeur. » (1 S 16,7).
Voilà qui devrait éviter deux pièges à tous les envoyés de Dieu : le piège de la prétention comme celui du découragement. Car, apparemment, ce n’est pas une affaire de mérite, mais seulement de disponibilité. Aucun d’entre nous ne possède en lui-même les qualités ou les forces nécessaires, mais Dieu y pourvoira.

PSAUME – 22 (23),1-6
1 Le SEIGNEUR est mon berger :
je ne manque de rien.
2 Sur des prés d’herbe fraîche,
il me fait reposer.
Il me mène vers les eaux tranquilles
3 et me fait revivre ;
il me conduit par le juste chemin
pour l’honneur de son nom.
4 Si je traverse les ravins de la mort,
je ne crains aucun mal,
car tu es avec moi,
ton bâton me guide et me rassure.
5 Tu prépares la table pour moi
devant mes ennemis ;
tu répands le parfum sur ma tête,
ma coupe est débordante.
6 Grâce et bonheur m’accompagnent
tous les jours de ma vie ;
j’habiterai la maison du SEIGNEUR
pour la durée de mes jours.

J’HABITERAI LA MAISON DU SEIGNEUR POUR LA DURÉE DE MES JOURS
Nous venons d’entendre ce psaume en entier : c’est donc l’un des plus courts du psautier ; mais il est d’une telle densité qu’il a pu être choisi par les premiers chrétiens comme psaume privilégié de la nuit pascale : cette nuit-là, les nouveaux baptisés, remontant de la cuve baptismale, chantaient le psaume 22/23 en se dirigeant vers le lieu de leur Confirmation et de leur première Eucharistie. Si bien qu’on en est venu à l’appeler le « psaume de l’initiation chrétienne ».
Si les Chrétiens ont pu y déchiffrer le mystère de la vie baptismale, c’est parce que déjà, pour Israël, ce psaume exprimait de manière privilégiée le mystère de la vie dans l’Alliance, de la vie dans l’intimité de Dieu. Ce mystère est celui du choix de Dieu qui a élu ce peuple précis, sans autre raison apparente que sa souveraine liberté ; chaque génération s’émerveille à son tour de ce choix, de cette Alliance proposée : « Interroge donc les temps anciens qui t’ont précédé, depuis le jour où Dieu créa l’homme sur la terre : d’un bout du monde à l’autre, est-il arrivé quelque chose d’aussi grand, a-t-on jamais connu rien de pareil ? …Il t’a été donné de voir tout cela… » (Dt 4,32… 35). A ce peuple choisi librement par Dieu, il a été donné d’entrer le premier dans l’intimité de Dieu, non pas pour en jouir égoïstement, mais pour ouvrir la porte aux autres.
Pour dire le bonheur du croyant, notre psaume 22/23 se réfère à deux expériences, celle d’un lévite (un prêtre) et celle d’un pèlerin.
Vous connaissez l’institution des lévites ; d’après le livre de la Genèse, Lévi était l’un des douze fils de Jacob, les mêmes qui ont donné leurs noms aux douze tribus d’Israël ; mais la tribu de Lévi a depuis le début une place à part : au moment du partage de la terre promise entre les tribus, cette tribu n’a pas reçu de territoire, car elle est vouée au service du culte. On dit que c’est Dieu lui-même qui est leur héritage ; image que nous connaissons bien car elle a été reprise dans un autre psaume : « SEIGNEUR, mon partage et ma coupe, de toi dépend mon sort. La part qui me revient fait mes délices ; j’ai même le plus bel héritage ! » (psaume 15/16,5)1. Les lévites habitent dispersés dans les villes des autres tribus, vivant des dîmes qui leur sont versées. A Jérusalem, ils sont consacrés au service du Temple. Notre lévite, ici, chante de tout son coeur : « Grâce et bonheur m’accompagnent tous les jours de ma vie ; j’habiterai la maison du SEIGNEUR pour la durée de mes jours ». Cette expérience du lévite est une belle image de l’élection d’Israël : comme au sein du peuple, le lévite est heureux d’être consacré au service de Dieu, de la même manière, Israël est conscient de sa vocation particulière au sein de l’humanité.
