Journée des familles

Journée des familles

Journée des familles Luçon

Journée des familles

Samedi 13 mai, en la fête de Notre Dame de Fatima, s’est déroulée la journée des familles à Luçon. Une soixantaine de familles, venues avec des enfants et des jeunes, y ont participé, et 23 mouvements liés à la pastorale familiale étaient représentés, ainsi que des scouts et guides en service. Pendant que les enfants et les jeunes étaient pris en charge pour des activités adaptées, les adultes ont écouté l’intervention de Tanguy Lafforgue, fondateur de l’association ‘Cœur Hackeur’, sur la volonté. Les participants ont ensuite rejoint le cloître pour un pique-nique et une messe célébrée par Mgr Jacolin. Celle-ci s’est conclue par l’envoi en mission et la bénédiction individuelle des familles, un moment très fort pour les participants. L’une témoigne des grâces reçues au cours de cette joyeuse journée : « Ce fut une très belle journée de qualité, avec des beaux moments de rencontres et d’échanges. La bénédiction finale de chacune des familles a donné de l’élan au parfum de Pentecôte ! ».

Commentaires du dimanche 28 mai

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 28 mai 2023
Solennité de la Pentecôte

1ère lecture
Psaume
2ème lecture
Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 2, 1-11
1 Quand arriva le jour de la Pentecôte, au terme des cinquante jours après Pâques,
ils se trouvaient réunis tous ensemble.
2 Soudain un bruit survint du ciel comme un violent coup de vent :
la maison où ils étaient assis en fut remplie tout entière.
3 Alors leur apparurent des langues qu’on aurait dites de feu,
qui se partageaient,
et il s’en posa une sur chacun d’eux.
4 Tous furent remplis d’Esprit Saint :
ils se mirent à parler en d’autres langues,
et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit.
5 Or, il y avait, résidant à Jérusalem, des Juifs religieux,
venant de toutes les nations sous le ciel.
6 Lorsque ceux-ci entendirent la voix qui retentissait,
ils se rassemblèrent en foule.
Ils étaient en pleine confusion
parce que chacun d’eux entendait dans son propre dialecte ceux qui parlaient.
7 Dans la stupéfaction et l’émerveillement, ils disaient :
« Ces gens qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens ?
8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende
dans son propre dialecte, sa langue maternelle ?
9 Parthes, Mèdes et Elamites,
habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce,
de la province du Pont et de celle d’Asie,
10 de la Phrygie et de la Pamphylie,
de l’Egypte et des contrées de Libye proches de Cyrène,
Romains de passage,
11 Juifs de naissance et convertis, Crétois et Arabes,
tous nous les entendons parler dans nos langues des merveilles de Dieu. »

Première chose à retenir de ce texte : Jérusalem est la ville du don de l’Esprit ! Elle n’est pas seulement la ville où Jésus a institué l’Eucharistie, la ville où il est ressuscité, elle est aussi la ville où l’Esprit a été répandu sur l’humanité.
A l’époque du Christ, la Pentecôte juive était très importante : c’était la fête du don de la Loi, l’une des trois fêtes de l’année pour lesquelles on se rendait à Jérusalem en pèlerinage. L’énumération de toutes les nationalités réunies à Jérusalem pour cette occasion en est la preuve : « Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, des bords de la mer Noire, de la province d’Asie, de la Phrygie, de la Pamphylie, de l’Egypte et de la Libye proche de Cyrène… Crétois et Arabes ».
La ville de Jérusalem grouillait donc de monde venu de partout, des milliers de Juifs pieux venus parfois de très loin : c’était l’année de la mort de Jésus, mais qui d’entre eux le savait ? J’ai dit intentionnellement « la mort » de Jésus, sans parler de sa Résurrection ; car celle-ci pour l’instant est restée confidentielle. Ces gens venus de partout n’ont probablement jamais entendu parler d’un certain Jésus de Nazareth. Cette année-là est comme toutes les autres, cette fête de Pentecôte sera comme toutes les autres. Mais déjà, ce n’est pas rien ! On vient à Jérusalem dans la ferveur, la foi, l’enthousiasme d’un pèlerinage pour renouveler l’Alliance avec Dieu.
Pour les disciples, bien sûr, cette fête de Pentecôte, cinquante jours après la Pâque de Jésus, celui qu’ils ont vu entendu, touché… après sa Résurrection… cette Pentecôte ne ressemble à aucune autre ; pour eux plus rien n’est comme avant… Ce qui ne veut pas dire qu’ils s’attendent à ce qui va se passer !
Pour bien nous faire comprendre ce qui se passe, Luc nous le raconte ici, dans des termes qu’il a de toute évidence choisis très soigneusement pour évoquer au moins trois textes de l’Ancien Testament : ces trois textes, ce sont premièrement le don de la Loi au Sinaï ; deuxièmement une parole du prophète Joël ; troisièmement l’épisode de la tour de Babel.
Commençons par le Sinaï : les langues de feu de la Pentecôte, le bruit « pareil à celui d’un violent coup de vent » suggèrent que nous sommes ici dans la ligne de ce qui s’était passé au Sinaï, quand Dieu avait donné les tables de la Loi à Moïse ; on trouve cela au livre de l’Exode : « Le troisième jour, quand vint le matin, il y eut des voix, des éclairs, une nuée pesant sur la montagne et la voix d’un cor très puissant ; dans le camp, tout le peuple trembla. Moïse fit sortir le peuple à la rencontre de Dieu hors du camp, et ils se tinrent tout en bas de la montagne. La montagne du Sinaï n’était que fumée, parce que le SEIGNEUR y était descendu dans le feu ; sa fumée monta comme le feu d’une fournaise, et toute la montagne trembla violemment … Moïse parlait et Dieu lui répondait par la voix du tonnerre ». (Ex 19,16-19).
(Et on racontait que lorsque Dieu avait donné la loi, il y avait des lampes de feu qui traversaient l’espace.)
En s’inscrivant dans la ligne de l’événement du Sinaï, Saint Luc veut nous faire comprendre que cette Pentecôte, cette année-là, est beaucoup plus qu’un pèlerinage traditionnel : c’est un nouveau Sinaï. Comme Dieu avait donné sa Loi à son peuple pour lui enseigner à vivre dans l’Alliance, désormais Dieu donne son propre Esprit à son peuple… Désormais la Loi de Dieu (qui est le seul moyen de vivre vraiment libres et heureux, il ne faut pas l’oublier) désormais cette Loi de Dieu est écrite non plus sur des tables de pierre mais sur des tables de chair, sur le coeur de l’homme, pour reprendre une image d’Ezéchiel.2
Deuxièmement, Luc a très certainement voulu évoquer une parole du prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur toute chair », dit Dieu (Jl 3, 1 ; « toute chair » c’est-à-dire tout être humain). Aux yeux de Luc, ces « Juifs fervents, issus de toutes les nations qui sont sous le ciel » comme il les appelle, symbolisent l’humanité entière pour laquelle s’accomplit enfin la prophétie de Joël. Cela veut dire que le fameux « Jour de Dieu » tant attendu est arrivé !
Troisièmement, l’épisode de Babel : vous vous souvenez de l’histoire de Babel : en la simplifiant beaucoup, on peut la raconter comme une pièce en deux actes : Acte 1, tous les hommes parlaient la même langue : ils avaient le même langage et les mêmes mots. Ils décident d’entreprendre une grande oeuvre qui mobilisera toutes leurs énergies : la construction d’une tour immense… Acte 2, Dieu intervient pour mettre le holà : il les disperse à la surface de la terre et brouille leurs langues. Désormais les hommes ne se comprendront plus… Nous nous demandons souvent ce qu’il faut en conclure ?… Si on veut bien ne pas faire de procès d’intention à Dieu, impossible d’imaginer qu’il ait agi pour autre chose que pour notre bonheur… Donc, si Dieu intervient, c’est pour épargner à l’humanité une fausse piste : la piste de la pensée unique, du projet unique ; quelque chose comme « mes petits enfants, vous recherchez l’unité, c’est bien ; mais ne vous trompez pas de chemin : l’unité n’est pas dans l’uniformité ! La véritable unité de l’amour ne peut se trouver que dans la diversité ».
Le récit de la Pentecôte chez Luc s’inscrit bien dans la ligne de Babel : à Babel, l’humanité apprend la diversité, à la Pentecôte, elle apprend l’unité dans la diversité : désormais toutes les nations qui sont sous le ciel entendent proclamer dans leurs diverses langues l’unique message : les merveilles de Dieu.
————————
Note
1 – La première lecture et le psaume sont communs aux fêtes de la Pentecôte des trois années liturgiques. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.
2 – « Je vous donnerai un cœur neuf et je mettrai en vous un esprit neuf ; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre esprit, je vous ferai marcher selon mes lois, garder et pratiquer mes coutumes…vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». (Ez 36,26…28).

PSAUME – 103 (104), 1.24, 29-30, 31.34
1 Bénis le SEIGNEUR, ô mon âme ;
SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand !
24 Quelle profusion dans tes oeuvres, SEIGNEUR !
La terre s’emplit de tes biens.
29 Tu reprends leur souffle, ils expirent
et retournent à leur poussière.
30 Tu envoies ton souffle ; ils sont créés ;
tu renouvelles la face de la terre.
31 Gloire au SEIGNEUR à tout jamais !
Que Dieu se réjouisse en ses oeuvres !
34 Que mon poème lui soit agréable ;
moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR.

