Christianisme et Islam : Quelles distinctions ? Quelles similitudes ?

On entend souvent l’expression  »Religions du Livre », ou encore  »Religions d’Abraham », pour désigner les trois grandes religions monothéistes du judaïsme, du christianisme et de l’islam. Sans doute veut-on mettre en évidence des points de convergence entre les trois.

Le Concile Vatican II n’y manque pas en soulignant ce qui peut volontiers constituer un socle commun utile pour le dialogue. Ici, nous nous focalisons sur le rapport avec les musulmans. Voici ce qu’en dit la Constitution dogmatique sur l’Église Lumen Gentium (n° 16) : « Le dessein de salut enveloppe également ceux qui reconnaissent le Créateur, en tout premier lieu les musulmans qui professent avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, futur juge des hommes au dernier jour ». La déclaration Nostra Aetate sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes ajoute également l’estime que les musulmans ont pour Jésus comme prophète, pour sa mère Marie et pour les pratiques de prière, de jeûne et d’aumône (cf. n° 3).

En effet, la profession d’un Dieu unique, qui se veut fondée dans une même révélation selon la doctrine du Coran, induit des pratiques approchantes. On se souvient comment le bienheureux Charles de Foucauld avait été durablement frappé par la force de la prière de ses soldats musulmans au Maghreb et par le sens de la transcendance de Dieu qu’elle exprimait. A un moment où il n’avait pas encore trouvé la voie de la conversion, cette image avait suscité en lui une interrogation qui se fraierait bientôt un chemin dans son désir d’absolu et d’union avec son Seigneur.

Dieu Créateur et Juge, ces deux points sont omniprésents dans le Coran. Les musulmans insistent sur la distance qui sépare Dieu de l’homme, sa créature. A bien des reprises, Allah affirme son autorité. Il est celui qui sait, contrairement à l’homme. Ainsi à Zacharie dans la sourate 19 : « C’est ainsi : ton Seigneur a dit :  »Cela m’est facile : je t’ai créé autrefois, alors que tu n’étais rien » » (v. 9) ; et de même à Marie (v. 21) quand elle reçoit l’Esprit, sous la forme d’un homme parfait (sic, v. 17). L’homme traverse l’existence entre sa création et le jour du jugement sous le regard d’un Dieu dont il ne faut pas entacher la pure unicité, tout en se confiant à sa miséricorde.

Le nom même d’Allah n’est pas spécifique aux musulmans (même si certains le revendiquent) puisque nos frères chrétiens arabes l’utilisent. Ce Dieu unique est le Dieu de tous les hommes, croyants ou non. A plus forte raison peut-on dire que le Dieu des musulmans et le Dieu des chrétiens est le même. En va-t-il de même pour le Dieu musulman et le Dieu chrétien ?

Malgré les points de convergence qui ressortent entre chrétiens et musulmans, la conception de Dieu et du rapport à Dieu connaît des différences fondamentales. C’est tout d’abord le statut de l’Écriture Sainte. Le Coran est parole incréée de Dieu pour le musulman. Par l’ange Gibril, Allah a dicté (c’est le sens même du mot ‘Coran’) sa parole à Mohammed qui, réputé analphabète, ne fait que transmettre littéralement et fidèlement la révélation coranique. Autrement dit, le fondateur de l’Islam n’est en rien l’auteur du Livre sacré qui doit être conservé, enseigné, appris en arabe pur et clair, langue de Dieu.

La Constitution dogmatique Dei Verbum sur la Révélation divine de Vatican II explique comment, pour nous, Dieu est l’auteur des livres sacrés, tout en agissant en des hommes et par eux, qui écrivent en vrais auteurs (cf. n° 11). Pour les musulmans, la parole de Dieu se fait Livre ; pour les chrétiens, elle est Parole vivante qui se fait chair : Jésus-Christ. Le Coran nous appelle ‘peuple du Livre’, mais les chrétiens ne peuvent pas se reconnaître en cette expression puisque le Verbe de Dieu leur est donné, vivant, au jour du baptême pour habiter leur cœur. Dès lors le regard respectif des deux religions sur les Écritures sacrées ne peut pas être le même.

Nous touchons là une question polémique puisque le Coran reproche sans cesse aux chrétiens leur foi en Jésus, Fils de Dieu fait homme. Il suffirait pour eux que nous reconnaissions Mohammed comme prophète puisque eux-mêmes reconnaissent Jésus comme tel. Mais pour les chrétiens, comme le souligne Dei Verbum (n° 4), le Christ est la plénitude de la révélation car Il est la parfaite manifestation de Dieu le Père. Il n’y a donc plus de révélation publique à attendre car, en Jésus,  « rayonnement de la gloire de Dieu et empreinte de sa substance » (He 1, 3), toute révélation trouve son achèvement, pleinement dévoilé dans l’Esprit-Saint. Ce qui entraîne une autre différence fondamentale avec la foi des musulmans : la reconnaissance du Dieu Un en trois Personnes. La Sainte Trinité est vilipendée dans le Coran (Sourates 12 ; 4, 171; 5, 73), à tort semble-t-il puisqu’il semble penser qu’elle est constituée par Dieu, Jésus et Marie (5, 116).

Ce ne sont là que les points principaux de divergence. Il en est bien d’autres. Par exemple, le personnage d’Abraham dans la Bible et dans le Coran est sensiblement différent. Les raccourcis de langage comme ‘Religions du Livre (ou d’Abraham)’ s’avèrent souvent trompeurs. Le dialogue théologique en arrive rapidement à une impasse mais il a au moins le mérite de faire grandir la connaissance réciproque, source d’une estime et d’un respect mutuels. Il incite également le chrétien à approfondir sa foi, à en témoigner pour « rendre compte de l’espérance qui est en lui » (1P 3, 15).

Abbé Philippe-Marie Airaud

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