Deuxième image, Israël se dépeint aussi sous les traits d’un pèlerin venu au Temple pour offrir un sacrifice d’action de grâce. Pendant son pèlerinage vers le Temple, il est comme une brebis : son berger c’est Dieu. On retrouve là un thème habituel dans la Bible : dans le langage de cour du Proche-Orient, les rois étaient couramment appelés les bergers du peuple et Israël emploie le même vocabulaire. Le roi idéal était souvent décrit comme un « bon berger » plein de sollicitude et de fermeté pour protéger son troupeau.
IL VEILLE SUR NOUS COMME SUR LA PRUNELLE DE SON OEIl
Mais ce qui était particulier en Israël c’est qu’on affirmait très fort que le seul vrai roi d’Israël c’est Dieu ; les rois de la terre ne sont que ses « lieutenants » (au sens étymologique de « tenant lieu »). De la même manière, le vrai bon berger d’Israël c’est Dieu, un berger attentif aux besoins véritables de son troupeau : « Le SEIGNEUR est mon berger, je ne manque de rien ; sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre. » Le prophète Ezéchiel, par exemple, a longuement développé cette image.
Réciproquement, l’image du peuple d’Israël comme le troupeau de Dieu est très souvent développée dans l’Ancien Testament : « Oui, il est notre Dieu, nous sommes le peuple qu’il conduit, le troupeau guidé par sa main. » (Ps 94/95,7). Ce psaume est une méditation sur l’Exode et la sortie d’Egypte : c’est là qu’on a fait l’expérience première de la sollicitude de Dieu ; sans lui, on ne s’en serait jamais sortis ! C’est lui qui a rassemblé son peuple comme un troupeau et lui a permis de survivre malgré tous les obstacles.
Si bien que, lorsque Jésus a tranquillement affirmé « Je suis le Bon Pasteur », cela a fait l’effet d’une bombe ! Car, sous cette phrase anodine pour nous, ses interlocuteurs ont entendu : « Je suis le Roi-Messie, le vrai roi d’Israël », ce qui leur paraissait quand même bien audacieux.
Je reviens à notre psaume : on sait bien qu’un pèlerinage peut parfois être périlleux : en chemin, le pèlerin rencontre peut-être des ennemis (« Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis » v.5) ; il frôlera peut-être même la mort (« Si je traverse les ravins de la mort » v.4) ; mais quoi qu’il arrive, il ne craint rien, Dieu est avec lui : « Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi, ton bâton me guide et me rassure ».
Arrivé au Temple, le pèlerin accomplit le sacrifice d’action de grâce pour lequel il est venu, puis il prend part au repas rituel qui suit toujours le sacrifice d’action de grâce. Ce repas prend les allures d’une joyeuse festivité entre amis avec une « coupe débordante » dans l’odeur des « parfums » (v. 5).
On comprend que les premiers Chrétiens aient trouvé dans ce psaume une expression privilégiée de leur expérience croyante : Jésus lui-même est le vrai berger (Jn 10) : par le Baptême, il les tire du ravin de la mort, les fait revivre en les menant vers les eaux tranquilles ; la table préparée, la coupe débordante disent le repas eucharistique ; le parfum sur la tête désigne la confirmation.
Une fois de plus, les Chrétiens découvrent avec émerveillement à quel point Jésus n’abolit pas, n’annule pas l’expérience croyante de son peuple, mais au contraire l’accomplit, lui donne toute sa dimension.
————–
Note
1 – C’est ce qui a inspiré le célèbre chant du « negro spiritual » : « Tu es, Seigneur, le lot de mon coeur, tu es mon héritage ; en toi, Seigneur, j’ai mis mon bonheur, toi mon seul partage ».