Il faudrait pouvoir lire ce psaume en entier ! Trente-six versets de louange pure, d’émerveillement devant les oeuvres de Dieu J’ai dit des « versets », parce que c’est le mot habituel pour les psaumes, mais j’aurais dû dire trente-six « vers » car il s’agit en réalité d’un poème superbe.
On n’est pas surpris qu’il nous soit proposé pour la fête de la Pentecôte puisque Luc, dans le livre des Actes, nous raconte que le matin de la Pentecôte, les Apôtres, remplis de l’Esprit-Saint se sont mis à proclamer dans toutes les langues les merveilles de Dieu.
Vous me direz : pour s’émerveiller devant la Création, il n’y a pas besoin d’avoir la foi ! C’est vrai, et on trouve certainement dans toutes les civilisations des poèmes magnifiques sur les beautés de la nature. En particulier on a retrouvé en Egypte sur le tombeau d’un Pharaon un poème écrit par le célèbre Pharaon Akh-en-Aton (Aménophis IV) : il s’agit d’une hymne au Dieu-Soleil : Aménophis IV a vécu vers 1350 av. J.C. , à une époque où les Hébreux étaient probablement en Egypte ; ils ont peut-être connu ce poème.
Entre le poème du Pharaon et le psaume 103/104 il y a des similitudes de style et de vocabulaire, c’est évident : le langage de l’émerveillement est le même sous toutes les latitudes ! Mais ce qui est très intéressant, ce sont les différences : elles sont la trace de la Révélation qui a été faite au peuple de l’Alliance.
La première différence, et elle est essentielle pour la foi d’Israël, Dieu seul est Dieu ; il n’y a pas d’autre Dieu que lui ; et donc le soleil n’est pas un dieu ! Nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer au sujet du récit de la Création dans la Genèse : la Bible prend grand soin de remettre le soleil et la lune à leurs places, ils ne sont pas des dieux, ils sont uniquement des luminaires, c’est tout. Et ils sont des créatures, eux aussi : un des versets du psaume le dit clairement « Toi, Dieu, tu fis la lune qui marque les temps et le soleil qui connaît l’heure de son coucher ». Je ne vais pas en parler longtemps car il s’agit de versets qui n’ont pas été retenus pour la fête de la Pentecôte, mais plusieurs versets présentent bien Dieu comme le seul maître de la Création ; le poète emploie pour lui tout un vocabulaire royal : Dieu est présenté comme un roi magnifique, majestueux et victorieux. Par exemple, le mot « grand » que nous avons entendu est un mot employé pour dire la victoire du roi à la guerre. Manière bien humaine, évidemment, pour dire la maîtrise de Dieu sur tous les éléments du ciel, de la terre et de la mer.
Deuxième particularité de la Bible : la Création n’est que bonne ; on a là un écho de ce fameux poème de la Genèse qui répète inlassablement comme un refrain « Et Dieu vit que cela était bon ! »… Le psaume 103/104 évoque tous les éléments de la Création, avec le même émerveillement : « Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR » et le psalmiste ajoute (un verset que nous n’entendons pas ce dimanche) : « Je veux chanter au SEIGNEUR tant que je vis, jouer pour mon Dieu tant que je dure… »
Pour autant le mal n’est pas ignoré : la fin du psaume l’évoque clairement et souhaite sa disparition : mais les hommes de l’Ancien Testament avaient compris que le mal n’est pas l’oeuvre de Dieu, puisque la Création tout entière est bonne. Et on sait qu’un jour Dieu fera disparaître tout mal de la terre : le roi victorieux des éléments vaincra finalement tout ce qui entrave le bonheur de l’homme.
Troisième particularité de la foi d’Israël : la Création n’est pas un acte du passé : comme si Dieu avait lancé la terre et les humains dans l’espace, une fois pour toutes. Elle est une relation persistante entre le Créateur et ses créatures ; quand nous disons dans le Credo « Je crois en Dieu tout-puissant, créateur du ciel et de la terre », nous n’affirmons pas seulement notre foi en un acte initial de Dieu, mais nous nous reconnaissons en relation de dépendance à son égard : le psaume ici dit très bien la permanence de l’action de Dieu : « Tous comptent sur toi… Tu caches ton visage, ils s’épouvantent ; tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle, ils sont créés ; tu renouvelles la face de la terre ».
Autre particularité, encore, de la foi d’Israël, autre marque de la révélation faite à ce peuple : au sommet de la Création, il y a l’homme ; créé pour être le roi de la Création, il est rempli du souffle même de Dieu ; il fallait bien une révélation pour que l’humanité ose penser une chose pareille ! Et c’est bien ce que nous célébrons à la Pentecôte : cet Esprit de Dieu qui est en nous vibre en sa présence : il entre en résonance avec lui. Et c’est pour cela que le psalmiste peut dire : « Que Dieu se réjouisse en ses oeuvres ! … Moi, je me réjouis dans le SEIGNEUR ».
Enfin, et c’est très important : on sait bien qu’en Israël toute réflexion sur la Création s’inscrit dans la perspective de l’Alliance : Israël a d’abord expérimenté l’oeuvre de libération de Dieu et seulement ensuite a médité la Création à la lumière de cette expérience. Dans ce psaume précis, on en a des traces :
D’abord le nom de Dieu employé ici est le fameux nom en quatre lettres, YHVH, que nous traduisons SEIGNEUR, qui est la révélation précisément du Dieu de l’Alliance.
Ensuite, vous avez entendu tout à l’heure l’expression « SEIGNEUR mon Dieu, tu es si grand ! » L’expression « mon Dieu » avec le possessif est toujours un rappel de l’Alliance puisque le projet de Dieu dans cette Alliance était précisément dit dans la formule « Vous serez mon peuple et je serai votre Dieu ». Cette promesse-là, c’est dans le don de l’Esprit « à toute chair », comme dit le prophète Joël qu’elle s’accomplit. Désormais, tout homme est invité à recevoir le don de l’Esprit pour devenir vraiment fils de Dieu.
————————-
Note
1 – La première lecture et le psaume sont communs aux fêtes de la Pentecôte des trois années liturgiques. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.

DEUXIEME LECTURE – Première lettre de Paul aux Corinthiens 12, 3b-7. 12-13
Frères,
3 personne n’est capable de dire :
« Jésus est Seigneur »
sinon dans l’Esprit Saint.
4 Les dons de la grâce sont variés,
mais c’est le même Esprit.
5 Les services sont variés,
mais c’est le même Seigneur.
6 Les activités sont variées,
mais c’est le même Dieu
qui agit en tout et en tous.
7 À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit
en vue du bien.
12 Prenons une comparaison :
le corps ne fait qu’un,
il a pourtant plusieurs membres ;
et tous les membres, malgré leur nombre,
ne forment qu’un seul corps.
Il en est ainsi pour le Christ.
13 C’est dans un unique Esprit, en effet,
que nous tous, Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres,
nous avons été baptisés pour former un seul corps.
Tous, nous avons été désaltérés par un unique Esprit.

Paul nous donne ici une définition de l’Eglise : c’est le lieu où « chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien. » Voilà pourquoi nous sommes faits : manifester l’Esprit Saint, et non pas pour notre propre fierté, mais en vue du bien de tous. Et c’est un don gratuit qui est fait à chacun d’entre nous.
Comme tous les membres d’un même corps sont au service de ce corps, sans que personne ne se demande lequel est le plus utile, de la main ou du pied, de l’oreille ou de l’oeil, de même nous sommes tous indispensables à ce grand corps du Christ qui est en train de se former. Pour l’instant, l’oeuvre définitive ressemble plutôt à une immense mosaïque dont les pièces sont encore éparpillées, mais c’est justement l’Esprit qui fait l’unité et la cohésion de l’ensemble, et qui relie entre elles les multiples pièces répandues à la surface du globe.
Si, partout dans le monde, des communautés vivent à la manière dont parle Saint Paul, alors cela fera tache d’huile et la mosaïque s’assemblera peu à peu. Car la vie des communautés chrétiennes à la manière de Saint Paul est pour le moins révolutionnaire : d’un trait de plume, il barre toute considération de hiérarchie ou de supériorité !!! Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres, toutes nos distinctions bien humaines, tout cela ne compte plus : désormais une seule chose compte : notre Baptême dans l’unique Esprit, notre participation à ce corps unique, le corps du Christ. Les vues humaines ne sont plus de mise : finies les considérations de supériorité ou d’infériorité… Tout racisme est désormais impossible.
Paul avait certainement de bonnes raisons de le rappeler à ses Chrétiens d’origines si diverses : « Juifs ou païens, esclaves ou hommes libres »… dit-il. Juifs ou païens, ce sont tous les problèmes de diversités de sensibilités religieuses, sans parler de la difficulté des croyants de longue date à accepter les nouveaux venus. Mettre Juifs et païens sur le même plan au niveau religieux, quand on sait le poids que pouvait revêtir l’élection d’Israël aux yeux de Paul, c’était quand même bien audacieux ! Esclaves ou hommes libres, ce sont les diversités sociales, peut-être même raciales, certainement des clivages politiques et inévitablement pour certains des sentiments de supériorité.
Bien sûr, les problèmes de la communauté de Corinthe n’étaient pas tout à fait les nôtres… Mais sommes-nous tellement loin de cela ? Si elles ne portent plus les mêmes noms, nos diversités de toute sorte sont bien à l’origine de nombreuses difficultés dans nos communautés. Pour certains d’entre nous, s’ajoute peut-être la difficulté de vivre sereinement et de trouver chacun notre juste place dans la structure qui s’est instaurée en vingt siècles de vie d’Eglise.
Et le premier message de Paul, aujourd’hui, c’est que l’Eglise du Christ a précisément pour vocation d’être ce lieu où l’on apprend à ne plus penser en termes de supériorité, de hiérarchie, d’avancement, d’honneur… Le lieu où une nomination n’est pas un avancement ou une rétrogradation… Le lieu où une ordination ne confère pas une supériorité… Car les vues de Dieu sont tout autres : « Vous le savez, disait Jésus à ses apôtres, les chefs des nations les tiennent sous leur pouvoir et les grands sous leur domination. Il ne doit pas en être ainsi parmi vous. » (Mt 20,25-26).
Si on devait dessiner l’Eglise, ce ne serait pas une pyramide, mais une foule serrée autour de Quelqu’un. (Et au mot « Quelqu’un », j’ai mis une majuscule bien sûr). Saint Paul aussi dessine, mais lui il dessine tout simplement un corps humain : tous les baptisés, petits ou grands, nous en sommes les membres. Et ceux, parmi nous, qui sont ordonnés, ont justement ce rôle d’être le signe visible de la présence invisible du Christ dans son corps. Cela ne leur confère pas une supériorité, mais une mission.
Nous ne sommes pas tous pareils pour autant : l’âge et le curriculum vitae ont quand même leur importance… mais pas celle qu’on croit. Et voilà le deuxième message de Paul : nos diversités sont des cadeaux ; ce n’est pas un hasard si il emploie plusieurs fois le mot « don » : « Les dons de la grâce sont variés »… « Chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien de tous ». Cela aussi, c’est un peu le monde à l’envers, parce que, bien souvent, ce sont nos diversités qui nous font souffrir ; on en sait quelque chose en liturgie ; Paul, au contraire, nous invite à nous en réjouir : nos diversités sont des richesses ! Et, paradoxalement, ce sont elles qui bâtiront notre unité. C’est l’un des grands messages de la Pentecôte, nous l’avons vu, en particulier, avec le récit des Actes des Apôtres où toutes les langues diverses s’unissent pour chanter le même chant, les merveilles de Dieu. L’Eglise est aussi ce lieu où l’on peut surmonter les différences de sensibilité et apprendre à vivre la réconciliation. Car l’Esprit qui nous est donné à la Pentecôte est l’Esprit d’amour, donc de pardon et de réconciliation. C’est même justement notre capacité de réconciliation et de respect mutuel qui est la marque de l’Esprit. Voilà le témoignage que le monde attend de nous. « C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra pour mes disciples » disait Jésus le dernier soir (Jn 13,35).
Décidément, si nous avions à imaginer un dessin représentant l’Eglise, on pourrait dessiner une mosaïque : (chaque pièce compte et il ne faut surtout pas des pièces trop grandes !) plus les pièces (ce qu’on appelle les tesselles) sont petites, variées, colorées, plus la mosaïque sera belle et nuancée !
L’unité dans la diversité, c’est un beau pari : mais nous ne pouvons le gagner que parce que l’Esprit nous est donné : l’Esprit d’Amour, l’Amour qui unit le Père et le Fils. C’était déjà la leçon de Babel : l’unité n’est pas dans l’uniformité ! La véritable unité de l’amour ne peut se trouver que dans la diversité.

