Les Vendéens et le Sacré-Cœur de Jésus : une histoire de cœur
Mars 1793. Aux quatre coins des quatre départements insurgés, que les historiens appelleront plus tard de la Vendée militaire, on voit fleurir des sacrés-cœurs cousus sur l’étoffe des vestes des combattants. Les textes historiques sont clairs, pour les soldats-paysans, le Sacré-Cœur de Jésus fut à la fois un signe de reconnaissance et un appel à la protection divine dans les combats. Pour avoir été en possession de sacrés-cœurs, sous forme d’image papier ou en tissu, des femmes et des prêtres de notre diocèse, furent également condamnés à mort, pendant la Terreur.
Le culte du Sacré-Cœur en Bas-Poitou au XVIIIe siècle
Pourquoi un tel reflexe ? Les campagnes poitevines, angevines ou bretonnes avaient bénéficié depuis près d’un siècle d’une forte dynamique de missions paroissiales. Personnalité emblématique de ces missions : le saint père de Montfort (1673-1716), puis ses successeurs les pères montfortains, multiplièrent à la demande des évêques, les prédications ponctuelles pendant des décennies. A leurs côtés, Jésuites, Capucins, Lazaristes, Jacobins et Carmes sillonnèrent, aux XVIIe et XVIIIe siècles, les anciens diocèses de Luçon et la Rochelle afin de lutter contre le protestantisme, s’opposer à l’esprit janséniste, corriger les abus, raviver la foi, enseigner la religion et administrer les sacrements. Sur les croix érigées à la fin de ces missions, figurait souvent un Sacré-Cœur en plomb ou en bois. Le XVIIe siècle, grand siècle eucharistique, vit la dévotion au Sacré-Cœur se répandre très fortement, il a existé ainsi à cette époque pas moins de 339 confréries du Sacré-Cœur sur le territoire français.
Au début de la Révolution, par des lettres et des brochures, la Visitation de Nantes a aussi beaucoup fait pour demander à tous les chrétiens de se tourner vers le cœur de Jésus. Louis XVI ayant saisi que la Révolution n’était pas une fronde ordinaire mais une révolution idéologique, « rédigea une prière de consécration, de la France au Sacré-Cœur. Ce vœu est à la fois une prière, un acte de contrition, un acte d’espérance, et un engagement pris par lui pour son royaume » comme l’a précisé, lors d’un colloque en Vendée en mars 2016, l’historien Philippe Pichot-Bravard. La consécration de Louis XVI a été connue dans les campagnes de l’Ouest assez vite au cours de 1792-1793.
Dans les décennies suivant la geste vendéenne de 1793-1796, l’attachement au Sacré-Cœur de Jésus n’a eu de cesse d’être recherché et encouragé. A la fois sur le plan spirituel, on pense ainsi aux pères Monnereau et Baudouin, qui se réclamèrent de cette spiritualité dans leur apostolat et leurs fondations, mais aussi d’une manière politique, dans un siècle, le XIXe, très instable et très déchiré. A partir du moment, où il était devenu le symbole de la résistance, le signe des catholiques de l’Ouest dressés contre les persécutions, le Sacré-Cœur fut au cours du XIXe siècle, l’un des emblèmes de la France Catholique.
Le Sacré-Cœur, sursaut spirituel face aux crises
Le Sacré-Cœur devint rapidement un sursaut spirituel face aux crises morales, engendrées par les guerres et les invasions. Mgr Colet consacra ainsi en 1870 le diocèse de Luçon au Sacré-Cœur. Pendant la Grande guerre, nombre de poilus vendéens firent apparaître le Sacré-Cœur dans leurs vestes, casques, fanions, sur leurs objets quotidiens dans les tranchées. A la demande des élus, 1917 vit une grande cérémonie en l’église Saint-Louis pour la consécration du département au cœur de Jésus1. Plusieurs communes, cantons, usines vendéennes firent de même à l’époque.
En 1919, Mgr Garnier demanda l’érection d’un sanctuaire dédié au Sacré-Cœur. Une église fut ainsi construite à la Roche-sur-Yon. Des milliers de familles furent sollicitées financièrement pour sa construction, familles qui se consacrèrent alors au Sacré-Cœur. En pleine occupation, à la suite de l’appel des évêques de France aux familles françaises à se consacrer au cœur de Jésus, Mgr Cazaux instaura pour sa part, au carême 1944, une année du Sacré-Cœur pour le diocèse.