DEUXIEME LECTURE – lettre de saint Paul aux Ephésiens 5,8-14
Frères,
6 autrefois, vous étiez ténèbres ;
maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière ;
conduisez-vous comme des enfants de lumière
7 – or la lumière
a pour fruit tout ce qui est bonté, justice et vérité –
8 et sachez reconnaître
ce qui est capable de plaire au Seigneur.
9 Ne prenez aucune part aux activités des ténèbres,
elles ne produisent rien de bon ;
démasquez-les plutôt.
10 Ce que ces gens-là font en cachette,
on a honte même d’en parler.
11 Mais tout ce qui est démasqué
est rendu manifeste par la lumière,
14 et tout ce qui devient manifeste est lumière.
C’est pourquoi l’on dit :
Réveille-toi, ô toi qui dors,
relève-toi d’entre les morts,
et le Christ t’illuminera.

MAINTENANT, DANS LE SEIGNEUR, VOUS ÊTES LUMIÈRE
Bien souvent, dans les Ecritures, c’est la fin du texte qui en donne la clé. Je vous rappelle cette dernière phrase : « C’est pourquoi l’on dit : Réveille-toi ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera ». La formule d’introduction « C’est pourquoi l’on dit… » prouve bien que l’auteur n’invente pas le chant, il le cite. C’était certainement un (sinon le) cantique très habituel pour les cérémonies de baptême. « Réveille-toi ô toi qui dors, relève-toi d’entre les morts, et le Christ t’illuminera » était donc un cantique de nos premiers frères chrétiens ; ce qui, évidemment, ne peut pas nous laisser indifférents.
Du coup, nous comprenons mieux le début du texte que nous venons d’entendre : il est fait tout simplement pour expliquer les paroles de ce cantique ; comme si, à la sortie d’une célébration de baptême, quelques personnes étaient venues poser des questions au théologien de service, Paul en l’occurrence (ou l’un de ses disciples, car on n’est pas très sûrs que cette lettre soit de Paul lui-même) des questions du genre « Qu’est-ce que cela voulait dire, les paroles du chant qu’on a chanté tout-à-l’heure, pendant le baptême ? » Et Paul explique :
Grâce à votre baptême, une vie nouvelle a commencé, une vie radicalement neuve. A tel point que, à l’époque et encore aujourd’hui d’ailleurs, le nouveau baptisé s’appelait un « néophyte », ce qui veut dire « nouvelle plante ». Notre auteur explique donc le chant en disant : la nouvelle plante que vous êtes devenu est radicalement autre. Quand on fait une greffe, le fruit de l’arbre greffé est radicalement autre que celui du porte-greffe ; et c’est bien dans ce but précis que l’on fait une greffe, d’ailleurs ! Chaque printemps m’en donne un exemple : chaque année, dans un jardin que je connais, un rhododendron rouge profond fleurit sur un porte-greffe qui était primitivement violet ; mais certaines années, des fleurs violettes de l’arbre primitif, le porte-greffe, reviennent subrepticement ; évidemment, par la couleur, on distingue très facilement ce qui est fleur du nouvel arbre et ce qui est rejeton indésirable du porte-greffe.
Si je comprends bien, c’est exactement la même chose pour le Baptême : les fruits du nouvel arbre, entendez le baptisé, sont des activités de lumière ; avant la greffe (le baptême), vous étiez ténèbres, vos fruits étaient des activités de ténèbres. Et de la même manière qu’il arrive que des fleurs violettes apparaissent quand même encore sur le rhododendron, il arrive que vous soyez tentés de prendre part à vos activités antérieures ; alors il est important de savoir les reconnaître.
Pour notre auteur, la distinction est bien simple : les fruits du nouvel arbre, c’est tout ce qui est bonté, justice et charité. A l’inverse, ce qui n’est pas bonté, justice et charité est un rejeton indésirable de l’arbre ancien.