EVANGILE – selon Saint Jean 20,19-23
C’était après la mort de Jésus :
19 le soir venu, en ce premier jour de la semaine,
alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples
étaient verrouillées par crainte des Juifs,
Jésus vint, et il était là au milieu d’eux.
Il leur dit :
« La paix soit avec vous ! »
20 Après cette parole, il leur montra ses mains et son côté.
Les disciples furent remplis de joie
en voyant le Seigneur.
21 Jésus leur dit de nouveau :
« La paix soit avec vous !
De même que le Père m’a envoyé,
moi aussi, je vous envoie. »
22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux
et il leur dit :
« Recevez l’Esprit Saint.
23 À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ;
à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »

Pour transmettre l’Esprit Saint à ses disciples, Jésus souffle sur eux ; cela nous fait penser à la phrase célèbre du livre de la Genèse, au chapitre 2 : « Le Seigneur Dieu insuffla dans les narines de l’homme l’haleine de vie et l’homme devint un être vivant » (Gn 2,7). Et le psaume 103/104 (que nous entendons également pour cette fête de Pentecôte), commente le texte de la Création en chantant : « Tu envoies ton souffle, ils sont créés. » Or, nous sommes au soir de Pâques et Jésus reprend ce geste du Créateur. On comprend pourquoi Saint Jean note : « C’était le soir du premier jour de la semaine », manière de dire c’est le premier jour de la nouvelle création ; dans le Judaïsme, on évoquait souvent la première création que Dieu avait accomplie en sept jours, comme le dit le fameux poème du chapitre 1 de la Genèse et on attendait le huitième jour, celui du Messie. A sa manière, imagée, Jean nous dit : ce fameux huitième jour est arrivé, c’est à une véritable re-création de l’homme que vous assistez.
Deuxième remarque à propos du souffle, il me semble que l’ordre choisi par Jean pour nous raconter la Pentecôte est une leçon : je reprends les trois phrases dans l’ordre : 1) « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie » …2) « Il répandit sur eux son souffle et il leur dit recevez l’Esprit Saint » … 3) « Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ». La première et la troisième phrase disent une mission, elles encadrent la phrase qui dit le don de l’Esprit. Ce qui veut bien dire que l’Esprit est donné POUR la mission. Nous n’avons pas d’autre raison d’être que cette mission.
Et cette mission consiste à « remettre les péchés » ; c’était déjà celle de Jésus ; et il dit bien d’ailleurs : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ». Jésus, l’envoyé du Père, c’est un grand thème de Jean… A notre tour, Jésus nous envoie et Jean emploie bien le même mot ; Jésus est l’envoyé du Père et nous sommes les envoyés de Jésus, nous avons la même mission que Jésus, il nous la confie. C’est dire notre responsabilité, la confiance qui nous est faite ; or cela concerne tous les baptisés puisque l’Eglise a toujours jugé bon de confirmer tous les baptisés.
Et cette mission de Jésus, pour s’en tenir au seul évangile de Jean, c’était d’ôter le péché du monde, j’ai envie de dire « extirper » le péché du monde ; et cela en étant l’agneau de Dieu. « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » avait dit Jean-Baptiste. L’agneau, c’est celui qui reste doux et humble de coeur face à ses bourreaux (c’est celui dont parle Isaïe 52-53) ; c’est aussi l’agneau pascal, celui qui signe de sa vie la libération du peuple de Dieu. Et au-delà de la libération d’Egypte, la phrase de Jean-Baptiste vise la libération du péché, c’est-à-dire de la haine et de la violence.
Jésus lui-même parle souvent de sa mission : « Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui »… « Dieu a donné son Fils, son unique pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle ».
Il me semble que toutes ces affirmations de Jésus sur sa mission éclairent la phrase difficile du texte d’aujourd’hui : « Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, ils lui seront maintenus ». La première partie de cette phrase nous convient tout à fait, bien sûr, mais la deuxième nous déroute. Pour commencer, je la redis un peu différemment, sans la déformer, j’espère : « Tout homme à qui vous remettrez ses péchés, ils lui seront remis ; tout homme à qui vous ne remettrez pas ses péchés, ils ne lui seront pas remis ».
Impossible de penser que notre Père du ciel pourrait ne pas nous pardonner. Déjà l’Ancien Testament avait parfaitement mis en lumière que le pardon de Dieu précède même notre repentir ; car en Dieu le pardon n’est pas un acte ponctuel, c’est son être même. Dieu n’est que don et pardon. La caractéristique de la miséricorde, c’est de se pencher encore plus près des miséreux, et miséreux, nous le sommes.
Le pouvoir donné aux disciples du Christ, et plus que le pouvoir, la mission, confiée aux disciples du Christ, c’est donc de dire cette parole du pardon de Dieu ; c’est aussi, du coup, la terrible responsabilité que nous donne la deuxième partie de la phrase : ne pas dire la parole du pardon de Dieu, laisser le monde ignorer ce pardon, c’est laisser le monde à son désespoir. Nous détenons le pouvoir de ne pas dire le pardon de Dieu et de laisser le monde l’ignorer.
A entendre cela, on a envie de se mettre au travail tout de suite !
Et le pardon de Dieu peut être annoncé de deux manières : par nos paroles et par nos gestes ; ce qui nous est demandé, c’est d’être nous-mêmes pardon. Nous sommes désormais pour le monde les témoins du pardon de Dieu.
Et c’est cela la nouvelle Création : l’Esprit de don et de pardon nous est donné. A la Pentecôte, le pouvoir de pardonner nous est insufflé ; Dieu souffle en nous les paroles du pardon. Au théâtre, il y a un souffleur pour les trous de mémoire de l’acteur… Désormais il y a en nous quelqu’un qui souffle les paroles et les gestes du pardon. L’Esprit fait de nous des agneaux de Dieu à notre tour, il nous donne ainsi le pouvoir de vaincre la spirale de la haine et de la violence. Jésus l’avait déjà dit à ses disciples : « Je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups ». Comme son Père l’a envoyé pour être l’agneau de Dieu, Jésus nous envoie à notre tour pour être des agneaux dans le monde. Pour répondre à la violence et à la haine par la non-violence et le pardon.
Jusqu’au jour où se lèvera enfin ce fameux « huitième jour » que l’Ancien Testament déjà annonçait, celui où l’humanité tout entière vivra l’amour et le pardon…

Homélie du dimanche 28 mai 2023

Dimanche 28 mai 2023
Célébration de la Pentecôte

La venue de l’Esprit-Saint
Références bibliques :
Lecture des Actes des Apôtres. 2. 1 à 11 : « Nous entendons dans nos langues proclamer les merveilles de Dieu. »
Psaume 103 : « Tu envoies ton souffle. Ils sont créés; tu renouvelles la face de la terre. »
Première lettre de saint Paul aux Corinthiens : 12. 3 à 13 : « Les dons de la grâce sont variés, mais c’est toujours le même Esprit. »
Evangile selon saint Jean : 20. 19 à 23 :  » Il répandit sur eux son souffle et il leur dit : recevez l’Esprit-Saint. »
***
UN ACHEVEMENT ET UN DEBUT
Il n’y a aucune discontinuité entre le Christ-Seigneur de la Transfiguration et l’Esprit de feu qui vient sur les apôtres au matin de la Pentecôte.
La différence est que ce jour-là, l’Esprit descendit « avec puissance ». Les Actes nous disent que depuis plusieurs jours, ils étaient réunis en prière. Nul doute qu’ensemble ils aient évoqué avec la Vierge Marie, les événements, les paroles et les gestes du Christ Jésus durant les trois années qu’ils ont passées avec lui.
Ensemble, ils échangent, approfondissent, renouvellent le message vécu au quotidien et dont, sur le moment, ils n’avaient pas saisi toute la portée.
A la lumière de la Résurrection, ils relisent tout cela. Avec leurs caractères, avec leur expérience de la vie qui était la leur avant le Christ insère sa vie divine dans la leur, de leur enfance, à l’adolescence,de la virilité.
« Le jour de la Pentecôte étant arrivé… » c’est à la fois un achèvement et un début. Une voie nouvelle s’ouvre devant eux et ils s’y étaient préparés.
Nous aussi nous ne pouvons entrer dans la Pentecôte à l’improviste. Il nous faut comme eux durant cinquante jours avoir assimilé toute la substance spirituelle de cette période pascale. Il nous faut avoir eu l’expérience du Christ ressuscité.
UNIS A LA FOI DE TOUTE L’EGLISE
‘Ils se trouvaient tous ensemble… unis dans la prière ». C’était l’Eglise naissante. Ils priaient tous ensemble et ils trouvent les conditions nécessaires à la réception du Saint-Esprit…. Il y a 50 ans que tout s’est changé par cette résurection du Seigneur.
Il nous faut, à certains moments, nous retirer et nous enclore dans la chambre haute de notre âme. Mais nous ne pouvons les vivre séparés du Corps qu’est l’Eglise.
« Les fonctions… les activités … les dons sont variés. C’est toujours le même Dieu qui agit en tous. Nous avons été baptisés dans l’unique Esprit pour former un seul corps » (Saint Paul aux Corinthiens. 12. 13) Qui veut ignorer l’autorité des apôtres ou se passer de la présence maternelle de Marie ne peut recevoir l’Esprit-Saint dans la vérité.
CHACUN D’EUX LES ENTENDAIT DANS SA LANGUE.
La Pentecôte rétablit l’unité du langage et de la compréhension. L’orgueil des hommes les avait divisé aux jours de la tour de Babel. L’humble disponibilté nous met à l’écoute de Dieu et chacun peut entendre cette unique Parole.
Le langage de l’Esprit – du moins dans son sens intérieur – est aujourd’hui encore accessible à tous les hommes, à toutes les races, à toutes les nations. Le même Esprit transmet un message universel que chaque âme reconnaît cependant comme le sien propre.
Différent selon les révélations et les Sagesses que nos limites humaines ont découvert.
Mais l’Esprit de Dieu est à l’œuvre « en tout homme qui le cherche avec droiture » selon la prière eucharistique. Mais ce langage n’est pas le nôtre. Il est  » selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer… »
Il nous faut là souligner l’importance de cette parole donnée par l’Esprit. Un danger serait de la recevoir comme si c’était notre bien propre, et la transmettre comme si elle émanait de nous. La Parole est donnée à l’Eglise pour tous les temps.
Nous n’avons donc pas à nous approprier nos charismes, ni à interpréter cette Parole hors de l’Eglise. C’est elle qui est l’assurance de la fidélité à la pensée de Dieu, lui seul est charismatique, lui seul est la Vérité. C’est à cette condition que la Parole « donnée » gardera sa valeur d’universel.
ASSOCIES AUX LITURGIES QUOTIDIENNES
Nous sommes associés à cet Esprit par les Pentecôtes déjà nombreuses auxquelles, chaque année, nous nous sommes liturgiquement associés.
Mais à nous de ne jamais cesser de vivre et de transmettre dans l’Esprit, l’exigence missionnaire du Seigneur : »Vous serez mes témoins… »
C’est dans cette perspective que nous devons entendre les textes des prières eucharistiques quotidiennes, les entendre et leur donner toute leur résonance spirituelle :
– Prière eucharistique 2 : »Que nous soyons rassemblés par l’Esprit-Saint en un seul corps. » pas seulement nous les fidèles, mais l’Eglise qui est corps du Christ.
– Prière eucharistique 3 : « C’est toi qui donnes la vie, c’est toi qui sanctifie toutes choses par ton Fils Jésus-Christ notre Seigneur … avec la puissance de l’Esprit-Saint. » – « Remplis de l’Esprit-Saint, accordes-nous d’être un seul corps et un seul esprit dans le Christ. »
– Prière eucharistique 4 : « Il a envoyé d’auprès de toi, comme premier don fait aux croyants, l’Esprit qui poursuit son oeuvre dans le monde et achève toute sanctification. » –
« Rassemblés par l’Esprit-Saint en un seul corps pour qu’il soient eux-mêmes dans le Christ une vivante offrande à la louage de ta Gloire. » La liturgie rénovée par Vatican II redonne à l’Esprit-Saint son œuvre de consécration. Ce n’est pas le souffle des mots prononcés par le prêtre célébrant qui donne présence au Corps et au Sang du Christ.
C’est l’Esprit-Saint lui-même à qui le prêtre demande d’être le consécrateur, le Sanctificateur.
***
Puissions-nous, par-delà la répétition de ces prières, ne jamais les entendre d’une manière indifférente. Elles devraient au contraire nous laisser dans un long silence de contemplation, d’admiration, d’adoration, selon la salutation qui ouvre chaque liturgie : »La grâce de Jésus notre Seigneur, l’amour de Dieu le Père et la communion de l’Esprit-Saint soient toujours avec vous. »

Commentaires du dimanche 21 mai

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
dimanche 21 mai 2023
7éme dimanche de Pâques

1ère lecture
Psaume
2ème lecture
Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 1, 12 – 14
Les Apôtres, après avoir vu Jésus s’en aller vers le ciel,
12 retournèrent à Jérusalem
depuis le lieu-dit « mont des Oliviers » qui en est proche,
– la distance de marche ne dépasse pas
ce qui est permis le jour du sabbat.
13 À leur arrivée, ils montèrent dans la chambre haute
où ils se tenaient habituellement ;
c’était Pierre, Jean, Jacques et André,
Philippe et Thomas, Barthélemy et Matthieu,
Jacques fils d’Alphée, Simon le Zélote, et Jude fils de Jacques.
14 Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière,
avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus,
et avec ses frères.

