« Définir l’homme »
Conclusion
« Définir l’homme », au terme de ce colloque avons-nous réussi à le faire ? J’espère que non !
Mais la qualité des intervenants nous a permis, je crois, d’approfondir son mystère. Il ne m’est pas possible de reprendre, même très brièvement, toute la richesse des interventions ; et cela a déjà été fait – et si bien fait ! – en fin de la matinée. Je me contenterai de suggérer deux pistes pour prolonger la réflexion de ce colloque.
La première concerne l’emprise du mal sur les relations humaines en général et la relation homme-femme en particulier.
Dans mon introduction au colloque, j’ai un peu triché en disant que la fresque de Masolino da Panicale représentait la création d’Adam et Eve. Il s’agit en fait de la tentation d’Adam et Eve comme le suggère le fruit dans la main d’Eve qui, comme vous pouvez le constater, n’est pas une pomme !
Plusieurs des intervenants ont fait allusion à la nature blessée de d’humanité et la citation de Pascal que j’ai utilisé dans mon introduction « l’homme passe infiniment l’homme » fait partie d’une de ses réflexions sur l’énigme du péché originel dont voici la conclusion :
Chose étonnante cependant que le mystère le plus éloigné de notre connaissance, qui est celui de la transmission du péché, soit une chose sans laquelle nous ne pouvons avoir aucune connaissance de nous‑mêmes !
Car il est sans doute qu’il n’y a rien qui choque plus notre raison que de dire que le péché du premier homme ait rendu coupables ceux qui, étant si éloignés de cette source, semblent incapables d’y participer… Et cependant, sans ce mystère le plus incompréhensible de tous nous sommes incompréhensibles à nous‑mêmes. Le nœud de notre condition prend ses replis et ses tours dans cet abîme. De sorte que l’homme est plus inconcevable sans ce mystère, que ce mystère n’est inconcevable à l’homme.
Aujourd’hui où la question du mal est soit occultée – nous n’avons pas besoin d’être sauvés –, soit conduit à un nihilisme sans horizon, cette piste de réflexion est, je crois, à reprendre d’urgence.
La seconde piste concerne la destinée eschatologique de la complémentarité homme-femme dans la perspective de la résurrection de la chair, notion qui a été abordée dans telle ou telle intervention et qui est, je crois, absolument capital dans l’anthropologie chrétienne.
En effet, la révélation biblique contient le paradoxe suivant. La complémentarité homme-femme, largement mise en valeur au cours de ces deux jours – est donnée comme la seule véritable image de Dieu en ce monde ; et cependant Jésus déclare aux sadducéens qui contestent la réalité de la résurrection des morts :
Vous vous égarez, en méconnaissant les Écritures et la puissance de Dieu. A la résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari, mais on est comme les anges dans le ciel.
Certes, être « comme des anges », ce n’est pas être tout-à-fait un ange ! Jésus répond à des sadducéens qui présentaient dans une intention polémique la résurrection d’une façon caricaturale et matérialiste, réponse qui prend place dans la controverse classique entre pharisiens et sadducéens sur cette question. Surtout la scène se passe avant la résurrection du Christ, clé de la révélation du salut et donc de l’anthropologie chrétienne dans sa finalité eschatologique.
Mais déjà la suite de la réponse du Christ nous oriente vers ce qui nous a été si bien dit par plusieurs intervenants, à savoir que l’alliance de Dieu avec l’humanité est tout orientée vers la vie :
Et au sujet de la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu ce qui vous a été dit par Dieu : « Moi, je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob ? » Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. »
Dieu est le Dieu des vivants, car la relation « vivifiante » de Dieu avec les patriarches est toujours actuelle dans le cours du monde et pour la vie éternelle. Certes, il n’est question que des patriarches, mais sans les matriarches Sarah, Rebecca, Rachel et Léa, il n’y aurait plus aujourd’hui d’hommes pour porter la révélation divine !
Mais venons-en à l’essentiel. Dieu n’a pas de corps, mais avec la résurrection du Verbe fait chair, la corporéité de l’humanité est entrée pour toujours au sein de la Trinité. Jésus-Christ est monté au ciel auprès de son Père avec son corps glorifié gardant à jamais les stigmates de sa passion à travers laquelle s’accomplit notre salut et qui nous introduit dans « la bienheureuse espérance » de ressusciter lors de son glorieux avènement à la fin des temps.
Nous sommes dès aujourd’hui membres du corps du Christ ; mais bien plus encore : toute l’humanité rachetée est appelée à entrer – et c’est l’accomplissement final de tout le dessein divin du salut – dans l’alliance nuptiale du Christ et de l’Eglise en laquelle s’accomplit et est subsumée la complémentarité ontologique de l’homme et de la femme.
Rappelons-nous l’amour du Christ pour son Eglise tel que nous le présente la lettre aux Ephésiens :
Vous, les hommes, aimez votre femme à l’exemple du Christ : il a aimé l’Église, il s’est livré lui-même pour elle, afin de la rendre sainte en la purifiant par le bain de l’eau baptismale, accompagné d’une parole ; il voulait se la présenter à lui-même, cette Église, resplendissante, sans tache, ni ride, ni rien de tel ; il la voulait sainte et immaculée.
Rappelons-nous ce que nous révèle la finale de l’Apocalypse, ce vers quoi tend toute l’histoire du salut :
« Alléluia ! Il règne, le Seigneur notre Dieu, le Souverain de l’univers. Soyons dans la joie, exultons, et rendons gloire à Dieu ! Car elles sont venues, les Noces de l’Agneau, et pour lui son épouse a revêtu sa parure. » […] « Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau ! »
« Soyons dans la joie, exultons, et rendons gloire à Dieu ! » : ce sera le mot de la fin.
+ François JACOLIN
Evêque de Luçon
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