CONDUISEZ-VOUS COMME DES ENFANTS DE LUMIÈRE
Or qui peut vous faire produire des fruits de lumière ? Jésus-Christ : car il est toute bonté, toute justice, toute charité ; un peu comme une plante doit demeurer au soleil pour fleurir, offrez-vous à sa lumière ; l’expression de notre chant dit bien à la fois l’oeuvre du Christ et la participation de l’homme « Réveille-toi, relève-toi », c’est la liberté de l’homme qui est sollicitée. « Le Christ t’illuminera » : lui seul peut le faire.
Pour Saint Paul, à la suite de tous les prophètes de l’Ancien Testament la lumière est un attribut de Dieu ; et donc dire « Le Christ t’illuminera », c’est dire deux choses :
Premièrement que le Christ est Dieu ; deuxièmement que la seule manière pour nous d’être en harmonie avec Dieu c’est de vivre greffés sur Jésus-Christ, c’est-à-dire très concrètement dans la justice, la bonté, la charité. Comme dit Jésus, il ne s’agit pas de dire « Seigneur, Seigneur… » il s’agit de faire la volonté du Père, lequel a en souci tous ses enfants. Et là bien sûr, Saint Paul a certainement en mémoire le fameux texte d’Isaïe au chapitre 58 : « Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante (Saint Paul dirait « les activités des ténèbres »), si tu donnes à celui qui a faim ce que toi, tu désires, et si tu combles les désirs du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi. ». Et encore « Le jeûne qui me plaît, n’est-ce pas ceci :… partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? Alors ta lumière jaillira comme l’aurore… et la gloire du SEIGNEUR fermera la marche. » (Is 58,9-10.7).
Il s’agit bien de la gloire du Seigneur, de la lumière du Seigneur que nous sommes invités à refléter ; comme le dit Paul dans la deuxième lettre aux Corinthiens : « Nous tous qui n’avons pas de voile sur le visage, nous reflétons la gloire du Seigneur, et nous sommes transformés en son image avec une gloire de plus en plus grande par l’action du Seigneur qui est Esprit. » (2 Co 3,18). Le mot « refléter » dit bien que c’est le Christ qui est lumière et qui nous donne de refléter sa lumière.
Refléter la lumière du Christ, telle est la vocation des baptisés : c’est bien pourquoi un cierge allumé au cierge pascal nous est remis au baptême et à chaque renouvellement de notre profession de foi baptismale, dans la nuit de Pâques. Mais on le sait bien, une lumière ne brille pas pour elle-même : elle est faite pour éclairer ce qui l’entoure. Dans la lettre aux Philippiens, Paul disait déjà que nous sommes appelés à être des sources de lumière pour le monde. Voici cette phrase : « Faites tout sans récriminer et sans discuter ; ainsi vous serez irréprochables et purs, vous qui êtes des enfants de Dieu sans tache au milieu d’une génération tortueuse et pervertie où vous brillez comme les astres dans l’univers, en tenant ferme la parole de vie. » (Phi 2,14-16). C’est sa manière à lui de traduire la phrase de Jésus : « Vous êtes la lumière du monde ».
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Compléments
1 – « Faites tout sans récriminer et sans discuter » : ici, Paul fait certainement allusion aux « murmures », c’est-à-dire au manque de foi des Hébreux dans le désert. (Ex 17,1-7).
2 – On retrouve dans ce texte comme dans tant d’autres le thème des deux voies si cher à Paul comme à tous les Juifs : le même parallèle entre lumière et vie opposées aux ténèbres et à la mort.
3 – Pour que des formules baptismales aient eu le temps de se fixer et de devenir des cantiques connus de tous, au point qu’on puisse les citer en exemple, il a certainement fallu beaucoup de temps.
Nous avons donc ici un argument pour ceux, et ils sont nombreux, qui pensent que cette lettre aux Ephésiens n’est pas de Saint Paul : elle serait d’un de ses disciples. On sait que le procédé qui consiste à prolonger la pensée d’un auteur illustre en écrivant sous son nom était très courant à l’époque ; on appelle ce procédé la « pseudépigraphie ».