Jésus vient tout juste de quitter ses disciples : la première phrase de notre texte d’aujourd’hui résume en quelques mots ce qui fut certainement une étape cruciale de la vie des premiers Chrétiens. Nous l’appelons l’Ascension et nous en avons fait une fête ; mais, à l’origine, n’est-ce pas plutôt un jour de deuil, un jour de grand départ ?
Après l’horreur de la Passion et de la mort de Jésus, après l’éblouissement de la Résurrection, les voilà orphelins, cette fois, et pour toujours. Mais, du coup, les voici plus proches de nous et leur attitude pourrait guider la nôtre. Nous allons donc nous intéresser de très près à leurs faits et gestes.
Jésus leur avait laissé des consignes : ne pas quitter Jérusalem, et attendre là le don de l’Esprit-Saint. Voici le récit qu’en donne le livre des actes des Apôtres : « Au cours d’un repas avec eux, il leur recommanda de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre la promesse du Père, celle, dit-il, que vous avez entendue de ma bouche : Jean (Baptiste) a bien donné le baptême d’eau, mais vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici quelques jours. » (Ac 1, 4-5).
Et, le jour même de son départ, sur le Mont des Oliviers, il a répété : « Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. » Je retiens, au passage, cette expression « la puissance de l’Esprit », elle devrait nous rassurer en toutes circonstances. Et Luc raconte ce qui s’est passé ensuite : « A ces mots, sous leurs yeux, il s’éleva, et une nuée vint le soustraire à leurs regards. »
Evidemment, ils ont respecté la consigne de leur Maître. Nous ne nous étonnons donc pas de les retrouver aussitôt après à Jérusalem ; Luc note que le mont des Oliviers est tout proche de Jérusalem : la distance n’excède pas ce qu’on appelle un « chemin de shabbat », c’est-à-dire la distance maximum que l’on peut parcourir sans violer la prescription de repos du shabbat ; c’était un peu moins d’un kilomètre ; pour être plus précis, le « chemin de shabbat » était de deux mille coudées ; et une coudée, comme son nom l’indique, c’est la longueur de l’avant-bras, soit à peu près cinquante centimètres.
Mais pourquoi Luc donne-t-il cette précision ? Faut-il en déduire que c’était un jour de sabbat ? Ou bien, en insistant sur la proximité du Mont des Oliviers, Luc veut-il suggérer que tout se passe à Jérusalem ? C’est là que s’accomplit le dessein de Dieu : là le Fils a été glorifié, là a été renouée l’Alliance entre Dieu et l’humanité, là sera donné l’Esprit.
C’est dans la ville sainte, donc, que commence la vie de l’Eglise naissante ; et Luc énumère ceux qui composent le groupe : les Onze, quelques femmes, dont Marie, la mère de Jésus et quelques frères, c’est-à-dire des disciples probablement. Là encore, les précisions ne sont certainement pas là pour l’anecdote ; nous connaissions déjà les noms des apôtres par l’évangile de Luc ; s’il nous en redonne la liste, ce n’est donc pas pour nous instruire ! Luc veut marquer la continuité dans la communauté des apôtres : ce sont les mêmes qui ont accompagné Jésus tout au long de sa vie terrestre, qui maintenant s’engagent dans la mission. Et ils ne pourront être les témoins de la Résurrection que parce qu’ils ont été témoins de la vie, de la Passion et de la mort de Jésus.
Nous retrouvons donc là le groupe que Jésus avait choisi avec ses diversités étonnantes : Pierre, Jacques, Jean et André étaient pêcheurs au bord du lac de Tibériade ; Simon était zélote : à l’époque de la vie terrestre de Jésus, cela ne représentait pas encore un engagement politique, mais c’était quand même déjà un signe de fanatisme religieux ; on se demande comment il pouvait voisiner avec Matthieu le publicain : c’est-à-dire percepteur à la solde de l’occupant, et, pour cette raison interdit de culte ! Non seulement, Jésus a réussi à les faire cohabiter autour de lui, mais, désormais, ils vont porter ensemble la responsabilité de continuer la mission de leur Maître.1
C’est sur cette communauté d’hommes tels qu’ils sont que repose désormais l’annonce de la Bonne Nouvelle. Je note deux choses :
Premièrement, leur groupe n’est pas refermé sur lui-même, il est déjà ouvert à d’autres, hommes et femmes. Deuxièmement, ils commencent cette vie de l’Eglise dans la prière, « d’un seul coeur et fidèlement », nous dit Luc. Et voilà peut-être bien le premier miracle des apôtres ! Cette prière d’un seul coeur au moment où leur Maître les quitte, où ils se retrouvent apparemment livrés à eux-mêmes et à leurs diversités qui auraient bien pu devenir des divergences.
Mais ils ne sont livrés à eux-mêmes qu’apparemment ! Jésus est désormais invisible, il n’est pas pour autant absent. Matthieu, dans son évangile, a retenu l’une des dernières phrases de Jésus : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps ».
Les apôtres ne prient donc pas pour obtenir que Jésus se fasse proche : sa présence leur est acquise ; ils prient pour se replonger dans sa présence. Ce récit des Actes devient alors pour nous une formidable leçon d’espoir : Jésus est avec nous tous les jours, sa présence nous est acquise, à nous aussi, et la puissance de l’Esprit Saint nous accompagne. Voilà de quoi nous donner toutes les audaces !
————————-
Note
1 – La tradition Chrétienne a assimilé Barthélémy avec Nathanaël (cité par saint Jean) qui était un spécialiste de la Loi. Si c’était le cas, c’était encore une diversité supplémentaire à l’intérieur du groupe des Douze.

PSAUME – 26 ( 27 ), 1, 4, 7-8
1 Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?
4 J’ai demandé une chose au SEIGNEUR,
la seule que je cherche :
habiter la maison du SEIGNEUR
tous les jours de ma vie,
pour admirer le Seigneur dans sa beauté
et m’attacher à son temple.
7 Ecoute, SEIGNEUR, je t’appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
8 Mon coeur m’a redit ta parole :
« Cherchez ma face ».

Ce psaume est fait tout particulièrement pour ceux qui traversent des temps difficiles ! On sait bien que les croyants ne sont pas plus épargnés que les autres par les épreuves de la vie : la foi n’est pas une baguette magique. Parfois même, les croyants souffrent à cause de leur foi ; c’est le cas dans toutes les guerres de religion ou les persécutions. Cela peut venir aussi de l’hostilité des athées et des difficultés à défendre les valeurs Chrétiennes dans un monde qui ne les partage pas. Nous en aurons l’exemple dans la lettre de saint Pierre qui est notre deuxième lecture de ce dimanche.
Mais, dans les épreuves, les croyants ont une attitude particulière, car ils savent qu’ils ne sont pas seuls, abandonnés à leur triste sort, comme on dit. Ils savent qu’ils ont un interlocuteur : « C’est vers Dieu que pleurent mes yeux », disait Job (Jb 16, 20). Et ils vont chercher la force là où elle se trouve, c’est-à-dire en Dieu. « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte ? »
Nous ne saurons pas à quelles épreuves précises fait allusion ce psaume ; entre parenthèses, il est beaucoup plus long que les quelques versets que nous avons lus ici, mais cela ne nous donne aucune indication historique. Nous sentons ici ou là une allusion à des attaques extérieures : « Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie ; devant qui tremblerais-je ? » Depuis la grande aventure de l’Exode, le peuple d’Israël a été à plusieurs reprises menacé dans sa vie même ; le premier verset « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut » est probablement aussi une allusion à l’Exode, sous la conduite de Moïse : car, dans le désert du Sinaï, la colonne de nuée éclairait sa route et disait la présence de Dieu : « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut… »
Le salut, à cette époque-là, c’était d’échapper au Pharaon ; à chaque époque de nos histoires collectives et individuelles, le salut prend des formes diverses ; et Israël en a connu de toutes sortes que l’ensemble du psaume évoque par allusions ; par exemple, dire « Le SEIGNEUR est le rempart de ma vie », c’est faire remonter à la mémoire la longue période de guerres ; et on sait bien que le meilleur rempart ce ne sont pas des fortifications, avec des créneaux et des mâchicoulis, c’est la force que Dieu nous donne. « Si vous ne croyez pas, vous ne subsisterez pas », disait Isaïe au roi Achaz (Is 7, 9). La foi est la seule force qui nous permette de tout affronter ; « De qui aurais-je crainte ? » : cela veut bien dire que Dieu nous garde de toute peur. Et que nous n’avons pas peur de lui non plus.
Dans toutes les épreuves et les souffrances, le croyant sait qu’il peut crier vers Dieu : c’est même recommandé, si j’en crois la Bible ! Il ne faut pas écouter la phrase d’Alfred de Vigny qui a bercé l’enfance de certains d’entre nous : je vous la rappelle, mais c’est pour l’oublier aussi vite : « Gémir, pleurer, prier est également lâche ; accomplis chaque jour ta longue et lourde tâche, puis après, comme et moi, souffre et meurs sans parler. » C’est dans « La mort du loup ». La phrase est belle, mais elle n’est pas biblique ! Ce que la Bible nous apprend, et en particulier dans le livre de Job (si on lit soigneusement la partie centrale du livre), c’est que « Non, gémir, pleurer, prier, ce n’est pas lâche ! » C’est humain tout simplement. Mais c’est vers Dieu qu’il faut gémir, pleurer, prier.
« Ecoute, SEIGNEUR, je t’appelle », dit notre psaume : il y a une chose dont le peuple élu est sûr, c’est que Dieu entend nos cris d’appel ! Cela a été la grande révélation du Buisson ardent : « Le cri des fils d’Israël est venu jusqu’à moi » a dit Dieu à Moïse (Exode 3) ; depuis ce jour et pour toujours, Israël sait que Dieu entend le cri des malheureux. Et même s’il est silencieux, nous savons qu’il n’est pas sourd.
En dehors des épreuves extérieures, ce psaume évoque peut-être également l’épreuve spirituelle du peuple qui peine à garder la foi : « J’ai demandé une chose au SEIGNEUR, la seule que je cherche : c’est d’habiter la maison du SEIGNEUR tous les jours de ma vie » : comme le lévite, admis dans l’intimité du temple de Jérusalem, Israël demande la grâce de demeurer dans l’intimité de Dieu.
« Pitié, réponds-moi », c’est un cri de mendiant ; c’est aussi, peut-être, une demande de pardon ; car l’expression qui suit, « Cherchez ma face », est un appel à la conversion ; il faut se détourner des idoles et se tourner vers Dieu. Dès son installation dans la Terre Promise, le peuple a été affronté à un nouveau danger : celui de l’infidélité, c’est-à-dire l’idolâtrie ; alors, là encore, il faut tenir ferme, se rappeler les mises en garde de Moïse. « Mon coeur m’a redit ta parole : « Cherchez ma face ».
Mais là, il ne faut pas se tromper, il y a un contresens à ne pas faire ; quand Dieu dit « Cherchez ma face », ce n’est pas qu’il ait soif de nos hommages. Ce conseil nous est donné pour notre bonheur : nous sommes parfois tentés de penser que Dieu pourrait nous demander quelque chose dans son intérêt à lui. Mais Dieu nous aime. Tous les commandements qu’Il nous donne sont pour notre bonheur. Saint Augustin disait : « Tout ce que l’homme fait pour Dieu profite à l’homme et non à Dieu. »
Pour Dieu, le centre du monde, c’est l’humanité ; il n’a pas d’autre but que notre bonheur ; et nous, nous ne trouvons notre bonheur que quand nous mettons Dieu au centre de notre vie. Saint Augustin disait encore « Tu nous as faits pour Toi, Seigneur, et notre coeur est sans repos tant qu’il ne demeure en toi ».
————————-
Compléments
1 – Il est intéressant de faire le rapprochement entre ce psaume 26/27 et le cantique de Zacharie (le père de Jean-Baptiste ; Lc 1, 67-79) que beaucoup d’entre nous disent chaque matin dans la Liturgie des Heures :
« Béni soit le Seigneur, le Dieu d’Israël,
qui visite et rachète son peuple.
Il a fait surgir la force qui nous sauve dans la maison de David,
son serviteur,
Comme il l’avait dit par la bouche des saints,
par ses prophètes,
depuis les temps anciens ;
Salut qui nous arrache à l’ennemi,
à la main de tous nos oppresseurs,
Amour qu’il montre envers nos pères,
mémoire de son alliance sainte,
Serment juré à notre père Abraham, de nous rendre sans crainte,
Afin que, délivrés de la main de nos ennemis,
nous le servions dans la justice et la sainteté,
En sa présence tout au long de nos jours ».
2 – Il suffit d’entendre la première phrase « Le SEIGNEUR est ma lumière et mon salut », pour savoir que ce psaume est écrit dans une période difficile ; c’est la nuit qu’on a besoin de croire à la lumière.
Ce qui peut surprendre, c’est que quand le soleil disparaît, quelquefois pour des jours et des jours, derrière la pluie et les nuages, nous ne doutons jamais un seul instant qu’il continue d’exister… nous sommes absolument certains que les beaux jours reviendront, que nous sentirons de nouveau sa chaleur et son rayonnement… C’est même en plein hiver, sous la pluie, que les magasins proposent les vêtements d’été ; tout le monde sait que le soleil est toujours là, même s’il est provisoirement caché !
Mais quand la présence de Dieu est moins évidente, il nous est plus difficile de croire qu’Il ne cesse pas pour autant d’ être présent et agissant. C’est à ces moments-là que nous avons bien besoin de notre foi ; ce psaume est très certainement fait pour entretenir la foi dans un moment difficile. Affirmer « Le Seigneur est ma lumière et mon salut ; de qui aurais-je crainte », c’est avouer que la crainte me guette et qu’il faut s’accrocher à la certitude.
3 – On ne s’étonne pas que ce psaume soit proposé par le Rituel des Funérailles ; et d’ailleurs, le refrain que nous chantons le plus habituellement pour ce psaume, c’est « Ma lumière et mon salut, c’est le Seigneur, Alleluia » : c’est-à-dire le premier verset auquel on a ajouté « Alleluia » ; on ne pouvait pas mieux faire ; car le sens du mot « Alleluia », c’est justement « Le Seigneur est mon salut, il m’a relevé ». Le sens littéral, c’est « Louez Dieu », mais cela veut dire « Louez Dieu qui vous sauve. » Voici le sens de l’Alleluia dans la tradition juive : « Dieu nous a amenés de la servitude à la rédemption, de la tristesse à la joie, des ténèbres à la brillante lumière, du deuil au jour de fête, de la servitude à la liberté, c’est pourquoi chantons devant lui l’Alleluia ».