Le 23 février 1944, il écrivait ainsi à ses diocésains : « Notre religion n’est pas une religion du souvenir. Elle est le culte des réalités magnifiques et toujours actuelles. Le cœur de Jésus (…) palpite toujours sous les voiles des milliers d’hosties répandues dans le monde. Il continue à déverser le feu de sa charité dans l’âme du chrétien qui, en communiant, demande à ce Cœur de venir battre dans le sien. »
Ces trois élans spirituels vécus dans des périodes de tension et de guerre, manifestant l’expérience de don total du Christ rejoignant le sacrifice de la vie de chacun, n’ont pas été des exceptions vendéennes, ils se sont inscrits dans un véritable élan spirituel français. On pourrait citer de très nombreux évènements comme la consécration de la France à Paray le Monial en 1873, où pas moins de 200 000 personnes furent présentes dont 50 députés français, la longue construction de la basilique de Montmartre, entre 1875 et 1923, où les appels répétés, en 1917, d’une mystique, Claire Ferchaud, née aux portes de la Vendée à Loublande, envers le président de la République pour qu’il fasse apposer sur le drapeau français l’emblème du Sacré-Cœur.
On sait aujourd’hui que seul le général Foch, le 9 juillet 1918, consacra en secret, les armées françaises et alliées. Par contre, il est évident que les initiatives vendéennes entrèrent chaque fois en résonnance avec la dévotion du Vendéen de 1793. Cela ne pouvait en être autrement. Durant tout le XIXe et le XXe siècle, dans les textes des évêques de Luçon successifs, nombreuses furent les références au Sacré-Cœur et à 1793. Un exemple visuellement marquant, a été celui des pèlerins vendéens à Lourdes, qui ont longtemps arboré sur eux, comme signe de reconnaissance, le Sacré-Cœur. Pratique qui se termina autour de 1968, si on en juge par les photos de groupe de l’époque.
Le renouvellement permanent de la consécration au Cœur de Jésus
La consécration au cœur de Jésus, afin que notre cœur soit semblable au sien, n’est donc pas une dévotion du passé, puisque que l’on constate qu’elle se renouvela à chaque époque et selon les contextes, et qu’elle se renouvelle toujours aujourd’hui. La vie religieuse dans notre diocèse en a été par exemple profondément marquée. D’abord avec les sœurs de Mormaison et leur fondateur, qui fut lui un apôtre infatigable du cœur de Jésus mais aussi du cœur de Marie. Le souhait de s’unir à ces deux divins cœurs par un culte d’amour et de méditation fut pour le père Monnereau la source de son apostolat, de son oblation auprès des jeunes filles des campagnes. A chaque époque, le cœur de Jésus fit son apparition dans la vie religieuse vendéenne.
Au XXe siècle, les Victimes du Sacré-Cœur (connues postérieurement sous le nom de religieuses du Cœur de Jésus), françaises provenant de Namur, rejoignirent la Roche-sur-Yon en 1921. Egalement, dans cette période d’entre deux–guerres, les religieuses du Coeur agonisant de Jésus, s’installèrent elles à Nalliers. Le XXIe siècle vit lui les sœurs Victimes du Sacré-Cœur de Jésus, ordre monastique né à Marseille, spécialement voué à la vie réparatrice et à l’adoration eucharistique, prendre place en 2016 dans l’ancien Carmel de la Fouchardière, à Chavagnes-en-Paillers.
Durant les années postconciliaires, années de profondément bouleversements sociétaux et ecclésiaux, des prêtres diocésains ont trouvé une source spirituelle pour leur sacerdoce dans le cœur de Jésus, à travers la figure inspirante d’un Charles de Foucauld et en partageant au sein d’équipes de prêtres, comme l’institut séculier des prêtres du cœur de Jésus ou la fraternité sacerdotale Jésus Caritas.
Le renouvellement de la consécration eut lieu en juin 2017, dans l’année jubilaire qui marqua les 700 ans de la fondation du diocèse. A cette occasion, Mgr Castet donna comme feuille de route à l’assistance la reprise d’une ancienne pratique, celle de l’acte d’offrande quotidien : « Dieu, notre Père, je t’offre toute ma journée. Je t’offre mes prières, pensées, paroles, actions et souffrances en union avec ton Fils Jésus Christ qui continue à s’offrir à toi dans l’Eucharistie pour le salut du Monde ». Et l’évêque de terminer son homélie ainsi : que l’invocation qui a nourri tant de générations chrétiennes, retentisse dans notre assemblée: « Jésus, doux et humble de cœur, rendez-nos cœurs semblables au vôtre ».
Enfin, de manière tout à fait récente, en pleine période d’épidémie de Covid-19, Mgr Jacolin, successeur de Mgr Castet, consacra lui le diocèse, le 25 mars 2020, du haut du clocher de la cathédrale, au cœur immaculé de Marie.
Grégoire Moreau, secrétaire général du sanctuaire Louis & Zélie Martin (Alençon)