Ici, bien sûr, nous sommes dans le domaine des hypothèses et que la lettre aux Ephésiens soit de Paul lui-même ou d’un de ses disciples n’est pas le plus important : cela ne change rien à l’intérêt considérable qu’a toujours représenté pour l’Eglise chrétienne la lettre dite de Paul aux Ephésiens. De toute façon, si l’auteur n’est pas Paul lui-même, il en est extrêmement proche et par le contexte et par la doctrine.

EVANGILE – selon saint Jean 9, 1-41 (lecture brève)
En ce temps-là,
en sortant du Temple,
1 Jésus vit sur son passage
un homme aveugle de naissance.
6 Il cracha à terre
et, avec la salive, il fit de la boue ;
puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle,
7 et lui dit :
« Va te laver à la piscine de Siloé »
– ce nom se traduit : Envoyé.
L’aveugle y alla donc, et il se lava ;
quand il revint, il voyait.
8 Ses voisins, et ceux qui l’avaient observé auparavant
– car il était mendiant –
dirent alors :
« N’est-ce pas celui qui se tenait là pour mendier ? »
9 Les uns disaient :
« C’est lui. »
Les autres disaient :
« Pas du tout, c’est quelqu’un qui lui ressemble. »
Mais lui disait : « C’est bien moi. »
13 On l’amène aux pharisiens, lui, l’ancien aveugle.
14 Or, c’était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue
et lui avait ouvert les yeux.
15 À leur tour, les pharisiens lui demandaient comment il pouvait voir.
Il leur répondit :
« Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé,
et je vois. »
16 Parmi les pharisiens, certains disaient :
« Cet homme-là n’est pas de Dieu,
puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. »
D’autres disaient :
« Comment un homme pécheur
peut-il accomplir des signes pareils ? »
Ainsi donc ils étaient divisés.
17 Alors ils s’adressent de nouveau à l’aveugle :
« Et toi, que dis-tu de lui,
puisqu’il t’a ouvert les yeux ? »
Il dit : « C’est un prophète. »
34 Ils répliquèrent :
« Tu es tout entier dans le péché depuis ta naissance,
et tu nous fais la leçon ? »
Et ils le jetèrent dehors.
35 Jésus apprit qu’ils l’avaient jeté dehors.
Il le retrouva et lui dit :
« Crois-tu au Fils de l’homme ? »
36 Il répondit : « Et qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui ? »
37 Jésus lui dit : « Tu le vois, et c’est lui qui te parle. »
38 Il dit : « Je crois, Seigneur ! » Et il se prosterna devant lui.

LE PIRE AVEUGLEMENT N’EST PAS CELUI QU’ON PENSE
On entend ici comme une illustration de ce que Saint Jean disait dès le début de son évangile, dans ce qu’on appelle « le Prologue » : « Le Verbe était la vraie Lumière qui éclaire tout homme en venant dans le monde. Il était dans le monde, et le monde était venu par lui à l’existence, mais le monde ne l’a pas reconnu. » (Jn 1,9-10). C’est ce que l’on pourrait appeler le drame des évangiles. Mais Jean continue : « Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom. »
C’est exactement ce qui se passe ici : le drame de ceux qui s’opposent à Jésus et refusent obstinément de reconnaître en lui l’envoyé de Dieu ; mais aussi et heureusement, le salut de ceux qui ont le bonheur, la grâce d’ouvrir les yeux, comme notre aveugle, aujourd’hui.
Car Jean insiste bien pour nous faire comprendre qu’il y a deux sortes d’aveuglement : la cécité naturelle, qui est le lot de cet homme depuis sa naissance, et puis, beaucoup plus grave, l’aveuglement du coeur.