DEUXIEME LECTURE – première lettre de saint Pierre apôtre 4, 13-16
Bien-aimés,
13 dans la mesure où vous communiez aux souffrances du Christ,
réjouissez-vous,
afin d’être dans la joie et l’allégresse
quand sa gloire se révélera.
14 Si l’on vous insulte pour le nom du Christ,
heureux êtes-vous,
parce que l’Esprit de gloire, l’Esprit de Dieu,
repose sur vous.
15 Que personne d’entre vous, en effet,
n’ait à souffrir comme meurtrier, voleur, malfaiteur,
ou comme agitateur.
16 Mais si c’est comme chrétien,
qu’il n’ait pas de honte,
et qu’il rende gloire à Dieu pour ce nom-là.

Si Pierre emploie le mot « Chrétien », c’est parce qu’il écrit cette lettre longtemps déjà après la Résurrection du Christ.
Au tout début de l’Eglise, nous le savons par les Actes des Apôtres, les premiers disciples du Christ ne portaient pas encore ce nom ; ils étaient appelés « Nazôréens », à cause de Nazareth, bien sûr ; à vrai dire, de la part des Juifs qui refusaient de reconnaître en Jésus de Nazareth le Messie attendu par Israël, ce titre de Nazôréens était plutôt péjoratif. Un peu plus tard, au moment où Barnabé et Saül de Tarse (le futur saint Paul) accomplissaient leur mission à Antioche de Syrie, ce sont probablement des païens non convertis à l’Eglise chrétienne qui donnèrent aux disciples de Jésus le nom de Chrétiens, qui veut dire « du Christ, appartenant au Christ » (Ac 11, 26).
Ce nouveau titre de Chrétien n’était pas non plus honorifique ! Les païens non convertis voyaient d’un mauvais oeil le changement de vie radical qui s’opérait dans la communauté des baptisés. Voici ce que nous pouvons lire un peu plus tôt dans la lettre de Pierre : « Les païens trouvent étrange que vous ne couriez plus avec eux vers la même débauche effrénée et ils vous outragent. » (1 P 4, 4) ; « Ils vous calomnient comme malfaiteurs. » (1 P 2, 12).
Nous comprenons mieux, du coup, de quelles souffrances Pierre parle ici : « Si l’on fait souffrir l’un de vous… si c’est comme Chrétien, qu’il n’ait pas de honte »… « vous communiez aux souffrances du Christ ». Il entend par là la souffrance de l’incompréhension, de l’isolement, de la calomnie dont Jésus a été victime parce qu’il se démarquait de la classe dominante. Parce qu’il continuait à annoncer son message sans se laisser arrêter par quiconque… C’est cette fidélité qui lui a coûté la vie… A leur tour, les premiers Chrétiens sont affrontés à la même hostilité ; alors il s’emploie à leur donner le courage de tenir bon en attendant des jours meilleurs, le jour où la gloire du Christ se révélera, comme il dit ; c’est-à-dire le jour où la vérité éclatera, le jour où Jésus viendra inaugurer son règne parmi les hommes.
Pierre va même plus loin : non seulement, il ne faut pas avoir honte, mais au contraire, le titre de Chrétiens est à ses yeux, la plus haute dignité : « Réjouissez-vous », leur dit-il et rendez gloire à Dieu, à cause de ce nom de Chrétien. Il est vrai que si le mot « Chrétien » signifie « appartenant au Christ », alors, oui, c’est bien notre plus beau titre de fierté ! Bien au-delà de la fierté que nous tirons de notre naissance, de nos titres, de notre culture, de nos diplômes, de notre palmarès sportif, de notre beauté, de notre argent, de nos décorations…
Cette formule « Puisque vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous… » ressemble de très près à l’une des béatitudes annoncées par Jésus : « Heureux êtes-vous lorsque l’on vous insulte, que l’on vous persécute et que l’on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Soyez dans la joie et dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux » (Mt 5, 11). Jésus, en disant cela, faisait son propre portrait. Désormais, Pierre applique ce portrait à ceux qui, à leur tour, portent le nom du Christ. Il emploie même le mot « communier » : « vous communiez aux souffrances du Christ » : ce qui veut dire : « réjouissez-vous, vous êtes intimement unis au Christ dans ces souffrances que vous subissez pour rester fidèles à son nom et à sa mission. Et parce que vous êtes unis à ses souffrances, vous serez également unis à sa gloire, le jour où la vérité éclatera. »
Il faut certainement rester très fermes sur un point : la souffrance n’est pas un but en soi ; le but, c’est le jour où sa gloire se révélera. Si la souffrance était un but en soi, Jésus n’aurait pas consacré sa vie publique à soulager, guérir, pardonner, relever, redonner courage, accueillir les exclus de toute sorte, et même ressusciter Lazare ou le fils d’une veuve… Si la souffrance était un but en soi, les prophètes n’auraient pas non plus annoncé maintes et maintes fois le jour de Dieu comme celui de toutes les guérisons et de toutes les libérations. Le but, ce n’est pas la souffrance, c’est d’être uni au Christ et à Dieu dans l’Esprit d’amour, quelles que soient les circonstances, heureuses ou malheureuses de notre vie.
Et Pierre indique un chemin pour aborder la circonstance très particulière qu’est la persécution pour le nom du Christ : ce chemin, c’est sa formule « Puisque vous communiez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous… » qui sonne comme une Béatitude.
Une Béatitude, c’est à la fois une félicitation, une annonce et un encouragement ;
La félicitation, c’est quelque chose comme : « Bravo… si on vous traite ainsi, c’est que vous ressemblez au Christ. Et donc, que vous êtes dignes de porter le nom de Chrétiens ».
L’annonce, c’est : « Un jour viendra où le Christ sera reconnu par tous, et vous avec. Ce jour-là, on reconnaîtra que vous ne vous êtes pas trompés », et que le Christ non plus ne vous a pas trompés.
L’encouragement, c’est la suite logique de ce qui précède ; c’est : « Courage, tenez bon, vous avez choisi la bonne voie » ; et, d’ailleurs, on sait qu’André Chouraqui traduisait « Bienheureux » par « En marche ».
Pierre parle ici en connaissance de cause : s’il a commencé par renier son maître, c’est parce qu’il craignait d’être associé à ses souffrances ; mais après la Pentecôte, plus rien n’a pu l’arrêter dans sa tâche de prédicateur ; aux autorités qui lui interdisaient de parler de Jésus, il répondait simplement : « Nous ne pouvons pas taire ce que nous avons vu et entendu » (Actes 4, 20). Et quand les menaces se sont concrétisées, le livre des Actes raconte qu’après avoir été battus de verges, « les apôtres quittèrent le Sanhédrin, tout heureux d’avoir été trouvés dignes de subir des outrages pour le Nom » (Actes 5,41).
Mais cela, Pierre n’a pu le faire qu’après la Pentecôte : il faut être rempli de l’Esprit de Jésus pour avoir le courage d’affronter la persécution en son nom et pour connaître cette joie mystérieuse d’être en communion avec lui, jusque dans la souffrance, cette joie que nul ne pourra nous ravir !
Pas étonnant que l’Eglise nous fasse entendre ce texte de Pierre en ce temps de redécouverte du rôle de l’Esprit Saint dans la vie de nos communautés.