Lors de sa première rencontre avec l’aveugle, Jésus a fait le geste qui le guérit de sa cécité naturelle. Lors de sa deuxième rencontre, c’est le coeur de l’aveugle que Jésus ouvre à une autre lumière, la vraie lumière. D’ailleurs, vous l’avez remarqué, Jean se donne la peine de nous expliquer le sens du mot « Siloé » qui veut dire « Envoyé ». Or, dans d’autres cas semblables, il ne donne pas le sens des mots. Cela veut dire qu’il y attache une grande importance. Jésus est vraiment envoyé par le Père pour illuminer le monde de sa présence.
Mais une fois de plus, nous butons sur le même problème : comment se fait-il que celui qui était envoyé dans le monde pour y apporter la lumière de Dieu a été refusé, récusé, par ceux-là mêmes qui l’attendaient avec le plus de ferveur ? Et, en ces jours-là, plus que jamais, peut-être, puisque, si l’on en croit les chapitres précédents de l’évangile de Jean, l’épisode de l’aveugle-né s’est déroulé le lendemain de la fête des Tentes qui était la grande fête à Jérusalem et au cours de laquelle on évoquait à plusieurs reprises avec ferveur la venue du Messie.
LE DANGER DES CERTITUDES
On sait qu’au temps de Jésus cette impatience de la venue du Messie agitait tous les esprits. Il faut se mettre à la place des contemporains de Jésus : pour eux tout le problème était donc de savoir s’il était réellement « l’envoyé du Père »… celui que l’on attendait depuis des siècles, ou un imposteur ; c’est la grande question qui accompagnera toute la vie de Jésus : est-il le Messie, oui ou non ?
Or ce qui alimentait les discussions, c’était le côté paradoxal des faits et gestes de Jésus : d’une part, il accomplissait des oeuvres bonnes, qui sont bien celles qu’on attendait du Messie : on savait qu’il rendrait la vue aux aveugles justement, et la parole aux muets, et l’ouïe aux sourds. Mais il ne se préoccupait guère du sabbat, semble-t-il ; car cet épisode de l’aveugle-né s’est passé un jour de sabbat justement. Or si Jésus était l’envoyé de Dieu comme il le prétendait, il respecterait le sabbat, c’est évident.
Ce sont précisément ces « évidences » qui sont le problème : encore une fois, les Juifs du temps de Jésus attendaient le Messie, l’aveugle tout autant que l’ensemble du peuple et les autorités religieuses. Mais nombre d’entre eux avaient trop d’idées bien arrêtées sur ce qu’il est bien de faire ou dire et n’étaient pas prêts à l’inattendu de Dieu. L’aveugle, lui, en savait moins long : quand les Pharisiens lui demandent : « Comment se fait-il que tu voies ? » Il leur répond simplement : « Il m’a mis de la boue sur les yeux, je me suis lavé, et je vois. » C’est à ce moment-là que les Pharisiens se divisent : les uns disent : « Cet homme n’est pas de Dieu puisqu’il n’observe pas le repos du sabbat. » A quoi d’autres répliquent : « Comment un homme pécheur peut-il accomplir des signes pareils ? »
L’aveugle, lui, n’est pas empêtré dans des idées toutes faites : il leur répond tranquillement : « Dieu, nous le savons, n’exauce pas les pécheurs, mais si quelqu’un l’honore et fait sa volonté, il l’exauce. Jamais encore on n’avait entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux à un aveugle de naissance. Si lui n’était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire. » (versets 31-33). Mais c’est toujours la même histoire : celui qui s’enferme dans ses certitudes ne peut même plus ouvrir les yeux ; tandis que celui qui fait un pas sur le chemin de la foi est prêt à accueillir la grâce qui s’offre ; alors il peut recevoir de Jésus la véritable lumière.
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Complément
Cet épisode de la guérison de l’aveugle-né se situe dans un contexte de polémique entre Jésus et les Pharisiens. A deux reprises, Jésus leur a reproché de « juger selon les apparences ». (Jn 7,24 ; 8,15). On comprend, de ce fait, le choix de la première lecture qui nous rapporte le choix de David et cette phrase : « Dieu ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais le SEIGNEUR regarde le coeur. » (1 S 16,7).

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