EVANGILE – selon Saint Jean 17, 1b-11a
En ce temps-là,
1 Jésus leva les yeux au ciel et dit :
« Père, l’heure est venue.
Glorifie ton Fils
afin que le Fils te glorifie.
2 Ainsi, comme tu lui as donné pouvoir sur tout être de chair,
il donnera la vie éternelle
à tous ceux que tu lui as donnés.
3 Or, la vie éternelle,
c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu,
et celui que tu as envoyé,
Jésus Christ.
4 Moi, je t’ai glorifié sur la terre
en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire.
5 Et maintenant, glorifie-moi auprès de toi, Père,
de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde existe.
6 J’ai manifesté ton nom
aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner.
Ils étaient à toi, tu me les as donnés,
et ils ont gardé ta parole.
7 Maintenant, ils ont reconnu
que tout ce que tu m’as donné vient de toi,
8 car je leur ai donné les paroles que tu m’avais données :
ils les ont reçues,
ils ont vraiment reconnu que je suis sorti de toi,
et ils ont cru que tu m’as envoyé.
9 Moi, je prie pour eux ;
ce n’est pas pour le monde que je prie,
mais pour ceux que tu m’as donnés,
car ils sont à toi.
10 Tout ce qui est à moi est à toi,
et ce qui est à toi est à moi ;
et je suis glorifié en eux.
11 Désormais, je ne suis plus dans le monde ;
eux, ils sont dans le monde,
et moi, je viens vers toi. »

Je reprends les derniers mots de Jésus : « Je viens vers toi ». Tant que nous sommes sur cette terre, nous ne pouvons pas être témoins du grand dialogue d’amour de Jésus avec son Père. Mais avec ce récit de saint Jean, nous entrons dans la prière de Jésus au moment même où il va rejoindre son Père : « Je viens vers toi. ». Car c’est l’Heure du grand passage : « Père, l’heure est venue », dit Jésus. Cette heure dont il a parlé à plusieurs reprises, au cours de sa vie terrestre. Cette Heure qu’il semblait désirer et redouter à la fois.
C’est l’heure, décisive, centrale de toute l’histoire humaine, l’heure que toute la création attend comme celle d’une naissance : parce qu’elle est l’heure de l’accomplissement du dessein de Dieu. Désormais, à partir de cette heure, plus rien, jamais, ne sera comme avant. En cette heure décisive, le mystère du Père va enfin être révélé au monde : c’est pourquoi Jésus emploie avec insistance les mots « gloire » et « glorifier ». La gloire d’une personne, au sens biblique, ce n’est pas sa célébrité ou sa reconnaissance par les autres, c’est sa valeur réelle. La gloire de Dieu, c’est donc Dieu lui-même, qui se manifeste aux hommes dans tout l’éclat de sa sainteté. On peut remplacer le verbe « glorifier » par « manifester ».
En cette heure décisive, Dieu va être glorifié, manifesté en son Fils, et les croyants vont « connaître » enfin le Père, entrer dans son intimité. Cette intimité qui unit le Fils au Père, le Fils la communique aux hommes ; désormais ceux qui accueilleront cette révélation, ceux qui croiront en Jésus, accèderont à cette connaissance, cette intimité du Père. Alors ils entreront dans la vraie vie : « La vie éternelle, c’est de te connaître, toi, le seul Dieu, le vrai Dieu, et de connaître celui que tu as envoyé, Jésus Christ. » Voilà, de la bouche de Jésus lui-même, une définition de la vie éternelle : Jésus parle au présent et il décrit la vie éternelle comme un état, l’état de ceux qui connaissent Dieu et le Christ. Nous vivons déjà de cette vie depuis notre Baptême.
Parlant de ses disciples, Jésus dit : « ils ont vraiment reconnu que je suis venu d’auprès de toi, et ils ont cru que c’était toi qui m’avais envoyé. » En cette heure-là, une partie (une partie seulement) de l’humanité a accueilli cette révélation et est entrée dans cette communion d’amour proposée par le Père et a accepté de prendre le chemin ouvert par le Fils. Curieusement, c’est seulement pour ces quelques-uns que Jésus prie : « Je prie pour eux ; ce n’est pas pour le monde que je prie, mais pour ceux que tu m’as donnés… » Car Dieu attend la collaboration des hommes pour son oeuvre de salut, et c’est le mystère des choix de Dieu qui se répète : comme le Père avait choisi Abraham pour lui révéler son grand projet, il a choisi certains membres de la lignée d’Abraham pour parachever la révélation de son mystère : « J’ai fait connaître ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner. Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé fidèlement ta parole. Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi… » Pour ce petit peuple choisi, l’heure est venue de poursuivre l’oeuvre de révélation : « Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde, et moi, je viens vers toi. » Jésus nous passe le flambeau en quelque sorte : il nous a tout donné, à nous de donner aux autres maintenant.
Il faut laisser résonner en nous l’insistance de Jésus sur le mot « donner » : Le Père a donné autorité au Fils… le Fils donnera la vie éternelle aux hommes… le Père a donné les hommes au Fils… Le Père a donné ses paroles au Fils… et le Fils a donné ces paroles à ses frères… L’insistance de Jésus sur le mot « donner » rejoint toute la méditation biblique : notre relation avec Dieu ne se déroule pas sur le registre du calcul. Il nous suffit de nous laisser aimer et combler de sa grâce en permanence. Le mot « grâce » signifie un don gratuit. Cette logique du don, de la gratuité, c’est celle du Fils, celui qui vit éternellement dans un dialogue d’amour sans ombre avec son Père ; dans le prologue de son évangile, Jean dit que le Fils est éternellement « tourné vers le Père ». Et parce qu’il n’y a pas d’ombre entre eux, il reflète la gloire du Père « Qui l’a vu a vu le Père ». Entre eux tout est amour, dialogue, partage : « Tout ce qui est à toi est à moi, comme tout ce qui est à moi est à toi ».
Le fameux texte du Prologue de l’évangile de Jean s’éclaire très nettement à la lecture de la prière de Jésus, il en est comme la transposition : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu. Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui. En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont point comprise… A ceux qui l’ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu… Et le Verbe s’est fait chair et il a habité parmi nous et nous avons vu sa gloire, cette gloire que, Fils Unique plein de grâce et de vérité, il tient du Père… De sa plénitude, tous, nous avons reçu, et grâce sur grâce. » (Jn 1, 1.. 16).

Commentaires du jeudi de l’Ascension

Commentaires de Marie-Noëlle Thabut,
jeudi 18 mai 2023
Fête de l’Ascension
‌Pour la fête de l’Ascension, la première lecture et le psaume sont communs aux trois années A, B et C. En revanche, la deuxième lecture et l’évangile sont différents chaque année.
1ère lecture

Psaume
2ème lecture
Evangile

PREMIERE LECTURE – Actes des apôtres 1,1-11
Cher Théophile,
dans mon premier livre
j’ai parlé de tout ce que Jésus a fait et enseigné
depuis le moment où il commença,
jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel,
après avoir, par l’Esprit Saint, donné ses instructions
aux Apôtres qu’il avait choisis.
C’est à eux qu’il s’est présenté vivant après sa Passion ;
il leur en a donné bien des preuves,
puisque, pendant quarante jours, il leur est apparu
et leur a parlé du royaume de Dieu.
Au cours d’un repas qu’il prenait avec eux,
il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem,
mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père.
Il déclara :
« Cette promesse, vous l’avez entendue de ma bouche :
alors que Jean a baptisé avec l’eau,
vous, c’est dans l’Esprit Saint
que vous serez baptisés d’ici peu de jours. »
Ainsi réunis, les Apôtres l’interrogeaient :
« Seigneur, est-ce maintenant le temps
où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? »
Jésus leur répondit :
« Il ne vous appartient pas de connaître les temps et les moments
que le Père a fixés de sa propre autorité.
Mais vous allez recevoir une force
quand le Saint-Esprit viendra sur vous ;
vous serez alors mes témoins
à Jérusalem,
dans toute la Judée et la Samarie,
et jusqu’aux extrémités de la terre. »
Après ces paroles, tandis que les Apôtres le regardaient,
il s’éleva,
et une nuée vint le soustraire à leurs yeux.
Et comme ils fixaient encore le ciel
où Jésus s’en allait,
voici que, devant eux,
se tenaient deux hommes en vêtements blancs,
qui leur dirent :
« Galiléens,
pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ?
Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous,
viendra de la même manière
que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. »

DE JERUSALEM JUSQU’AUX EXTREMITES DE LA TERRE
Nous sommes au tout début des Actes des Apôtres : les premiers versets font bien le lien avec l’évangile de Luc, lui aussi adressé à un certain Théophile ; car il ne fait de doute pour personne que les Actes des Apôtres et l’évangile de Luc sont du même auteur ; l’un commence où l’autre finit, c’est-à-dire par le récit de l’Ascension de Jésus, même si ces deux récits ne concordent pas exactement. Le premier livre, l’évangile, rapporte la mission et la prédication de Jésus, le second se consacre à la mission et à la prédication des Apôtres, d’où son nom « d’Actes des Apôtres ».
On peut pousser le parallèle un peu plus loin : l’évangile commence et finit à Jérusalem, le centre du monde juif et de la Première Alliance ; les Actes commencent à Jérusalem, car la Nouvelle Alliance prend  bien la suite de la Première, mais ils se terminent à Rome, carrefour de toutes les routes du monde connu à l’époque : la Nouvelle Alliance déborde désormais les frontières d’Israël. Pour Luc, il est clair que cette expansion est le fruit de l’Esprit-Saint ; il est l’Esprit même de Jésus, et il sera l’inspirateur des Apôtres, à partir de la Pentecôte, à tel point qu’on appelle souvent les Actes « l’évangile de l’Esprit ».
Et comme Jésus s’était préparé à sa mission par les quarante jours au désert après son Baptême, de même à son tour, il prépare son Eglise pendant quarante jours : « Pendant quarante jours, il leur est apparu, et leur a parlé du royaume de Dieu. » Au cours d’un dernier repas, il leur donne ses consignes : un ordre, une promesse, un envoi en mission.
L’ordre est presque surprenant : attendre et ne pas bouger ; « Il leur donna l’ordre de ne pas quitter Jérusalem, mais d’y attendre que s’accomplisse la promesse du Père. » Que les promesses du Père se réalisent à Jérusalem n’étonnait certainement pas les onze qui étaient tous Juifs : toute la prédication des prophètes donnait à Jérusalem une part prépondérante dans l’accomplissement du projet de Dieu : il suffit de se rappeler Isaïe : « Debout, Jérusalem, resplendis ! Elle est venue ta lumière, et la gloire du SEIGNEUR s’est levée sur toi. Voici que les ténèbres couvrent la terre, et la nuée obscure couvre les peuples. Mais sur toi se lève le SEIGNEUR, sur toi sa gloire apparaît. Les nations marcheront vers ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore. » (Is 60,1-3). Ou encore : « Pour la cause de Sion, je ne me tairai pas, et pour Jérusalem, je n’aurai de cesse que sa justice ne paraisse dans la clarté et son salut comme une torche qui brûle. Et les nations verront ta justice ; tous les rois verront ta gloire. On te nommera d’un nom nouveau, que la bouche du SEIGNEUR dictera. » (Is 62,1-2).
VOUS SEREZ MES TEMOINS
Luc précise le contenu de la promesse : « Jean a baptisé avec l’eau, vous, c’est dans l’Esprit Saint que vous serez baptisés d’ici peu de jours. » Cela aussi était familier aux apôtres ; ils avaient en tête la phrase du prophète Joël : « Je répandrai mon esprit sur tout être de chair » (Jl 3,1) et aussi celle de Zacharie : « Ce jour-là, il y aura une source qui jaillira pour la maison de David et pour les habitants de Jérusalem ; elle les lavera de leur péché et de leur souillure… Je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem un esprit de grâce et de supplication… » (Za 13,1 ; 12,10) ; ou encore (chez Ezéchiel) : « Je répandrai sur vous une eau pure et vous serez purifiés… Je mettrai en vous un esprit nouveau… Je mettrai en vous mon  esprit. » (Ez 36,25… 27).
La question des apôtres « Seigneur, est-ce maintenant le temps où tu vas rétablir le royaume pour Israël ? » n’est donc pas incongrue ; elle manifeste qu’ils ont bien compris que le fameux Jour de Dieu s’est levé. La réponse de Jésus ne devrait pas nous étonner non plus ; car Dieu sollicite la collaboration des hommes pour réaliser son projet ; le salut de Dieu est arrivé grâce à Jésus-Christ, il reste aux hommes la liberté d’y entrer ; pour cela encore faut-il qu’ils le sachent ; d’où la mission et la responsabilité des Apôtres ; l’Esprit leur est donné pour cela : « Vous allez recevoir une force quand le Saint-Esprit viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins. » Cela veut dire qu’entre le don de l’Esprit et l’avènement définitif du Royaume, il y a un délai qui est le temps du témoignage : un délai d’autant plus long qu’il s’agit d’aller porter la nouvelle à l’humanité tout entière. « Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »  Le livre des Actes suit exactement ce plan.
Comme au matin de Pâques, « deux hommes avec un vêtement éblouissant » avaient arraché les femmes à leur contemplation en leur disant « Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, il est ressuscité », au jour de l’Ascension, deux hommes en vêtements blancs jouent le même rôle auprès des Apôtres : « Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. » Il reviendra, nous en sommes certains, c’est pourquoi nous disons à chaque Eucharistie : « Nous attendons que se réalise cette bienheureuse espérance : l’avènement de Jésus Christ, notre Sauveur. »
——-
Complément
– La nuée est dans la Bible le signe visible de la présence de Dieu (par exemple lors du passage de la Mer Rouge (Ex 13,21), ou lors de la Transfiguration du Christ (Lc 9,34). La nuée dérobe Jésus au regard des hommes : c’est dire qu’il est entré dans le monde de Dieu. Il cesse avec nous un certain mode de présence charnelle, visible, pour en inaugurer une autre, spirituelle.
– Il nous faut accepter l’idée qu’il est impossible de reconstituer exactement ce qui s’est passé entre la Résurrection de Jésus, la nuit de Pâques et le jour où il a quitté définitivement ses apôtres pour retourner auprès du Père. Commençons par les récits de Luc : entre l’évangile de Luc et les Actes des Apôtres du même Luc, les deux récits sont tout-à-fait semblables : le départ de Jésus se situe près de Jérusalem puisque l’évangile parle de Béthanie, et que les Actes parlent du Mont des Oliviers ; et dans les deux textes Luc précise que Jésus a donné comme recommandation à ses disciples de ne pas quitter Jérusalem avant d’avoir reçu l’Esprit Saint. La seule divergence entre les deux récits de Luc concerne le délai : dans l’évangile, il semble bien que le départ de Jésus ait eu lieu le soir même de Pâques ; après l’apparition aux disciples d’Emmaüs, ceux-ci sont retournés à Jérusalem pour tout raconter aux Onze apôtres ; et c’est pendant qu’ils parlaient tous ensemble que Jésus est apparu, a passé un moment avec eux, leur expliquant les Ecritures ; puis il les a emmenés à Béthanie et c’est là qu’il a disparu définitivement à leurs yeux.
Tandis que dans les Actes des Apôtres, Luc précise qu’il y a eu entre Pâques et l’Ascension un délai de quarante jours ; et c’est d’ailleurs pour cela que nous avons pris l’habitude de  célébrer la fête de l’Ascension, juste quarante jours après Pâques.
Dans les autres évangiles, on ne trouve presque rien sur ce sujet : chez Matthieu, par exemple, il n’y a pas du tout de récit d’Ascension ; il raconte seulement une apparition de Jésus à deux  femmes  (Marie de Magdala et l’autre Marie) qui s’étaient rendues au tombeau et une apparition aux disciples en Galilée au cours de laquelle il leur dit cette phrase que nous connaissons bien : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples ; baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28,18-20).
Jean, lui, rapporte plus longuement plusieurs apparitions de Jésus ressuscité, l’une à Marie de Magdala, et trois autres à ses disciples, dont la dernière au bord du lac de Tibériade ; mais il ne raconte pas non plus l’Ascension. Quant à Marc, il raconte l’apparition de Jésus à Marie de Magdala, puis à deux disciples qui se rendaient à la campagne et enfin aux Onze apôtres. Les Onze, Jésus les envoie prêcher l’évangile au monde entier et Marc termine son évangile en disant : « Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu. » (Mc 16,19).
Ces différences entre les Evangiles prouvent que les précisions qu’ils nous donnent ne visent pas la réalité historique ou géographique : Matthieu a ses raisons pour parler de la Galilée, comme Luc a les siennes pour insister sur Jérusalem.
Car c’est bien là que Jésus leur a dit d’attendre le don de l’Esprit : l’évangile de Luc se termine sur cette dernière consigne de Jésus : « Et moi, je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis. Quant à vous, demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus d’une puissance venue d’en haut. » (Lc 24,49).

PSAUME – 46 (47),2-3,6-7,8-9
2 Tous les peuples, battez des mains,
acclamez Dieu par vos cris de joie !
3 Car le SEIGNEUR est le Très-Haut, le redoutable,
le grand roi sur toute la terre.
6 Dieu s’élève parmi les ovations,
le SEIGNEUR, aux éclats du cor.
7 Sonnez pour notre Dieu, sonnez,
Sonnez pour notre roi, sonnez !
8 Car Dieu est le roi de la terre :
que vos musiques l’annoncent !
9 Il règne, Dieu, sur les païens,
Dieu est assis sur son trône sacré.

DIEU, ROI D’ISRAEL
C’est le peuple d’Israël qui parle ici, ou plutôt qui chante, qui acclame Dieu comme son roi. Cela ne nous surprend pas. Mais, chose beaucoup plus étonnante, il dit que Dieu est le roi de toute la terre. Or, cela, on ne l’a pas toujours pensé en Israël. Avant l’Exil à Babylone, aucun des rois d’Israël n’a jamais imaginé que Dieu soit le Maître de l’Univers entier. Cela veut dire que ce psaume a été composé tard dans l’histoire du peuple élu.
Je reviens sur la première affirmation très forte de ce psaume : Dieu est le roi d’Israël. Pendant toute une période de l’histoire biblique, le peuple d’Israël a eu des rois, tout comme les peuples voisins, mais sa conception de la royauté était particulière, et cette spécificité a duré tout au long de l’histoire. En Israël, le roi ne pouvait jamais prétendre être le plus haut personnage du pays, il n’avait pas tout pouvoir, Dieu restait le maître. Pour le dire autrement, le véritable roi en Israël n’était autre que Dieu lui-même.
Le roi, par exemple, ne disposait pas des lois à sa guise ; il devait, comme tout le monde, se soumettre à la Loi de Dieu, c’est-à-dire les Lois données par Dieu à Moïse au Sinaï. D’après le livre du Deutéronome, il devait lire l’intégralité de la Loi tous les jours de sa vie. Même assis sur son trône, il n’était (en principe) qu’un exécutant des ordres de Dieu transmis par les prophètes. Dans les Livres des Rois, par exemple, on voit fréquemment l’un ou l’autre roi demander l’accord du prophète du moment avant de partir en campagne ou même, dans le cas de David, avant d’entreprendre la construction d’un Temple. Et l’on voit à de multiples reprises les prophètes intervenir librement dans la vie des rois et critiquer violemment parfois leurs agissements.
Cette affirmation de la souveraineté de Dieu fut même un frein à l’institution de la monarchie. On se souvient de la réaction très violente du prophète Samuel, au temps des Juges, lorsque les chefs des tribus d’Israël sont venus lui dire qu’ils voulaient avoir un roi « pour être comme les autres nations ». Souhaiter être « comme les autres nations » quand on a l’honneur d’être le peuple choisi par Dieu pour faire alliance, c’était un véritable blasphème à ses yeux. Il a fini par céder aux instances des chefs des tribus, mais non sans les prévenir qu’ils faisaient leur propre malheur.
Et lorsqu’il a consacré le premier roi, Saül, il a pris soin de préciser que celui-ci devenait le chef du patrimoine de Dieu. Le peuple restait le peuple de Dieu et non celui du roi et celui-ci n’était qu’un serviteur de Dieu. Et, tout au long de la monarchie, en Israël, les prophètes se sont chargés de rappeler aux rois cette vérité élémentaire. Au point que les livres des Rois, lorsqu’ils racontent les règnes successifs, n’ont qu’un critère d’évaluation : la fidélité de chacun des rois à la volonté de Dieu. Une formule revient tout le temps : « Tel roi fit ce qui ce qui est droit aux yeux du SEIGNEUR », ou au contraire « Tel roi fit ce qui ce qui est mal aux yeux du SEIGNEUR ».
DIEU, ROI DE TOUTE L’HUMANITÉ
C’est donc en l’honneur de Dieu lui-même que notre psaume déploie ici tout le vocabulaire adressé ailleurs aux rois de la terre. Le mot « redoutable » lui-même est un compliment, c’est un mot habituel du vocabulaire de cour. Le roi n’est pas « redoutable » pour ses sujets, évidemment, mais au contraire, le terme est rassurant : les ennemis sont prévenus, notre roi sera invincible.
A chaque ligne de ce psaume, c’est une évidence, il s’agit bien de Dieu, notre Dieu, celui du Sinaï, le SEIGNEUR. En même temps, il est acclamé comme Dieu et roi de tout l’univers. Pas question de le garder pour nous tout seuls : il est « le grand roi sur toute la terre » (v.3) et tous les peuples sont associés à la fête : « Tous les peuples, battez des mains, acclamez Dieu par vos cris de joie ! » Cette dimension universelle est très présente dans ce psaume jusqu’à dire « Dieu règne sur les païens » (v.9).
Or, la découverte du monothéisme date seulement de l’Exil à Babylone : jusque-là, le peuple d’Israël n’était pas encore monothéiste : être monothéiste, c’est affirmer qu’il n’existe qu’un seul Dieu, le même pour tout le cosmos et l’humanité. Avant l’Exil, ce n’était pas le cas : on dit qu’Israël était monolâtre ; c’est-à-dire qu’il ne reconnaissait pour lui-même qu’un seul Dieu, celui de l’Alliance du Sinaï. Mais il considérait que les autres peuples avaient leurs propres dieux qui régnaient sur leurs pays et combattaient pour eux.
Ce psaume a donc été probablement composé après le retour de l’Exil et ce n’est pas dans la salle du trône que ces acclamations ont retenti, c’est dans le Temple de Jérusalem reconstruit. A l’occasion d’une célébration liturgique, nos frères juifs évoquent le grand projet de Dieu sur l’humanité et ils anticipent. Ils imaginent déjà le Jour où enfin Dieu sera reconnu pour ce qu’il est, le Père de toute bonté.
Nous, Chrétiens, reprenons ce psaume à notre tour. Et la phrase « Dieu s’élève parmi les ovations » nous paraît convenir tout particulièrement pour la célébration de l’Ascension de Jésus-Christ. Même si nous devons reconnaître, malheureusement, que la royauté du Christ est encore bien discrète : les évangélistes n’ont pas de cérémonie de couronnement à raconter. Raison de plus pour lui décerner déjà ce superbe hommage qui ne fait qu’anticiper le chant qu’entonneront au dernier jour les fils de Dieu enfin rassemblés : « Tous les peuples, battez des mains, acclamez Dieu par vos cris de joie ! »

DEUXIEME LECTURE – lettre de saint Paul aux Ephésiens 1,17-23
Frères,
17 que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ,
le Père dans sa gloire,
vous donne un esprit de sagesse
qui vous le révèle et vous le fasse vraiment connaître.
18 Qu’il ouvre à sa lumière les yeux de votre coeur,
pour que vous sachiez quelle espérance vous ouvre son appel,
la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles,
19 et quelle puissance incomparable il déploie pour nous, les croyants :
c’est l’énergie, la force, la vigueur
20     qu’il a mise en œuvre dans le Christ
quand il l’a ressuscité d’entre les morts
et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux.
21 Il l’a établi au-dessus de tout être céleste :
Principauté, Souveraineté, Puissance et Domination,
au-dessus de tout nom que l’on puisse nommer,
non seulement dans le monde présent
mais aussi dans le monde à venir.
22 Il a tout mis sous ses pieds
et, le plaçant plus haut que tout,
23  il a fait de lui la tête de l’Eglise qui est son corps,
et l’Eglise, c’est l’accomplissement total du Christ,
lui que Dieu comble totalement de sa plénitude.

SAINT PAUL EN CONTEMPLATION
La lettre aux Ephésiens se divise facilement en deux parties : une longue contemplation du dessein de Dieu (chapitres 1 à 3) et une exhortation aux baptisés pour conformer leur vie à ce mystère (chapitres 4 à 6) ; pour la fête de l’Ascension, la liturgie nous propose un extrait de la première partie pour l’année A, et de la deuxième partie pour l’année B.
La première partie débute par une longue formule de bénédiction à la manière juive que, dans notre liturgie chrétienne, on appellerait volontiers une Préface. C’est le fameux texte sur le « dessein bienveillant de Dieu » : « Béni soit Dieu… Il nous a fait connaître le mystère de sa volonté, le dessein bienveillant qu’il a d’avance arrêté en lui-même pour mener les temps à leur accomplissement, réunir l’univers entier sous un seul chef le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre. » (Traduction TOB). Les baptisés sont déjà participants de ce mystère du projet de Dieu qui, un jour, sera étendu à l’humanité tout entière. Et Paul s’émerveille du privilège qui est donc le leur : « En lui (le Christ), vous aussi, après avoir écouté la parole de vérité, l’Évangile de votre salut, et après y avoir cru, vous avez reçu la marque de l’Esprit Saint. Et l’Esprit promis par Dieu est une première avance sur notre héritage, en vue de la rédemption que nous obtiendrons, à la louange de sa gloire. » (1,13-14).
Nous retrouvons tous ces termes dans le passage qui est notre lecture d’aujourd’hui, mais cette fois sous la forme d’une prière, qu’on appelle généralement « prière d’illumination ». Car il nous faut bien la lumière de Dieu pour pénétrer un tant soit peu dans ce mystère : « Qu’il ouvre à sa lumière les yeux de votre coeur, pour que vous sachiez quelle espérance vous ouvre son appel, la gloire sans prix de l’héritage que vous partagez avec les fidèles… » Et on sait bien que la compréhension dont il parle ici n’est pas affaire de raisonnement mais de coeur, une disponibilité profonde à se laisser instruire, illuminer. Et Paul, le Juif, sait bien que la sagesse de Dieu est inaccessible pour l’homme si Dieu lui-même ne se révèle pas à lui : « Que le Dieu de notre Seigneur Jésus Christ, le Père dans sa gloire, vous donne un esprit de sagesse qui vous le révèle et vous le fasse vraiment connaître. » Et qu’y a-t-il au bout de cette connaissance vers laquelle nous cheminons ? Un « héritage sans prix » nous dit Paul.
LA GLOIRE SANS PRIX DE NOTRE HERITAGE
Le mot « héritage » (ici au verset 18, et déjà au verset 14) revient souvent dans la Bible : dans l’Ancien Testament, il s’agit de la terre promise par Dieu aux croyants. Le même mot est souvent repris par le Nouveau Testament, en particulier dans les lettres de Paul, pour désigner le Royaume et la vie éternelle. Par exemple : « L’Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Puisque nous sommes ses enfants, nous sommes aussi ses héritiers : héritiers de Dieu, héritiers avec le Christ. » (Rm 8,16-17). « Dans la joie, vous rendrez grâce à Dieu le Père, qui vous a rendus capables d’avoir part à l’héritage des saints, dans la lumière. » (Col 1,12). « Toutes les nations sont asociées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Evangile. » (Ep 3,6). Jacques aussi développe ce thème : « Dieu, lui, n’a-t-il pas choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde pour en faire des riches dans la foi, et des héritiers du Royaume promis par lui à ceux qui l’auront aimé ? » (Jc 2,5).
Et la lettre aux Hébreux, pour sa part, reprend souvent le mot : « A bien des reprises et de bien des manières, Dieu, dans le passé, a parlé à nos pères par les prophètes ; mais à la fin, en ces jours où nous sommes, il nous a parlé par son Fils qu’il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes. » (He 1,1-2) ; et un peu plus loin : « Ceux qui sont appelés peuvent recevoir l’héritage éternel jadis promis. » (He 9,15).
Car, et c’est le motif profond de l’émerveillement de Paul, les disciples du Seigneur sont déjà associés au triomphe de leur Maître ressuscité. Rien ne doit plus leur faire peur en ce monde ou dans l’autre puisque la mort est vaincue et que les portes sont ouvertes sur la vie éternelle. Bien souvent, on a l’impression que Paul lui-même est pris de vertige devant les perspectives inouïes qu’il ouvre devant ses lecteurs ; ici, par exemple, il s’émerveille devant « la puissance incomparable qu’il (le Père) déploie pour nous, les croyants : c’est l’énergie, la force, la vigueur qu’il a mise en oeuvre dans le Christ quand il l’a ressuscité d’entre les morts et qu’il l’a fait asseoir à sa droite dans les cieux. » Autrement dit, l’oeuvre que Dieu accomplit dans le coeur des croyants est une véritable résurrection intérieure. On comprend que, dans le verset qui précède, Paul introduise cette prière d’illumination par cette déclaration : « Je ne cesse pas de rendre grâce, quand je fais mémoire de vous dans mes prières. » (Ep 1,16)

EVANGILE – selon Saint Matthieu 28,16-20
En ce temps-là,
16 Les onze disciples s’en allèrent en Galilée,
à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
17 Quand ils le virent, ils se prosternèrent,
mais certains eurent des doutes.
18 Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles :
« Tout pouvoir m’a été donné
au ciel et sur la terre.
19 Allez !
De toutes les nations faites des disciples,
baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit,
20 apprenez-leur
à observer tout ce que je vous ai commandé.
Et moi, je suis avec vous
tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

TOUT POUVOIR M’A ETE DONNE AU CIEL ET SUR LA TERRE
Aussitôt après la Résurrection, voici le très bref discours d’adieu de Jésus. Cela se passe en Galilée qu’on appelait couramment le « carrefour des païens », la « Galilée des nations » ; car désormais la mission des Apôtres concerne « toutes les nations ». L’Evangile de Matthieu semble tourner court : mais, en fait, l’aventure commence ; tout se passe comme dans un film où le mot « FIN » s’inscrit sur une route qui ouvre vers l’infini. Car c’est bien vers l’infini que Jésus les envoie : l’immensité du monde et l’infini des siècles. « Allez… De toutes les nations faites des disciples… Jusqu’à la fin du monde. »
Curieusement, ils n’ont l’air qu’à moitié préparés à cette mission ! Si Jésus était un chef d’entreprise, il ne pourrait pas prendre le risque de confier la suite de son affaire à des collaborateurs comme ceux-là : des collaborateurs qui semblent bien ne pas avoir assimilé toute la formation qu’il leur a assurée pendant des mois. Ils font erreur sur l’objectif, sur les délais, sur la nature de l’entreprise. Ils vont même jusqu’à douter de la réalité qu’ils sont en train de vivre ; puisque Matthieu dit clairement « Certains eurent des doutes ». La mission qui leur est confiée et qui est pleine de risques est de promouvoir un message qui les surprend encore. Folie, diront les gens sages, Sagesse de Dieu répondrait Saint Paul. C’est que l’entreprise dont il s’agit n’est pas banale : elle dépasse tout ce que l’esprit humain peut imaginer ou concevoir. Il s’agit de la communication entre Dieu et les hommes. Celui qui est venu en allumer l’étincelle confie à ses disciples le soin d’en répandre le feu. « Allez ! De toutes les nations faites des disciples : baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit. »
« Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. » : nous n’avons pas souvent l’occasion de nous arrêter sur cette formule extraordinaire de notre foi. Première formulation du mystère de la Trinité : l’expression « Au nom de », très habituelle dans la Bible, signifie qu’il s’agit bien d’un seul Dieu ; en même temps les trois Personnes sont nommées et bien distinctes : « Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. » Si l’on se souvient que le NOM, dans la Bible, c’est la personne, et que baptiser veut dire étymologiquement « plonger », cela veut dire que le Baptême nous plonge littéralement dans la Trinité. On comprend l’ordre express de Jésus à ses disciples « Allez », il y a urgence. Comment ne pas être pressés de voir toute l’humanité profiter de cette proposition ?
En même temps, il faut bien dire que cette formule si habituelle pour nous était pour la génération du Christ une véritable révolution ! A preuve, quand les apôtres, Pierre et Jean ont guéri le boiteux de la Belle Porte (Ac 3 et 4), les autorités leur ont aussitôt demandé « Par quelle puissance,  par le  nom de qui avez-vous fait cette guérison ? » : parce qu’il n’était pas permis d’invoquer un autre nom que celui de Dieu. Jésus parle bien de Dieu, mais sa phrase cite trois personnes, or Dieu était unique, les prophètes l’avaient assez dit. L’incompréhension des Juifs pour les fidèles du Christ est inscrite ici, la persécution était inévitable. Jésus le sait, qui les a prévenus le dernier soir : « On vous exclura des assemblées. Bien plus, l’heure vient où tous ceux qui vous tueront s’imagineront qu’ils rendent un culte à Dieu, (c’est-à-dire croiront défendre l’honneur de Dieu)… Et Jésus ajoutait : « Ils feront cela parce qu’ils n’ont connu ni le Père ni moi. » (Jn 16,2-3).
JE SUIS AVEC VOUS TOUS LES JOURS JUSQU’A LA FIN DU MONDE
La mission confiée aux apôtres s’apparente bien à une folie ; mais ils ne sont pas seuls, et cela, il ne faut jamais l’oublier : dans la mesure où notre engagement n’est pas le nôtre, mais le sien, nous n’avons pas de raison de nous inquiéter des résultats : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! »… En d’autres termes, c’est nous qui allons, mais c’est lui qui a tout pouvoir…
Voici ce que l’on raconte de Jean XXIII : il paraît que peu de jours après son élection il reçoit la visite d’un ami qui lui dit « Très Saint Père, comme la charge doit être lourde ! » Jean XXIII répond « C’est vrai, le soir, quand je me couche, je pense Angelo, tu es le Pape et j’ai bien du mal à m’endormir ; mais, au bout de quelques minutes je me dis Angelo, que tu es bête, le responsable de l’Eglise, ce n’est pas toi, c’est le Saint-Esprit… Alors je me tourne de l’autre côté et je m’endors…! » Nous aussi, semble-t-il, nous pouvons dormir sur nos deux oreilles : l’évangélisation doit être notre passion, mais pas notre angoisse ! Jésus a bien précisé « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. »
A elle toute seule, cette petite phrase est un résumé extraordinaire de la vie du Christ : ceci se passe sur une montagne, a dit Matthieu ; laquelle on ne sait pas, mais elle évoque, bien sûr, celle de la tentation et celle de la Transfiguration ; sur la montagne de la tentation, Jésus a refusé de recevoir d’un autre que son Père le pouvoir sur la Création : « Le diable l’emmène sur une très haute montagne et lui montre tous les royaumes du monde et leur gloire. Il lui dit : ‘Tout cela je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi’. Alors Jésus lui dit : ‘Arrière, Satan ! car il est écrit :C’est le Seigneur ton Dieu que tu adoreras, à lui seul tu rendras un culte.’ » (Mt 4,8). Ce pouvoir que Jésus n’a pas revendiqué, n’a pas acheté, lui est donné par son Père.
Et, désormais, ce pouvoir est entre nos mains ! A nous d’y croire… « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez !… Et moi, ajoute Jésus, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. » Le Dieu de la Présence révélé à Moïse au buisson ardent, l’Emmanuel (ce qui signifie « Dieu avec nous ») promis par Isaïe ne font qu’un dans l’Esprit d’amour qui les unit. A nous désormais de révéler au monde cette présence aimante du Dieu-Trinité.
————–
Complément
– « Emmanuel » : un prénom qui en dit long… En disant à ses apôtres « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde », le Christ s’applique à lui-même ce prénom. Comme s’il voulait donner raison à Matthieu qui avait dit au début de son Evangile : « Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d’Emmanuel, ce qui se traduit Dieu avec nous »

.